Racisme en politique, ce que Pap Ndiaye sait ou doit savoir

Il fut la surprise en couleur du nouveau gouvernement. Nommé par le président Macron, le ministre de l’Éducation nationale s’appelle Pap Ndiaye. (AFP).
Il fut la surprise en couleur du nouveau gouvernement. Nommé par le président Macron, le ministre de l’Éducation nationale s’appelle Pap Ndiaye. (AFP).
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Publié le Lundi 06 juin 2022

Racisme en politique, ce que Pap Ndiaye sait ou doit savoir

Racisme en politique, ce que Pap Ndiaye sait ou doit savoir
  • De père sénégalais, Pap Ndiaye a vite saisi la virulence du racisme en politique
  • Tous ces Français issus de l’immigration se sont heurtés tôt ou tard à des barrages, des réflexes racistes/corporatistes visant à bloquer leur émergence

Il fut la surprise en couleur du nouveau gouvernement. Nommé par le président Macron, le ministre de l’Éducation nationale s’appelle Pap Ndiaye. De père sénégalais. Il a vite saisi la virulence du racisme en politique. Spécialiste des minorités aux États-Unis, il sait ce qu’avant lui les ministres et hauts fonctionnaires issus de l’immigration ont subi dans notre pays. 

Il connaît peut-être Zaïr Kedadouche, né à Tourcoing en 1957, d’une famille algérienne arrivée en France dans les années 1950. Conseiller de Jacques Chirac, en 2008 il était nommé Consul général à Liège, puis en 2012 ambassadeur à Andorre. Mais il quittait rapidement son poste avec grand fracas: «C’est au ministère des Affaires étrangères que j’ai rencontré le racisme le plus abject.» 

En 2013, cet ancien footballeur devenu politique accusait le Quai d’avoir couvert des comportements racistes et discriminatoires. «M’appelant Zaïr Kedadouche, des affectations de postes m’ont été interdites.» Il citait une première nomination comme Consul général prévue à Anvers, refusée car son nom arabe «serait une erreur de casting au regard de l’importance de l’extrême-droite en Flandres» et «… de la communauté juive importante à Anvers». Il dénonçait «l’omerta» du quai d’Orsay, à laquelle sont soumis les diplomates. 

À Paris, vice-présidente du Sénat en 2011, Bariza Khiari, née en 1956 en Algérie, avait connu le racisme de l’extrême-droite. Un site islamophobe annonçait: «Une Franco-Algérienne, vice-présidente du Sénat français!» et criait au complot des Algériens pour faire «la France algérienne». Mais, en 2014, Bariza Khiari, dénonçait aussi le racisme au sein même de sa famille politique, le PS, affirmant avoir été confrontée «à des “conneries” de racisme primaire» et avoir été insultée de «gauche tajine.» 

À Marseille, où elle est née en 1968, Samia Ghali disait la même chose. Membre du PS, élue en 2008 maire d’un arrondissement et sénatrice, elle fut vice-présidente du Conseil régional de 2004 à 2010. En 2013, son collègue socialiste Patrick Mennucci, vainqueur de la Primaire, la qualifiait d’«Arabe» lors d’une séance de l’assemblée de la communauté urbaine. (1) Un sénateur UMP à qui il demandait de l’applaudir pour sa victoire, lui avait répondu qu’il allait plutôt scander «Samia, Samia!», ce à quoi Mennucci avait rétorqué: «Ça sera bien la première fois que tu seras gentil avec une Arabe!»

Un an après les municipales, la sénatrice fustigeait le racisme au PS: «Je suis arrivée en tête avec plus de 1 000 voix d’avance au premier tour. Derrière, le parti, en tout cas le gouvernement de l’époque, avait donné des consignes claires à tous les autres candidats pour dire «Tout sauf Samia Ghali.» Elle ajoutait: «… il ne fallait surtout pas Samia Ghali, issue de l’immigration. C’est une Arabe… Et une Arabe, à la tête de la ville de Marseille, ce n’est pas possible... 

À Lyon, la sarkozyste Nora Berra, née en 1963, fille d’un Algérien, accusait aussi de racisme sa famille politique. Négligeant la commission d’investiture, elle déclarait sa candidature aux législatives dans une circonscription gagnable. Bien que ministre en fonction, la fédération UMP lui infligeait un camouflet. «Mme Berra n’est pas la mieux placée dans nos sondages, et son attitude n’est pas responsable à la veille d’une élection présidentielle, où seul ce sujet importe». La fédération soutenait sa rivale. Constat de Nora Berra: «J’ai l’audace d’avoir des parents qui viennent de l’autre côté de la Méditerranée. On m’a fait comprendre que mes origines posaient un certain problème à certains électeurs… On m’a dit clairement: les candidats de la diversité risquent de démobiliser l’électorat.» 

Rachida Dati, depuis 2004-2005, a subi les mêmes affronts. En mai 2015, quand la Cour des Comptes invalide 200 000 euros de factures de son ministère, elle criait également à la cabale politique due à son origine «arabe». Idem pour la ministre Najat Vallaud-Belkacem, d’origine marocaine. Elle a subi des attaques continuelles de l’extrême-droite islamophobe. «Najat V.B. pousse l’arabe auprès des corps éducatifs. Le français n’est plus la langue officielle en France? Si cette rumeur se vérifie, Vallaud-Belkacem serait effectivement la taupe de l’islam…» 

Cette intox s’était propagée en 2014. En cause, une fausse lettre de la ministre conseillant aux maires de proposer aux écoles une heure hebdomadaire pour la découverte de la langue arabe. L’accusant d’être «l’agent d’un pays arabe», des blogs conspirationnistes et comptes Twitter multipliaient les citations apocryphes du genre «Je suis musulmane avant d’être française». «Évidemment, on m’a toujours attaquée sur mes origines», disait Najat Vallaud-Belkacem. (2)

Ministre de François Hollande, Yamina Benguigui, née en 1955 à Lille, de parents algériens, a eu sa part. Un article du Nouvel Observateur qui la qualifiait «d’ovni du gouvernement», prétendait que le ministre Fabius l’ignorait, que les diplomates la toisaient, qu’elle était surnommée «Mickael Jackson» par ses collègues. (3) «Ces attaques ne me touchent pas, je reviens de trop loin pour ça. Cela pose question sur le rapport de la France face à sa diversité…» 

Le rapport de la France à sa diversité est en fait un racisme de classe. Tous ces Français issus de l’immigration se sont heurtés tôt ou tard à des barrages, des réflexes racistes/corporatistes visant à bloquer leur émergence. La ministre Rachida Dati, par exemple, était renvoyée à ses origines supposées de Seine-Saint-Denis, le fameux «9.3», par un député. Elle avait été traitée de «voleuse de mobylettes à Chalon-sur-Saône». Elle s’insurgeait contre la banalisation du racisme qui ne viendrait pas des Français, «mais de cette élite politique qui ne supporte pas que certains ou certaines puissent accéder à des responsabilités… «Moi je cumule beaucoup de handicaps de ce point de vue-là.» 

Au PS, Malek Boutih, d’origine algérienne, ancien président de SOS Racisme, corroborait. En 2007, pour les législatives, il était investi en Charente, mais les socialistes refusèrent son parachutage. Ils préférèrent Martine Pinville qui se maintint sans le soutien du PS et, avec 21%, devança Boutih (15,65 %). Au second tour, le parti soutenait Martine Pinville, qui fut élue avec 57% contre son rival de droite. 

Amer, Boutih estimait alors avoir été battu par son propre parti. Il critiquait sévèrement les dirigeants «qui forment un cénacle, qui n’aiment pas la société telle qu’elle est, qui ne s’y projettent pas et qui gardent la mélancolie des années 1970. Chez nous, c’est Good Bye Lénine!» Il leur reprochait en outre d’avoir négligé le débat sur la diversité. 

En 2001, Fadéla Amara, socialiste devenue plus tard ministre de Sarkozy, élue conseillère municipale PS à Clermont-Ferrand, était elle aussi furieuse. «J’ai envoyé ma démission le lendemain de l’élection municipale, elle a été refusée. Je figurais sur sa liste en place éligible... Et puis, dès l’élection passée, tous les élus socialistes se sont répartis le pouvoir, sans rien pour moi. Clermont est à l’image du PS: un cercle de notables qui se partagent un gâteau. Le Parti socialiste, c’est un shaker: on met toujours les mêmes dedans, on secoue et les mêmes ressortent dans un autre ordre. (4)» 

Les mots et les images attestaient le rejet de ces jeunes engagés en politiques issus de l’immigration. Même l’ancienne ministre de Sarkozy, Jeannette Bougrab, fille de harkis algériens, qui pourtant fustigeait partout le «communautarisme musulman» n’a pas été épargnée. Lors des législatives, elle était candidate UMP dans la 18e circonscription de Paris (Barbès), face au socialiste sortant. Largement distancée au premier tour, elle perdait au second avec 36 % des voix, réalisant le score le plus bas jusqu’alors dans la circonscription. Elle regrettait d’avoir été cantonnée dans un rôle «d’animateur de réunions communautaires» pour Nicolas Sarkozy, dans un bastion de gauche. 

La ministre Nora Berra, à Lyon, se lâchait également sur ceux qui avaient «une vision passéiste, qui date du XXe siècle et qui n’évolue pas avec la société», provoquant un tollé, avant d’être écartée. Dur constat pour celle qui, en 2011, racontait qu’enfant elle traduisait pour son père les discours télévisés du général de Gaulle! On pourrait encore évoquer Myriam el-Khomri, ancienne ministre socialiste du Travail, d’origine marocaine qui, prise dans une bourde sur des contrats de travail, déclarait, excédée, fin 2015: «[…] Je crois qu’on a quand même un problème dans notre pays, c’est que le nom ou la couleur de peau restent des marqueurs extrêmement importants… moi, j’en ai marre de venir sur des plateaux pour justifier que je suis Française…» 

Victimaires, tous ces ministres, ou bien révélateurs de «quelque chose de vraiment pourri dans la société française»? Le nouveau ministre Pap Ndiaye le confirmera s’il est encore en poste après les élections législatives.

(1) LeMonde.fr, 25.10.2013
(2) Ibid.
(3)«Yamina Benguigui, la Diva du Quai», Sophie des Déserts, L’obs, 13.10.12
(4) «La ministre qui dérange»,Michel Revol,Le Point, n°182,3/01/2008.

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il estchargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pasnécessairement celled’Arab News en français