Les récentes élections libanaises portent en elles les germes du changement. Cependant, pour que le changement triomphe, il faudra déployer des efforts considérables.
Le scrutin a de manière historique bouleversé des fiefs politiques traditionnels, plusieurs personnalités considérées comme des piliers irremplaçables de l’ancien système – aussi bien du Hezbollah que des alliés syriens Talal Arslan, Elie Ferzli et Faisal Karamé – ayant perdu leurs sièges. Malgré les efforts massifs de la vieille garde pour s’approprier l’élection, plus de la moitié du prochain Parlement sera probablement composé de nouveaux visages.
Une nouvelle génération de 17 candidats «du changement», dont beaucoup étaient personnellement actifs dans le soulèvement de 2019, a radicalement transformé le paysage politique. Ils ressemblent aux Libanais ordinaires et s’expriment comme eux, contrairement à la classe de kleptocrates que nous avions pris l’habitude de voir au gouvernement. Les nouvelles femmes au pouvoir représentent un changement rafraîchissant par rapport aux épouses et aux sœurs des politiciens – normalement les seules femmes qui ont des chances d’être élues.
La représentation parlementaire du Hezbollah et de ses alliés est passée de 73 sièges à 60. Elle aurait chuté encore plus s’il n’y avait pas eu tous ces votes achetés et ces intimidations flagrantes lors du scrutin. De nombreux partisans traditionnels du Hezbollah se sont abstenus de voter. Le parti chiite a été encore plus déconcerté par la forte baisse des financements et des votes de l’immense diaspora chiite libanaise: beaucoup ont pris la décision capitale de soutenir les candidats réformistes. Les efforts du Hezbollah d’exploiter le vide post-Hariri pour faire élire des candidats sunnites ont lamentablement échoué.
Le chef du parti, Hassan Nasrallah, a reconnu à contrecœur qu’il n’avait plus la majorité absolue, tout en proclamant néanmoins une «énorme victoire». L’un des plus grands perdants, Gebran Bassil, a prononcé un discours démagogique qui rappelle celui de Nasrallah. Il a fermement nié que son parti, le Courant patriotique libre (CPL), ne constituait plus la plus grande faction chrétienne du pays et a souligné qu’il gagnerait encore plus de sièges après les nouveaux décomptes de votes et les recours.
Le Hezbollah mise sur le fait qu’il est le parti le mieux organisé pour dicter le déroulement des négociations postélectorales. Les portes de l’enfer s’ouvriront violemment devant les députés nouvellement élus qui ont une expérience politique en première ligne limitée. Une série de pots-de-vin et de menaces viseront à les contraindre soit à changer de camp, soit à accepter passivement des manœuvres pour paralyser la formation d’un gouvernement jusqu’à ce que d’autres factions cèdent et accordent au Hezbollah son traditionnel «tiers de blocage».
Un parallèle frappant peut être établi avec les proxys paramilitaires de Téhéran honnis en Irak, qui n’ont remporté que dix-sept sièges, soit environ 5% du Parlement, lors des élections d’octobre dernier. Pourtant cet effondrement spectaculaire ne les a pas empêchés de bloquer tout semblant de progrès politique pendant des mois et de réclamer des sièges clés au gouvernement. La tactique du Hezbollah au Liban n’en sera pas moins violente, vile ou maximaliste.
Les députés doivent s’unir et tenir bon contre cette guerre éclair de la politique du «diviser pour mieux régner». Pour cela, ils ont besoin du soutien du régime politique, des citoyens et de la communauté internationale. Les différences, les égos et les idéologies devraient être mis de côté pour le bien de l’existence même du Liban.
«Ces élections ont sensibilisé de nombreux électeurs à l’importance de mettre de côté leurs préférences sectaires. Mais il ne faudrait pas se réjouir de ces modestes débuts: en utilisant toutes les ruses imaginables de son livre de son répertoire, le Hezbollah risquerait fort de voler le résultat des élections» - Baria Alamuddin
Le Liban ne peut pas se permettre des mois de crise. La valeur de la monnaie continue de s’effondrer, la centrale électrique de Deir Ammar à Tripoli a complètement cessé ses activités, les réserves de farine s’amenuisent rapidement et les chauffeurs de taxi protestent contre les nouvelles augmentations des prix du carburant.
Comme Nasrallah le reconnaît lui-même, il faudra «travailler ensemble» pour approvisionner une population plongée dans l’extrême pauvreté en nourriture, en médicaments et en carburant. Compte tenu de ces défis, Nasrallah a appelé à «reporter» la question des armes du Hezbollah de deux ans supplémentaires – un changement de ton intéressant par rapport aux menaces habituelles du groupe d’incendier la région avant de renoncer à son arsenal. L’allusion de Nasrallah à l’identité arabe du Liban exprime un malaise sur la manière dont son asservissement à Téhéran a affaibli le Hezbollah aux yeux de l’électorat.
Le très important plan de sauvetage du FMI peut enfin progresser sous une direction qui n’est pas celle du Hezbollah. Il y a la question des frontières maritimes et terrestres et de la présidence. Les citoyens seraient prêts à accepter n’importe quel candidat tant qu’il ne s’agit pas de Gebran Bassil. Enfin, il y a la question tout aussi problématique de la désignation d'un chef du Parlement. Les factions de la «Résistance» insisteront-elles de nouveau pour faire élire Nabih Berri à tout prix, ou y aura-t-il une certaine flexibilité pour nommer un candidat chiite plus jeune et moins clivant?
Pendant ce temps, à la suite des commentaires de l’ancien responsable du département d’État américain, David Schenker, sur les sanctions financières de l’administration Trump contre le Hezbollah, le groupe a révélé avoir découvert un complot occidental massif visant à détruire l’économie libanaise et à saboter les élections. De manière absurde, le député du Hezbollah Mohammed Raad a averti les opposants que le parti n’accepterait pas qu’ils deviennent des «boucliers sionistes» ou du «carburant» pour une guerre civile.
Au lieu de proférer des menaces et de promouvoir des théories du complot, le Hezbollah devrait intérioriser cette déconvenue électorale et réaliser que dans l’esprit de la plupart des Libanais, l’Iran et Israël sont de manière équivalente des ennemis existentiels des intérêts nationaux. Quiconque sert l’agenda de l’un ou de l’autre sera inévitablement – et à raison – considéré comme un traître.
Ces élections ont sensibilisé de nombreux électeurs à l’importance de mettre de côté leurs préférences sectaires, notamment au sein de la diaspora, où des efforts considérables ont été déployés pour aider les électeurs à faire des choix intelligents parmi les meilleurs candidats.
Mais il ne faudrait pas se réjouir trop vite de ces modestes débuts: en utilisant toutes les ruses imaginables de son répertoire, le Hezbollah risquerait fort de voler le résultat des élections. Cet ennemi redoutable est armé jusqu’aux dents et n’abandonnera pas ses armes sans se battre.
Néanmoins, les élections nous donnent l’espoir de redonner vie au Liban; que le système politique peut être restauré; que ce pôle régional de la culture, du commerce et du tourisme est capable de prospérer; que la vie peut à nouveau valoir la peine d’être vécue; et que le peuple libanais pourra enfin obtenir ce qu’il mérite: un Parlement souverain qui le représente vraiment.
L’État libanais a été pris en otage trop longtemps. Ces élections sont l’espoir d’une remise en liberté et la clé pour briser les chaînes, à condition que nous ayons le courage et la détermination d’aller jusqu’au bout en ouvrant les portes des prisons et en permettant au Liban de retrouver la place qui lui revient dans le monde arabe.
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com