Même si toutes les sanctions internationales et autres barrières économiques sont levées et que l'Iran se met à exporter les 2,3 millions de barils par jour prévus dans son budget 2021, il n’a pas de réponse aux défis économiques qui se dressent devant lui. À titre d’exemple, l'effondrement des classes moyennes vers les classes inférieures ne cessera pas. Les niveaux de pauvreté ne changeront guère et plus de 60 millions d'Iraniens continueront à souffrir de la faim. L'économie du pays ne prospérera pas car la source de ses problèmes est interne et structurelle, résultant de la corruption institutionnalisée et des dessous-de-table qui ont rongé le pays de l'intérieur.
Les responsables iraniens accusent les sanctions internationales d'être à la source des problèmes économiques. Ils les blâment par la voix de leurs lobbies occidentaux pour la désintégration de l’infrastructure médicale en ces temps difficiles de Covid-19. Le régime iranien veut faire croire que la levée des sanctions permettra de surmonter plus facilement les problèmes. Mais quand un arbre n'est pas planté, comment peut-il porter des fruits? Depuis l'instauration de ce régime, presque aucune source de production n'a été créée, mais de nombreuses ont été détruites.
Perte des ressources de production iraniennes
Les sanctions ne sont efficaces que lorsqu'elles ont un impact négatif sur la production nationale. À partir de la victoire de Mahmoud Ahmadinejad à l’élection du 24 juillet 2005, la capacité de production s'est détériorée. L'Iran est devenu dépendant des importations bien avant la mise en place des sanctions. Par exemple, les importations sont passées de 16 milliards de dollars (soit 13 milliards d’euros) en 2006 à 90 milliards de dollars (soit 73 milliards d’euros) en 2012. Ainsi, les sources de production disparaissent chaque jour en nombre croissant.
Les bénéfices de ces importations ont principalement enrichi ceux qui contrôlent plus de la moitié de l'économie iranienne, ainsi que les importations du pays, tous les ports et toutes les entrées officielles du pays. Le Corps des gardiens de la révolution (les pasdarans) et les institutions affiliées au Guide suprême contrôlent ces aspects vitaux du pays. Peu enclins à renoncer à d'énormes profits, les pasdarans continuent de détruire les sources de production dans l'agriculture ou l'industrie en important de Chine des marchandises avec des devises offertes par le gouvernement à bas taux de change.
Les richesses ne sont entre les mains que de 4% de la société, alors que le reste de la population s’endort le ventre vide.
Plus d'un trillion de dollars (soit 755 milliards d’euros) de pétrole a été vendu sous la présidence d'Ahmadinejad sans créer de nouvelles sources de production. En revanche, toutes sortes de milices ont vu le jour au Moyen-Orient, et l'Iran a créé ses programmes de missiles les plus avancés. De son côté, le peuple iranien s’enfonce dans la misère.
Problèmes structurels
La théocratie iranienne, dérivée des dogmes religieux médiévaux, n'a jamais été historiquement et socialement dans le cycle de production. Comme un parasite sur un arbre. Aucune usine n'a été construite dans le pays, et les sources de production détruites n'ont pas été remplacées. Malgré l'abondance des ventes de pétrole, l'économie iranienne reste stagnante. À l'inverse, de nombreuses usines et ateliers ont dû fermer. Les pasdarans et leurs institutions affiliées ont constitué des fortunes titanesques en important des marchandises de Chine et d’ailleurs. L'économie iranienne est tenue en otage par les pasdarans et le Guide suprême de l'Iran.
En raison de cette nature régressive, les richesses ne sont entre les mains que de 4% de la société, alors que le reste de la population s’endort le ventre vide.
Contrairement aux gouvernements modernes, le régime iranien voit le pouvoir non pas dans la puissance économique ou l'avancement des technologies et des moyens de production mais, comme Khamenei l'a ouvertement déclaré, dans le terrorisme et la création de milices dans tout le Moyen-Orient.
La corruption est inhérente à ce régime
Dans son dernier rapport annuel, publié le jeudi 28 janvier, Transparency International indiquait que le régime iranien était classé 149e sur 180 pays concernant l'ampleur de sa corruption.
En 2018 et 2019, la Banque centrale a indiqué que l'Iran avait exporté 180 milliards de dollars (147 milliards d’euros) sans que l’on connaisse la destination de ces fonds. Selon des études, avec cet argent, il était possible de fournir des biens et des produits de base pendant trois ans jusqu'à 35 milliards de dollars.
Un député de la Commission de la santé du Majlis (Parlement) a publié sur Twitter: «L'augmentation des prix des matières premières n'a rien à voir avec les sanctions et le taux de change. Nous avons entendu dire qu'un lot de 81 000 tonnes de maïs avait été dédouané sans l'autorisation du ministère de l'Agriculture, et on ne sait pas où est passé le bénéfice de la vente au marché noir qui représente plus de 1 600 milliards de tomans [ancienne monnaie iranienne – 10 riyals d’aujourd’hui].»
L'ancien ministre des Routes et du Développement urbain du président Rohani a déclaré qu'un «réseau de corruption transnationale» s'est formé en Iran, qui est impliqué dans un «marché officieux» dans lequel la valeur des échanges commerciaux est de «20 à 25 milliards de dollars» (soit de 16 à 20 milliards d’euros) par an. Dans une interview publiée le lundi 8 février 2021 par l'agence de presse Isna, Abbas Akhoundi souligne que ce réseau de corruption, devenu international, s'est formé au cours des quinze dernières années. Il a culminé avec le gouvernement d'Ahmadinejad, qui a distribué des parts de 100 milliards de dollars (81 milliards d’euros), principalement aux institutions militaires.
Dans son dernier rapport annuel, publié le jeudi 28 janvier, Transparency International indiquait que le régime iranien était classé 149e sur 180 pays concernant l'ampleur de sa corruption.
Massoud Khansari, président de la chambre de commerce de Téhéran, a déclaré qu'environ 90 milliards de dollars (73 milliards d’euros) avaient quitté le pays entre 2012 et 2020. Au cours des dix dernières années, 35% de la population est passée sous le seuil de pauvreté en Iran.
Selon The Economist, l'Iran connaîtra une contraction de 12%, l'une des croissances négatives les plus importantes de ces dernières décennies. Ainsi, l'économie iranienne subira une croissance négative pendant trois ans, accusant une réduction d’environ 20%. Combinée à la croissance démographique, l'économie iranienne sera confrontée à une baisse de 25 % du revenu par habitant. Les Iraniens sont confrontés à des conséquences complexes et difficiles. De 2012 à 2019, la croissance économique moyenne était proche de 0%, et l'inflation se situait au quatrième rang mondial après le Venezuela, le Zimbabwe et l'Argentine (le taux d'inflation mondial moyen en 2018 était de 4,2 %). À mesure que l'économie se contracte, la répartition des revenus en Iran diminue. Les inégalités économiques se développent à vive allure. Ces chiffres sont plus qu’alarmants.
En Iran, contrairement à tous les autres pays, on gagne d'abord en puissance, puis en richesse. C’est le pouvoir qui est la source de la richesse.
L'ancien ministre des Routes et du Développement urbain du président Rohani a également expliqué qu’il y a cinq gouvernements en Iran et que l'économie iranienne est «plongée dans une corruption profonde et complexe». Selon lui, le réseau de corruption «est partout à la recherche de ses intérêts» et «la voie de l'adhésion au Gafi [Groupe d’action financière] est également bloquée».
Le Conseil de discernement examine actuellement les projets de loi du Gafi relatifs au blanchiment d'argent. Selon des déclarations, les directeurs des institutions économiques relevant du bureau de Khamenei et des institutions financières affiliées aux pasdarans s'opposent à leur adoption.
La corruption, autre aspect de l'économie iranienne
Shamsuddin Hosseini, chef de la Commission pour la prospérité de la production au Parlement, a déclaré le 23 janvier que les chercheurs de rente ont empoché le double du budget total de développement du pays en année iranienne 1400 (2021-2022), en profitant des devises offertes par le gouvernement à des taux de change bas qui devaient être allouées aux importations de biens essentiels.
Après le JCPOA, plus de 150 milliards de dollars (122 milliards d’euros) d'argent iranien bloqué ont été débloqués. Au moins 2 millions de barils de pétrole ont été vendus par jour. Puis les États-Unis se sont retirés du JCPOA et les sanctions ont commencé. Cependant, les soulèvements de 2017 et de 2019, qui ont secoué le gouvernement, ont été déclenchés par la pauvreté, l'inflation et le chômage.
Avec ses politiques belligérantes et son réseau croissant de groupes paramilitaires dans tout le Moyen-Orient, le régime réactionnaire iranien a détruit toutes ses richesses et ses ressources productives, ainsi que ses infrastructures. Il a frappé de pauvreté 60 millions de personnes dans l'un des pays les plus riches au monde. Contrairement à ce que prétendent les lobbies de ce régime, les sanctions ne sont pas le grand problème de l'économie iranienne: le problème réside dans le pillage et la corruption institutionnalisée.
Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.
Twitter: @h_enayat
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com