Les élections parlementaires libanaises qui se sont déroulées le mois dernier ont marqué un certain changement dans la donne politique au Liban. Le Hezbollah avait perdu sur le papier la majorité au Parlement qu’il détenait avec ses alliés depuis les élections de 2018. Une nouvelle classe politique issue de la « thaoura du 17 octobre 2019 » arrive à la Chambre en nombre assez important pour former un bloc parlementaire apportant du sang nouveau à un « club » jusqu’ici fermé. Ce sang nouveau, que l’on espère être représenté par les quatorze élus de la société civile, a néanmoins besoin de se concrétiser au niveau politique. Les élections ont vu l’accès au Parlement d’un bloc non déclaré de plusieurs partis et personnalités indépendants souverainistes représentant l’esprit du 14-Mars, ex-coalition issue de la révolution du cèdre de 2005. Ces deux groupes sont appelés à se rapprocher et à mettre en œuvre une plate-forme politique commune qui les associerait lors des prochaines échéances nationales. Le bloc dirigé par le Hezbollah, quant à lui, est soudé sous l’influence du parti pro-iranien qui tient en main toutes les ficelles des partis ainsi que des personnalités que lui seul, fort de son influence militaire, sécuritaire et financière, arriverait à les garder en rang.
Mardi dernier, cette nouvelle assemblée devait faire face à une première épreuve. L’élection du président et du vice-président de la Chambre devait démontrer la capacité des nouveaux élus à faire face aux échéances politiques et nationales. La reconduction du président sortant de la Chambre, le chef du mouvement chiite Amal, M. Nabih Berri, pour un septième mandat ne faisait aucun doute. Dès lors, l’élection du vice-président prenait la forme d’un enjeu politique de taille et, de ce fait, constituait un premier test pour le bloc des réformateurs de la société civile qui faisait son entrée dans l’arène politique et devait faire face au candidat favori, M. Élias Abou Saab, représentant du Courant patriotique libanais (CPL) du président Michel Aoun. Cette confrontation avait pour but d’annoncer le vent de changement au Parlement. En effet, un candidat proche du bloc des souverainistes ex-14-Mars s’est lancé dans la bataille. M. Ghassan Skaf cherchait à vaincre le candidat de la coalition menée par le Hezbollah. Il aurait fallu beaucoup d’efforts pour arriver à serrer les rangs des réformateurs et des souverainistes afin de faire face au candidat du 8-Mars et ainsi essayer d’établir un certain équilibre au sein du pouvoir législatif. Cette première épreuve, qui avait pour but la formation d’un front anti-Hezbollah, s’est soldée par un demi-échec. Le candidat du bloc pro-Hezbollah a finalement emporté la manche, mais de très près. Il a recueilli 65 voix, tandis que le candidat soutenu par les souverainistes et les réformateurs en a recueilli 60. L’issue aurait bien pu être différente si certains députés indépendants ou réformateurs ne s’étaient pas désistés au dernier moment en s’abstenant ou en changeant de camp pour des raisons purement mercantiles.
Mardi a marqué le premier test. On en attend un deuxième dans les prochains jours. Un test de taille. Il s’agit des consultations que le président de la République doit effectuer auprès des députés pour désigner le prochain chef de gouvernement chargé de former le nouveau cabinet. C’est le choix du Premier ministre, poste attribué à une personnalité de confession sunnite, qui représente un défi de taille. L’unité des rangs souverainistes et réformateurs n’est pas chose acquise. Et c’est une aubaine pour le Hezbollah qui, dans ce cas, serait capable de se présenter aisément aux consultations à la tête d’un bloc soudé, et de faire pencher la balance en faveur du candidat de son choix. Il incombera aux deux autres blocs d’y faire face s’ils ne veulent pas se retrouver avec un chef de gouvernement à la solde du parti pro-iranien. Si c’est le cas, les élections du 15 mai dernier n’auront servi à rien, et la majorité qui s’en est dégagé ne serait que chimère.
L’enjeux est majeur. Aucune réforme n’est possible sans souveraineté, et pas de souveraineté durable sans réforme. C’est aux nouveaux venus au Parlement d’accélérer le pas dans la bonne direction. Dans le cas contraire, le Liban continuera sa décente aux enfers à tous les niveaux.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
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