En approuvant l’accord visant à l’échange de prisonniers condamnés entre la Belgique et l’Iran, le gouvernement et les parlementaires belges ont clairement indiqué au peuple d’Iran qu’ils n’entendaient pas sa voix, pensant sans doute que nourrir le crocodile permettrait de l'apprivoiser et de l'empêcher de déchirer davantage de chair humaine. Il est pourtant établi, depuis la naissance de la République islamique, que la prise d’otages et le chantage permanent à la vie sont les éléments d’une stratégie assumée du régime des mollahs.
Et il n’aura pas fallu longtemps après la signature de cet accord historique qui, selon le barreau de Bruxelles, est contraire à la Constitution belge, pour que l’État iranien en fasse de nouveau la preuve. C’est tout d’abord John Bolton, ancien ambassadeur des États-Unis à l’Organisation des nations unies (Onu) et ancien conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche qui s’est trouvé ciblé par un complot visant à son assassinat pur et simple. Quelques jours plus tard, l’écrivain Salman Rushdie, objet d’une fatwa de la main du Guide suprême datant de 1989, a été gravement blessé après avoir été attaqué au couteau.
S’il subsistait encore des doutes quant aux intentions de l’Iran, ils doivent être définitivement levés. Les conséquences possibles de l'approbation de ce projet de loi inquiétant deviennent plus claires. Nourrir le crocodile ne permet pas de l’apprivoiser, mais le rend, au contraire, plus prédateur encore.
Maintien de relations commerciales… ou lâcheté politique?
En 2018, Assadollah Assadi, un diplomate iranien, avec ses complices, projette de faire exploser une bombe à l’occasion d’un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de personnes auquel participent des personnalités politiques du monde entier. Il est arrêté pour son projet d’attentat. Et bien que la justice indépendante belge ait fait son travail en le condamnant sévèrement, le diplomate terroriste sera l’objet d’un échange contre d’innocents otages occidentaux retenus dans les geôles iraniennes sous des prétextes fallacieux. Encore une fois, l’Occident décide de rejouer la politique de l’apaisement…
Exactement comme en 1988, quand trente mille prisonniers politiques étaient purement et simplement massacrés par le pouvoir et que les pays occidentaux fermaient les yeux et se bouchaient les oreilles. Il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, dit l’adage. Il est important de rappeler que les négociations sur le pétrole et les relations commerciales avec la République islamique filaient bon train. Les intérêts économiques prédominaient déjà sur la vie et la politique de l’apaisement avait déjà cours.
Un journal occidental a même osé la comparaison entre Qassem Soleimani, le général de la force Qods responsable de multiples massacres au Moyen-Orient et notamment en Syrie, avec Che Guevara! C’est pourtant bien M. Soleimani qui a permis la prise de position dominante de la Russie dans ce conflit meurtrier à plus d’un titre. Mais là encore, l’Occident a fini par jouer l’apaisement. Et l’on pourrait multiplier les exemples ad libitum, au Yémen ou en Irak par exemple, où des milices affiliées à l'Iran ont commis des crimes et ont reçu, en guise de sanction, quelques milliards de dollars (1 dollar = 1,01 euro) en cryptomonnaie et un peu de cash envoyé par avion.
Récemment, Amnesty International évoquait une vague croissante d'exécutions publiques en Iran. Partout, les patrouilles morales attaquent les femmes avec et sans hijab. La répression féroce ne cesse de se faire plus dure et plus violente, mais du côté de l’Occident, les négociations sans fin pour parvenir à un accord imaginaire sur le nucléaire se poursuivent, et la politique d'apaisement ne renonce toujours pas à cette chimère.
Mohammad Marandi, membre de l'équipe de négociation nucléaire iranienne, a réagi à l'attaque contre Salman Rushdie. Il a écrit sur Twitter: «Je ne verse pas de larmes pour un écrivain qui répand la haine et les insultes contre l'islam et les musulmans. C'est un jouet des puissances impériales qui s'est imposé comme un écrivain postcolonial. Mais n'est-il pas étrange qu'à l'approche d'un possible accord nucléaire, les États-Unis aient affirmé que M. Bolton soit victime d’un complot, et qu'ensuite cela se produise?
Exactement comme en 1988, quand trente mille prisonniers politiques étaient purement et simplement massacrés par le pouvoir et que les pays occidentaux fermaient les yeux et se bouchaient les oreilles.
Hamid Enayat
La nomination d'Ebrahim Raïssi à la présidence est la solution finale
Le soulèvement de la jeunesse rebelle en 2019, qu’Ali Khamenei n'a pu contenir qu'en donnant l’ordre de tirer dans la foule, l'a amené à la conclusion que la seule façon de survivre était de s'unir contre le flot des rébellions. Le coronavirus et l'avion ukrainien abattu délibérément n’auront pas suffi à faire cesser les soulèvements. Par conséquent, le Guide suprême a considéré que la seule solution était la «nomination» d'Ebrahim Raïssi, fidèle parmi les fidèles, au poste de président, afin que ce dernier puisse réprimer les manifestations en exécutant ses ordres tout en conservant la main dans l’objectif d’obtention des armes nucléaires.
Dans les faits, si le Guide suprême avait sincèrement voulu parvenir à un accord sur le nucléaire avec les pays occidentaux, il aurait été signé sous la présidence d’Hassan Rohani, aidé de son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Ces pseudo-négociations n’ont qu’un seul but; elles servent à gagner du temps dans la course à l’arme nucléaire.
La nomination au poste de président d’un homme activement impliqué dans le massacre des prisonniers politiques en 1988 est une indication claire de la radicalisation de la République islamique. Le but est le même depuis la naissance de la révolution islamique en 1979; faire avancer sa cause en créant la terreur, par le biais de prises d’otages répétées, en multipliant les attentats, en essayant de faire exécuter John Bolton ou encore en tentant d’assassiner Salman Rushdie.
À ce jour, la seule résistance au gangstérisme affiché par l’État iranien est l’œuvre des peuples d’Iran. Plus de cinq mille unités de résistance ont été formées en Iran depuis 2016. Et ces unités n’ont qu’un seul objectif; renverser la terreur dans le but de créer un gouvernement laïc prônant, entre autres, la démocratie directe, l’égalité des sexes, la liberté de culte et la possibilité d’autodétermination des différentes ethnies composant le pays. Le peuple iranien a pris sa décision. Il affronte le régime. Mais qu’en est-il de l’Occident? Que fait ce grand défenseur des libertés fondamentales et des causes humaines? Quelle quête poursuit-il désormais? Souhaite-t-il se tenir aux côtés d’un peuple souverain ou préfère-t-il rester le complice d’un régime déjà condamné par le verdict de l’Histoire pour de basses raisons pécuniaires? Le courage de l’Occident ne serait-il qu’une façade?
Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.
Twitter: @h_enayat
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com