ISTANBUL: Le philanthrope turc Osman Kavala, détenu sans jugement depuis quatre ans et demi pour des accusations qu'il a toujours niées, devrait être fixé lundi sur son sort, au terme d'un procès marathon éminemment politique.
Il encourt la prison à vie.
Accusé d'avoir cherché à renverser le gouvernement, le mécène a dénoncé vendredi face aux juges l'influence du président turc Recep Tayyip Erdogan sur son procès, ainsi qu'"un acte d'accusation étrange basé sur des théories du complot et des faux témoignages".
Les plaidoiries de ses défenseurs ont été renvoyées à lundi 10H00 (07H00 GMT) devant le tribunal de Caglayan, à Istanbul, avant l'énoncé du verdict.
Surnommé le "milliardaire rouge" par ses détracteurs, Osman Kavala, 64 ans, était relativement inconnu du grand public quand il a été arrêté à l'aéroport d'Istanbul en octobre 2017, de retour d'un voyage dans le sud-est du pays.
Accusé de "tentative de renversement du gouvernement" pour avoir soutenu en 2013 des manifestations connues sous le nom de mouvement de Gezi, il avait été acquitté en février 2020.
Joie de courte durée: l'éditeur né à Paris avait été arrêté quelques heures plus tard - avant même de pouvoir rentrer chez lui - puis renvoyé en prison, accusé cette fois d'avoir cherché à "renverser le gouvernement" lors du putsch raté de juillet 2016, ainsi que d'espionnage.
Son acquittement de février 2020 avait ensuite été invalidé par la justice turque.
«Graves erreurs de la justice»
Depuis, la reconduction régulière de sa détention, malgré l'absence de jugement, en a fait le symbole de la répression du régime contre ses opposants.
L'affaire Kavala a déclenché à l'automne une crise diplomatique entre Ankara et une dizaine d'ambassadeurs occidentaux, dont celui des Etats-Unis, qui avaient été menacés d'expulsion par le président Erdogan pour avoir réclamé sa libération.
Des représentants des corps diplomatique européen et américain continuent toutefois d'assister à chacune des audiences.
En février, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a lancé une "procédure en manquement" contre la Turquie, décision rarissime qui pourrait déboucher sur de possibles sanctions contre Ankara si Osman Kavala n'est pas rapidement libéré.
Le mois dernier, les procureurs ont réclamé sa condamnation pour "tentative de renversement" du gouvernement, soit une peine de prison à vie sans possibilité de libération anticipée.
Il est jugé en même temps que sept autres accusés devant le tribunal d'Istanbul pour les manifestations de 2013, neuf autres co-accusés ayant fui à l'étranger.
Les militants des droits humains espèrent encore une libération qui enverrait un signal positif, alors que la Turquie essaie de faciliter les pourparlers entre l'Ukraine et la Russie, des efforts qui ont permis au président Erdogan de sortir de son isolement et de réaffirmer la place d'Ankara au sein de l'Otan.
"Avoir passé quatre ans et demi de ma vie en prison ne pourra jamais être compensé. La seule chose qui pourra me consoler sera d'avoir contribué à révéler les graves erreurs de la justice turque", a lancé vendredi par visioconférence Osman Kavala aux trois juges qui l'ont jusqu'ici toujours maintenu en détention.