Faut-il «faire avec» la Wasta?

Un homme pêche sur la corniche de Beyrouth, le 15 mai 2022. Dans le classement de Transparency international, on trouve ainsi, sur 180 pays évalués, le Liban classé 154e. JOSEPH EID / AFP
Un homme pêche sur la corniche de Beyrouth, le 15 mai 2022. Dans le classement de Transparency international, on trouve ainsi, sur 180 pays évalués, le Liban classé 154e. JOSEPH EID / AFP
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Publié le Jeudi 26 mai 2022

Faut-il «faire avec» la Wasta?

Faut-il «faire avec» la Wasta?
  • Ce terme, typiquement arabe, désigne le réseau informel de relations et de connexions d’un individu qui lui permettent de bénéficier d’avantages divers au sein de la société
  • Faire perdre de l’influence à cette pratique sans la remettre en question frontalement semble être la manière la plus sûre et la plus respectueuse de la culture arabe

Lorsque l’on vit au Moyen-Orient et lorsque l’on observe un peu la société, on ne peut échapper au concept de «Wasta». Ce terme, typiquement arabe, désigne le réseau informel de relations et de connexions d’un individu qui lui permettent de bénéficier d’avantages divers au sein de la société, que cela soit dans le monde du travail, de l’administration ou des affaires.
Ainsi, la Wasta est utilisée pour trouver un travail, obtenir un entretien, avoir une promotion plus rapidement… Ce n’est pas quelque chose de très bien défini et de très clair, mais il s’avère que ceux qui doivent y faire appel se trompent assez rarement. Le chercheur Fadi Alsarhan tente depuis plusieurs années de comprendre les implications en termes de ressources humaines de ce système de la Wasta, qui est quasiment une institution invisible dans le monde arabo-musulman.

À l’échelle de la société tout entière, le phénomène de la Wasta peut entraîner un ralentissement de la croissance économique, une instabilité politique liée à la frustration de ceux qui ne peuvent avoir recours à ce système et surtout la montée de l’extrémisme.


Pour autant, ce système, qui fait appel au réseau relationnel et familial, doit être distingué de la corruption au sens exact du terme. La Wasta n’est pas à proprement parler un échange monétaire ou de quelconque faveur en échange d’un service. Toutefois, son existence, située dans une sorte de zone grise, fait que les habitants du monde arabe la confondent souvent avec la corruption.
Dans le classement de Transparency international, on trouve ainsi, sur 180 pays évalués, le Liban classé 154e; l’Égypte et l’Algérie, à la 117e place, mais aussi des pays beaucoup plus aisés comme le Koweït ou Bahreïn, respectivement 73e et 78e. En remontant un peu le classement, on trouve l’Arabie saoudite à la 52e position et les Émirats arabes unis (EAU), 24e. Notons que l’organisation non gouvernementale (ONG) n’a même pas pu mesurer le niveau de corruption de la Palestine faute de méthodologie adaptée pour vérifier les données.
Il faut donc clairement considérer que si la Wasta a une influence sur la corruption perçue, elle n’est qu’un élément très secondaire quand on observe les écarts entre les pays arabes perçus comme les plus corrompus et ceux qui semblent les moins corrompus.
Fadi Alsarhan considère que ce phénomène a des conséquences importantes en entreprise. L’individu qui constate des pratiques de Wasta au travail souffrira quant à sa satisfaction au travail, son engagement, sa motivation. Son entreprise verra sa réputation et son image dégradées et elle aura plus de difficultés à conserver ses salariés. À l’échelle de la société tout entière, le phénomène de la Wasta peut entraîner un ralentissement de la croissance économique, une instabilité politique liée à la frustration de ceux qui ne peuvent avoir recours à ce système et surtout la montée de l’extrémisme.

Il faut donc, dans la mesure du possible, que le manager exerçant dans un pays arabe intègre l’existence de la Wasta et s’implique pour en réduire le poids sans l’attaquer de front.


Ce type de répercussion se retrouve souvent lorsque l’on observe les résultats d’enquête dans des pays du Golfe. Ainsi, récemment, des managers koweïtiens estimaient en majorité que le gouvernement ne faisait pas assez contre la corruption. De même, lors de plusieurs enquêtes, on constate que les réponses des personnes interrogées laissent transparaître une certaine frustration, un découragement devant le fait qu’une promotion n’est pas possible pour eux alors qu’ils estiment en avoir les capacités.
Il faut donc, dans la mesure du possible, que le manager exerçant dans un pays arabe intègre l’existence de la Wasta et s’implique pour en réduire le poids sans l’attaquer de front. Il s’agit en effet de se montrer capable de transformer petit à petit ce mode de fonctionnement et d’en réduire les effets néfastes tout en évitant de le remettre brutalement en cause.
Pour cela, on pourra s’inspirer d’autres types de réseaux informels inhérents à d’autres cultures, comme le «Guanxi» en Chine, le «Jeitinho» au Brésil ou le «Compadrazgo» dans d’autres pays d’Amérique latine, et sur la façon dont les sociétés font avec ces systèmes et en réduisent les effets néfastes. Faire perdre de l’influence à cette pratique sans la remettre en question frontalement semble être la manière la plus sûre et la plus respectueuse de la culture arabe qui permettra de rendre plus juste la vie des affaires tout en restant en ligne avec la notion de réseaux informels qui demeure inhérente à la culture arabe.

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres : « Femmes, musulmanes, cadres... Une intégration à la française » et « La femme est l’avenir du Golfe » parus aux éditions Le Bord de l’Eau.


TWITTER: @LacheretArnaud


NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.