Reconnaissance franco-britannique : un tournant pour la Palestine ?

Short Url
Publié le Mardi 29 avril 2025

Reconnaissance franco-britannique : un tournant pour la Palestine ?

Reconnaissance franco-britannique : un tournant pour la Palestine ?
  • Emmanuel Macron et le Premier ministre Keir Starmer côte à côte, à la tête des deux anciennes puissances coloniales européennes qui, il y a plus d’un siècle, ont retracé le Moyen-Orient de manière brutale et impériale
  • Les principales nations de l’accord Sykes-Picot, dont la Grande-Bretagne, également à l’origine de la tristement célèbre Déclaration Balfour, pourraient ainsi remédier une petite partie des dégâts, commis dans les salons diplomatiques

Ce changement aurait dû intervenir il y a fort longtemps. Cela pourrait encore ne pas se produire. Cela devrait aller de soi : une décision simple, évidente, sans controverse. Et pourtant, il n’en est rien. Malgré tout, une étincelle d’espoir a brillé dans les coeurs avec les récentes déclarations du président français Emmanuel Macron. Pour la première fois, une grande puissance semble prête à rejoindre les 147 États ayant déjà reconnu l’État de Palestine. « Nous devons progresser vers la reconnaissance et nous le ferons dans les prochains mois », a-t-il affirmé ce mois-ci.

Mais la France ne peut agir seule. Cette reconnaissance ne doit pas être perçue comme une initiative personnelle d’Emmanuel Macron. Est-il trop optimiste d’imaginer que d’autres nations suivront le mouvement ? Plus que tout, une puissance en particulier, le Royaume-Uni, devrait emboîter le pas, insufflant ainsi un nouvel élan à une Entente cordiale resignée.

Imaginez une reconnaissance conjointe de la Palestine par la France et le Royaume-Uni. Le symbole serait immense. Emmanuel Macron et le Premier ministre Keir Starmer côte à côte, à la tête des deux anciennes puissances coloniales européennes qui, il y a plus d’un siècle, ont retracé le Moyen-Orient de manière brutale et impériale. Les principales nations de l’accord Sykes-Picot, dont la Grande-Bretagne, également à l’origine de la tristement célèbre Déclaration Balfour, pourraient ainsi remédier une petite partie des dégâts, commis dans les salons diplomatiques emplis de fumée de cigares.

Les États-Unis deviendraient ainsi le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU à ne pas reconnaître l'État de Palestine. Une telle décision pourrait encourager les puissances européennes et d'autres nations à suivre cet exemple. Combien de temps encore, par exemple, l’Allemagne, l’Italie ou les Pays-Bas accepteraient-ils de rester en retrait ? Des pays comme le Canada, l’Australie, le Japon, la Corée du Sud ou la Nouvelle-Zélande pourraient-ils emboîter le pas ? Un élan diplomatique soutenu serait alors déterminant.

Les principales nations de l’accord Sykes-Picot pourraient ainsi remédier une petite partie des dégâts.

                                                 Chris Doyle

Tout texte mentionnant une reconnaissance serait important. Il devrait reconnaître la Palestine sur les frontières de 1967, avec effet immédiat. Il stipulerait sans aucun doute que si la Palestine et Israël convenaient de nouvelles frontières, celles-ci seraient modifiées en conséquence. L'un des problèmes concernerait les ambassades. Les dirigeants palestiniens souhaiteraient une ambassade à Jérusalem, tout comme Israël souhaite que ces États transfèrent leur présence diplomatique de Tel-Aviv vers cette ville. Compte tenu de la situation, des ambassades pourraient être installées temporairement à Ramallah, avec des consulats à Jérusalem. La position politique européenne à long terme a toujours été de ne reconnaître la souveraineté d'aucun État sur aucune partie de la ville.

Mais aucune de ces mesures n’est susceptible de résoudre le conflit ou de mettre fin au génocide et au système d'apartheid. La reconnaissance ne devrait même pas être la priorité, qui doit désormais être de mettre fin au siège total de Gaza imposé il y a plus de 50 jours et à la rage de bombardements que les forces israéliennes mènent le jour au jour. La reconnaissance serait absurde si ces processus ne sont pas immédiatement arrêtés.

La France a averti que la reconnaissance sera conditionnée à la libération des otages à Gaza et à la cessation du contrôle de la bande de Gaza par le Hamas. Mais cela ne fait que motiver le Hamas à ne pas accéder à ces deux demandes, car il s'oppose à une solution à deux États.

Si la gestion de l’urgence actuelle reste prioritaire, les perspectives à moyen et long terme demeurent tout aussi essentielles. C’est dans ce contexte que le sommet prévu en juin entre Emmanuel Macron et l’Arabie saoudite prend une importance capitale. La visite, la semaine dernière, du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, à Riyad en a souligné les enjeux. En diplomatie, la préparation en amont compte souvent autant, sinon plus, que l’événement lui-même.

Si les acteurs extérieurs souhaitent véritablement parvenir à une solution, cela ne fait que renforcer l’option qu’ils privilégient depuis longtemps : la solution à deux États. Hormis les États-Unis, la quasi-totalité des pays saluent cette décision pour mettre fin au conflit. Pourtant, beaucoup d’entre eux n’ont jusqu’à présent reconnu qu’un seul État : Israël.

Si les acteurs extérieurs souhaitent véritablement parvenir à une solution, cela ne fait que renforcer l’option qu’ils privilégient depuis longtemps : la solution à deux États.

                                                           Chris Doyle

De nombreux Palestiniens ne considèrent plus la solution à deux États comme viable compte tenu de l'ampleur de la colonisation illégale israélienne. La reconnaissance ne doit donc pas exclure toute autre solution à long terme, notamment l'option d'un seul État, fédéral ou binational, mais elle permettrait au moins à un État palestinien de négocier en tant qu'État et d'être respecté comme tel.

Israël attendra une nouvelle reconnaissance de son statut d'État par les puissances régionales. Mais il devrait mettre fin à son occupation et reconnaître un État palestinien. C'est le strict minimum, essentiellement l'Initiative de paix arabe de 2002 : un retrait total en échange d'une paix totale.

De nouvelles reconnaissances de la Palestine renforcent le soutien international au droit des Palestiniens à l'autodétermination et confirment qu'en tant que peuple, ils ont des droits nationaux. Cela mettrait un terme aux polémiques cruelles concernant le statut de la Palestine en tant qu’État au sein des instances internationales. Les groupes anti-palestiniens continuent d’affirmer, sans aucun fondement juridique, que ces institutions ne peuvent exercer leur compétence, sous prétexte que la Palestine ne serait pas un État.

Nombreux sont ceux qui pourraient considérer la France et la Grande-Bretagne comme des vestiges d'une époque révolue. Pourtant, une telle initiative conjointe, dès à présent, montrerait que ces deux puissances conservent un poids réel sur la scène internationale. Elles ont encore la capacité d’influencer les dynamiques mondiales dans la bonne direction, surtout lorsque les États-Unis agissent davantage en obstacle qu’en moteur de solution.

Mais si l’Europe veut être prise au sérieux, elle doit aller jusqu’au bout : une reconnaissance pleinement collective de l’État de Palestine. Le continent pourrait ainsi prouver qu’il est aussi disposé à faire évoluer sa position sur le Moyen-Orient qu’il l’a été face à la Russie et à l’Ukraine.

Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding à Londres. X: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com