La crise du blé dans le monde arabe devrait inciter au changement

Une femme porte un sac de farine de blé lors d’une distribution d’aide alimentaire par une association caritative locale à Sanaa, au Yémen (Photo, Reuters).
Une femme porte un sac de farine de blé lors d’une distribution d’aide alimentaire par une association caritative locale à Sanaa, au Yémen (Photo, Reuters).
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Publié le Vendredi 29 avril 2022

La crise du blé dans le monde arabe devrait inciter au changement

La crise du blé dans le monde arabe devrait inciter au changement
  • Alors que la sécurité alimentaire est déjà mise à rude épreuve, les pays arabes font désormais face à une situation économique désastreuse
  • La question la plus controversée restera le prix du pain, que les gouvernements ne doivent pas augmenter s’ils veulent éviter les émeutes

«La vie sans pain n’est pas une vie», dit un vieux dicton arabe. Le pain est si indispensable dans l’alimentation arabe que, dans certains pays, il est mieux connu sous le nom d’«aish» –littéralement «la vie». Il n’est donc pas surprenant que les pays arabes fassent partie des plus gros importateurs de blé au monde. En tête de liste figurent les treize mille tonnes à destination des ports égyptiens. C’est pour cette raison que les effets des récents événements géopolitiques ont été aussi profondément ressentis dans le monde arabe.
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de nombreux pays dépendent fortement des importations de blé et d’orge. Les gens sont fortement affectés par la flambée des prix à la suite de la guerre en Ukraine. Alors que la sécurité alimentaire est déjà mise à rude épreuve en raison des changements climatiques, du stress hydrique et de la pandémie de Covid-19, les pays arabes font désormais face à une situation économique encore plus désastreuse que celle qui a conduit aux soulèvements populaires de 2011.
L’urbanisation, les changements climatiques et le passage à l’agriculture marchande ont limité la production locale de denrées de base dans le monde arabe. Les importations ont considérablement augmenté à cause de la croissance démographique. La Russie et l’Ukraine, deux grands exportateurs de céréales, envoient près de la moitié du blé qu’elles produisent dans les pays de la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Le Liban, l’Égypte, la Libye, les Émirats arabes unis (EAU) et la Tunisie sont les principaux importateurs, bien que de nombreux autres pays – riches et pauvres – dépendent énormément de ces livraisons. Les nations en guerre produisent également 80 % de l’huile de tournesol mondiale, dont l’Égypte, l’Irak, le Liban et les EAU sont les principaux importateurs. On estime que 25 % des exportations de blé de la Russie et de l’Ukraine et 50 % de leurs exportations de maïs prévues pour 2021-2022 sont retardées. Étant donné que les prix du blé ont déjà augmenté de 80 % depuis 2020, la guerre est particulièrement inquiétante pour les gouvernements arabes.
David Malpass, directeur de la Banque mondiale, a averti la semaine dernière que la hausse record des prix des denrées alimentaires plongerait des centaines de millions de personnes dans une «catastrophe humaine» si la guerre en Ukraine devait se poursuivre. La Banque mondiale a déjà estimé que la guerre entraînerait une flambée des prix de 37 %, mais peu ont une visibilité quant à l’incidence qu’un conflit prolongé pourrait avoir sur les chaînes d’approvisionnement. Les personnes plus exposées à de tels chocs sont les pauvres, ce qui est particulièrement difficile dans les États post-révolutionnaires du monde arabe qui ont déjà été le théâtre de troubles.
En Syrie et au Yémen, d’importantes franges de la population ne peuvent plus se procurer les aliments de base du fait de conflits de longue date. Les prix des denrées alimentaires au Liban ont augmenté de plus de 1 000 % au cours des trois dernières années, dans un contexte de chaos politique et d’instabilité. En Tunisie, où le gouvernement cherche encore à obtenir un autre plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI), les rayons des supermarchés sont vides en raison des pénuries, les achats sont dictés par la panique et plusieurs parties cherchent à augmenter leurs profits en exacerbant la crise du coût de la vie dans le pays.

«Étant donné que les prix du blé ont déjà augmenté de 80 % depuis 2020, la guerre est particulièrement inquiétante pour les gouvernements arabes.» - Zaid M. Belbagi

En Égypte, où le gouvernement fournit du pain subventionné à hauteur de deux cent soixante-dix millions de pains par jour à soixante et onze millions d’habitants, le ministère de l’Agriculture a annoncé que la plupart des produits alimentaires de base étaient disponibles pour répondre à la consommation pour les six à neuf prochains mois au moins. Cette situation s’explique par des investissements émiratis d’un montant de près de deux milliards de dollars (1 dollar = 0,95 euro) dans des participations détenues par l’État au sein d’entreprises. Bien que ces mesures puissent temporairement servir de rempart, elles ne permettront pas de contenir les inévitables défis politiques causés par la crise actuelle.
L’Autorité palestinienne a averti ce mois-ci qu’elle pourrait manquer de blé d’ici à trois semaines seulement. L’association caritative britannique Oxfam ajoute que les Gazaouis pauvres seront les premiers à souffrir de la faim en raison des pénuries et de la hausse des prix.
Au Maroc, qui est moins vulnérable que ses voisins, car la plupart de ses céréales sont importées du Canada, des appels à la démission du Premier ministre sont lancés à cause de la flambée des prix. En Irak, des manifestants sont descendus dans les rues, après que le prix de la farine a brusquement augmenté de près d’un tiers. En Tunisie, nombreux sont ceux qui craignent un retour aux émeutes du pain des années 1980, sachant que les familles luttent déjà pour le ramadan cette année. Dans l’ensemble du monde arabe, où les gouvernements successifs s’efforcent depuis plus d’un demi-siècle de maintenir le pain subventionné à un prix abordable, la crise actuelle des produits de base, aggravée par les difficultés économiques existantes provoquées par la pandémie, a créé les conditions idéales pour des bouleversements politiques.
Les producteurs de blé d’Amérique du Sud ont actuellement des excédents supérieurs à la moyenne de la dernière récolte disponible pour l’exportation. Dans l’ensemble, cependant, il sera difficile d’augmenter l’offre mondiale de blé à court terme. Les gouvernements doivent trouver d'autres partenaires alternatifs aux États-Unis, en Inde et en Australie ou continuer à se démener pour trouver des solutions à court terme à la crise.
La question la plus controversée restera le prix du pain, que les gouvernements ne doivent pas augmenter s’ils veulent éviter les émeutes. La hausse des prix déclenchera des troubles, comme elle l’a fait, de manière spectaculaire, à la suite des mauvaises récoltes de blé russe en 2010. La crise actuelle en Ukraine devrait inciter le monde arabe à promouvoir des habitudes alimentaires alternatives et une agriculture locale durable, car la région continuera de subir des chocs concernant son niveau de vie étant donné que son climat se réchauffe plus rapidement que la moyenne mondiale.

* Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Twitter: @Moulay_Zaid
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com