L’extrême droite en France, désavouée mais pas vaincue

Emmanuel Macron n’est plus l’insurgé qui abolit le cadre du bipartisme traditionnel. (AFP)
Emmanuel Macron n’est plus l’insurgé qui abolit le cadre du bipartisme traditionnel. (AFP)
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Publié le Mardi 26 avril 2022

L’extrême droite en France, désavouée mais pas vaincue

L’extrême droite en France, désavouée mais pas vaincue
  • Emmanuel Macron est devenu le premier président sortant à être reconduit depuis deux décennies – et le premier à le faire avec une majorité parlementaire depuis Charles de Gaulle
  • La stratégie de Macron pour le second tour s’est largement articulée autour des dangers de l'extrême droite, présentant Le Pen comme un pion de Moscou

Emmanuel Macron est devenu le premier président sortant à être reconduit depuis deux décennies – et le premier à le faire avec une majorité parlementaire depuis Charles de Gaulle. C'est là un exploit extraordinaire pour le jeune dirigeant français, mais son triomphe n’en demeure pas moins limité. Nombreux sont ceux qui se sont abstenus de voter, et beaucoup ont voté uniquement contre son adversaire, Marine Le Pen, et non pour lui ou son programme. Ainsi, de nombreux Français ont voté pour le candidat qu'ils détestaient le moins.

S'agissait-il du second tour souhaité par l'électorat français – une réédition de 2017, lorsque Macron a battu Le Pen au second tour avec une différence de pourcentage de plus de 30 points? Le fait que l'on en soit revenu aux deux mêmes candidats met en évidence le peu de choix offerts lors de cette élection. Peu d'électeurs français se sont sentis inspirés et l'enthousiasme n’était pas au rendez-vous. Macron n'est plus l'insurgé qui abolit le cadre du bipartisme traditionnel: il fait désormais partie intégrante de l'establishment. Il n’en demeure pas moins que les Français n’ont pas eu droit à beaucoup d’égards et qu’ils se sont vu proposer des visions très différentes. Néanmoins, aucune d’entre elles ne semble avoir conquis le cœur du public.
C'est pourquoi les appels lancés par Macron à la dernière minute pour exhorter les citoyens à voter avaient pour thème le référendum choc du Brexit au Royaume-Uni et l'élection de Donald Trump aux États-Unis en 2016. Il savait pertinemment que les abstentionnistes et ceux qui voteraient blanc pouvaient s'avérer cruciaux. «Pensez à ce que disaient les citoyens britanniques quelques heures avant le Brexit ou [les gens des] États-Unis avant l'élection de Trump: “Je n'y vais pas, à quoi bon?” Je peux vous dire qu'ils l'ont bien regretté le lendemain. Le lendemain, ils se sont réveillés avec une gueule de bois», a-t-il ainsi déclaré.

La stratégie de Macron pour le second tour s’est largement articulée autour des dangers de l'extrême droite, présentant Le Pen comme un pion de Moscou et rappelant le prêt de 9,8 millions de dollars que son parti a contracté auprès d'une banque tchéco-russe en 2014. «Vous parlez à votre banquier quand vous parlez de la Russie, c'est ça le problème. Vous ne pouvez pas défendre correctement les intérêts de la France sur ce sujet, puisque vos intérêts sont liés à des personnes proches du pouvoir russe», a-t-il martelé. Le Pen a eu beau affirmer que son parti remboursait son prêt, elle peinait à convaincre. Le Kremlin se serait réjoui d’un triomphe de Le Pen.

Sur l'Union européenne (UE) et l'Otan, les deux candidats ont proposé des approches diamétralement opposées. Macron souhaite que la France soit le fer de lance de ces deux organisations. Pour sa part, Le Pen ne défend plus la sortie de la France de l’Union européenne, mais elle souhaite œuvrer plutôt à faire imploser l’UE de l’intérieur. Elle insiste en effet pour placer la souveraineté française au-dessus des diktats de Bruxelles et le droit français au-dessus du droit européen. Elle s'est également engagée à introduire la «priorité nationale», c'est-à-dire à modifier la Constitution pour donner aux citoyens français des droits supérieurs à ceux des résidents non français, ce qui serait en contradiction avec les principes de l'UE. Le Pen souhaitait également le retrait de la France du commandement militaire de l'Otan, alors que les membres de l'alliance se sont rarement sentis aussi menacés par la Russie.

Sur la question de l'islamophobie, Macron a mis en garde contre une guerre civile en cas de victoire de Le Pen en raison de son projet d'interdire le port du voile en public. Alors que la campagne anti-immigrés et anti-islam de Le Pen aliène les musulmans français, beaucoup ne sont guère impressionnés par le fait que Macron ait embrassé des idées islamophobes pour engranger des votes. Au premier tour, 69% des musulmans français ont soutenu le candidat d'extrême gauche Jean-Luc Mélenchon. Au fur et à mesure de la campagne, Le Pen s'est moins focalisée sur l'interdiction du voile, entretenant au contraire une image plus douce et moins extrême. Il s'agit d'une ligne de fracture en France, vouée à s'élargir.

Parmi les grands thèmes abordés figure celui de l'économie et de la cherté de vie, qui a été au centre des préoccupations de Mme Le Pen avec son programme de réduction des impôts. La guerre en Ukraine l'a aidée sur ce point, avec la hausse des prix des carburants et des denrées alimentaires. Mais, même sur ce sujet, elle n'a pas inspiré confiance. Lors du débat présidentiel du 20 avril, Macron a suscité l’agacement de sa concurrente en soulignant que le mot «chômage» ne figurait même pas dans son programme. «C'est la reconnaissance du travail bien fait au cours des cinq dernières années, merci», a-t-il lancé. De son côté, Le Pen a tenté de s’en prendre à la politique de Macron qui consiste à faire passer l'âge de la retraite de 62 à 65 ans, arguant que, sous Macron, les Français travailleront toute leur vie.


Macron semble loin d’avoir réussi à se défaire de l'étiquette de «président des riches». Son attitude distante et quelque peu arrogante déplaît. Impeccablement vêtu, Macron mise sur une apparence présidentielle plutôt que sur une allure décontractée. Sa rhétorique hautement intellectuelle et sa propension à utiliser des expressions françaises obscures et désuètes n’inspirent ni chaleur ni proximité.
Il n'est pas de bon augure pour la France que la victoire de Macron repose davantage sur un vote contre l'extrême droite que sur une adhésion à ce que le président sortant représente. Son mandat risque d’être trop fragile pour apporter un changement dans un pays qui se sent abattu et économiquement défavorisé.
Dans une perspective historique plus large, il semble que l'extrême droite ait le vent en poupe. En tant que candidat du Front national en 2002, Jean-Marie Le Pen, le père de Marine, n'a obtenu que 18% des voix au second tour, ce qui semblait étonnant à l'époque. Marine Le Pen a obtenu 34 % en 2017 et devrait dépasser les 40 % cette année. Qui sait à quel point les extrêmes seront forts la prochaine fois? Plus il y a d'électeurs prêts à envisager de voter pour l'extrême droite, moins ses idées semblent extrêmes.

Pour endiguer la montée apparemment inexorable de l'extrême droite, Macron devra montrer clairement qu’il tient ses promesses.

Chris Doyle

Pour endiguer cette montée apparemment inexorable de l'extrême droite, Macron devra montrer clairement qu’il tient ses promesses. Contrairement à 2017, il n'aura pas de période de grâce. Heureusement pour lui, il est particulièrement endurant. En effet, les batailles électorales sont loin d'être terminées. Au mois de juin, il affrontera les élections législatives, à l’issue desquelles il doit conserver une majorité pour s'assurer qu'il a le pouvoir de changer la France.
Une grande partie de l'Europe, et notamment Bruxelles, poussera cette semaine un énorme soupir de soulagement. Une victoire de Le Pen aurait rivalisé avec le Brexit en matière de choc, d'autant que la crise ukrainienne a mis en péril la sécurité européenne. Mais les Européens noteront que «l’heure de vérité» n'est peut-être pas encore arrivée et que les forces de l'extrême droite et du populisme continuent de progresser, tandis que les élites politiques traditionnelles – pas seulement en France – ne parviennent pas à apporter de réponses aux questions qui préoccupent la plupart des gens. Le défi de la démocratie libérale en France est bel et bien là.

Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension entre Arabes et Britanniques, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
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