Le premier round de la confrontation entre la résistance et le régime fondamentaliste d'Iran est terminé. Et les deux camps réclament la victoire. Le régime iranien affirme qu'il a pu contrôler les manifestations. Les opposants font eux remarquer l’effondrement partiel du régime. Si le second point est factuel et facilement vérifiable, les annonces faites par le Guide suprême et ses affidés relèvent plus de la propagande, d’une volonté assumée de focaliser l’attention sur le gros arbre abîmé dans une vaine tentative de camoufler la forêt décimée.
C’est dans ce cadre qu’a été célébré le 9 décembre dernier l’anniversaire de la répression des émeutes de 2018. Il y a quatre ans, le pouvoir avait organisé des contre-manifestations vantant ses mérites et vouant les monafeghines (1) aux gémonies. C’est ce non-événement, qui plus est non spontané, que la théocratie a décidé de porter aux nues afin de prouver qu’il avait bel et bien contrôlé les manifestations et maté la rébellion.
Pourtant, dans le même temps, le CGRI (2) rédigeait un rapport confidentiel démontrant par l’observation sur le terrain que le contrôle de la révolte était tout bonnement impossible. Dans ce document que les résistants, particulièrement bien infiltrés, ont pu obtenir, on peut lire par exemple que «les rassemblements épars avec une petite population sont devenus centraux. De cette façon, la perturbation s'est étendue des rues et des places principales aux ruelles. Il semble que cette méthode de rassemblement et d'émeute est totalement ciblée et guidée et a été mise à l'ordre du jour avec plusieurs objectifs». Notamment réduire le nombre d'arrestations dans les rangs de la résistance, impliquer davantage de personnes dans le soulèvement et rendre les forces répressives plus vulnérables…
D’autre part, les grandes manifestations organisées dans plus de 282 grandes villes et dans toutes les provinces en presque quatre mois, malgré 30 000 arrestations, montrent que le régime n'est pas en mesure de contrôler ce mouvement. Même l'exécution infâme de deux manifestants le confirme. Le pouvoir ne semble même plus en mesure de commettre des tueries à grande échelle comme en 2019. Et si jamais il les commettait, elles seraient vécues comme une provocation ultime, une carte blanche délivrée à l’opposition et lui permettant d’entrer dans la lutte armée.
Effondrement de la grandeur du régime
De son côté, la résistance estime que la grandeur du régime s'est effondrée dans l'esprit du peuple et que la grande majorité des personnes pensent à le renverser. La peur a changé le camp. C’est désormais un fait. Un fait d’autant plus marquant que les plus hautes autorités chiites des villes saintes de Qom et de Mashhad ne soutiennent plus le Guide suprême, Ali Khamenei.
Mohammed Ghalibaf, président du Parlement, évoque lui aussi une nouvelle gouvernance, estimant que le régime peut être sauvé en limitant les pouvoirs du Guide suprême. Sur ce point, Ghalibaf peut compter sur le soutien des réformistes, principal courant politique au sein du régime. Ces derniers ne soutiennent plus Ali Khamenei. Le Guide, quant à lui, reste intimement convaincu que le moindre pas de recul serait le dernier mouvement du régime. Vouloir le sauver en lui substituant un succédané signerait sa mort définitive.
Pour cette raison, il ne condamnera jamais les auteurs de la mort de Mahsa Amini (3) alors qu’un simple geste au début des émeutes aurait sans doute changé le cours de l’Histoire. Au contraire, Ali Khamenei s’enferme dans sa logique et use de ruses et de propagande. Il affirme que sans lui et sans un régime fort, Kurdes et Baloutches se précipiteront vers le séparatisme. Comme il abuse de l’argument selon lequel les États-Unis s’ingéreraient dans la politique intérieure du pays. Mais à force de répéter les mêmes mensonges sans jamais y apporter la moindre preuve tangible, le Guide a provoqué la lassitude. C’est toute sa rhétorique qui devient aujourd’hui inaudible, y compris dans les rangs de ses propres forces.
Preuve en est, plus de 40% des personnes arrêtées dans la ville d’Ilam étaient des enfants de bassidjis (4), de Gardiens de la révolution et de vétérans de guerre entre l’Iran et l’Irak. Enfin, le ralliement sans concession d'artistes et de sportifs issus des élites de la classe moyenne à la résistance est une preuve supplémentaire de l'isolement croissant du régime.
Sur le front de la résistance, la détermination se renforce de jour en jour. Sur la tombe de Majid Rahnavard, pendu par le régime, un membre d’une unité de résistance a scandé: «Il est interdit de s'incliner devant le régime.» Et c’est devenu le principal slogan de la journée pour tous les manifestants.
Un problème fondamentalement politique
Le problème du régime est fondamentalement politique. Une très vaste campagne de mensonges à l'étranger ou à l'intérieur du pays contre les forces de résistance consiste à dire qu'il n'y a pas d'alternative et que s'il y en a une, c'est le retour à la monarchie, chose irréalisable dont personne ne veut. Si le pouvoir œuvre ainsi, c’est simplement qu’il n'a pas la moindre capacité de faire marche arrière, même d’un tout petit pas.
Désormais, le deuxième round débute, avec les femmes à l'avant-garde dans la province du Baloutchistan. Le document confidentiel évoqué plus haut indique qu’«en raison de la possibilité que les émeutes entrent dans une phase armée dans tout le pays, il est nécessaire que les autorités chargées de la sécurité prennent les mesures nécessaires face aux menaces spéciales. La tendance croissante à l'utilisation de cocktails Molotov et de grenades artisanales par les monafeghines indique que le mouvement obstiné est tout à fait prêt à commettre des actions violentes».
La résistance doit construire le pouvoir depuis la rue. Et même si le nombre de personnes diminue, l'intensité de la bataille, elle, augmente. Il est clair que la résistance profitera des grèves nationales et de la grève des travailleurs des compagnies pétrolières davantage que dans le passé pour détruire son ennemi.
(1) Surnom donné aux membres de l’Ompi (Organisation des moudjahidines du peuple iranien) par le pouvoir. Monafeghine signifie «hypocrite», au sens religieux du terme.
(2) Corps des gardiens de la révolution islamique, armée de soutien direct au Guide suprême, non contrôlée par le gouvernement.
(3) Jeune femme kurde tuée par la police des mœurs le 16 septembre 2022 pour avoir mal porté le voile, alors qu’elle visitait la capitale en famille.
(4) Milice dépendant directement du CGRI.
Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.
Twitter: @h_enayat
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.