La campagne électorale aura lieu… entre les deux tours

Des habitants du quartier se tiennent sur la place principale, à côté des affiches officielles des candidats à la présidence, à Spezet, dans l'ouest de la France, le 5 avril 2022. (AFP)
Des habitants du quartier se tiennent sur la place principale, à côté des affiches officielles des candidats à la présidence, à Spezet, dans l'ouest de la France, le 5 avril 2022. (AFP)
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Publié le Mercredi 06 avril 2022

La campagne électorale aura lieu… entre les deux tours

La campagne électorale aura lieu… entre les deux tours
  • Il semble bien que le citoyen français se soit mis à douter de l’intérêt de cette élection
  • Aujourd’hui, à quelques jours du 1er tour, les commentateurs et autres politologues d’occasion ne parlent plus des abstentionnistes mais des indécis

En France, la guerre en Ukraine a phagocyté la campagne électorale comme jamais une guerre ne l’aura fait, pas même la guerre d’Algérie, laquelle vit plutôt, en 1958, un homme s’imposer sans sondages ni débats et imposer la Ve République!

Depuis que le président Macron a annoncé sa candidature, et à suivre les chaînes d’information en continu, il semble bien que le citoyen français se soit mis à douter de l’intérêt de cette élection. Quelques jours avant le 1er tour (10 avril), aucun institut de sondage n’est capable de pronostiquer le taux de participation. Cette fois, les donneurs de leçon qui, traditionnellement, à la veille d’un scrutin majeur, en appellent au devoir du citoyen-électeur, ont du mal à se faire entendre, les informations étant, sur les trois quarts des sujets abordés, consacrées au traitement de la guerre. Une guerre meurtrière, certes, et ce qui n’est pas arrivé depuis la Seconde Guerre mondiale: aux frontières de l’Europe, contrairement à celles qui dévastèrent l’Irak et la Libye...

Entre la Covid-19, la guerre et le «Grand remplacement»

Une campagne reléguée au second plan, alors qu’il s’agit, à en croire les candidats de l’opposition, de l’avenir de la France, avec le risque, vous prédit le binôme de l’extrême-droite, d’un «Grand remplacement» civilisationnel! Et cela, à cause, évidemment, de l’immigration. Sous-entendu: des Maghrébins et autres Africains, vu que les immigrés en provenance de pays européens sont un peu chez eux, Schengen oblige. Et la gauche, en pleine désintégration, comme la droite, en voie d’implosion, de tancer les citoyens du pays du général de Gaulle: «Votez pour nous, si vous voulez sauver la France! Car après nous, sans nous, ce sera le déluge!» C’est la nouvelle tactique électorale: inoculer le virus de la peur, sans promesse de vaccin salvateur.

Aujourd’hui, à quelques jours du 1er tour, les commentateurs et autres politologues d’occasion ne parlent plus des abstentionnistes (les instituts de sondage avancent le pourcentage de 29%), mais des indécis. Voire: on parle même de ces Français, nombreux, qui «cachent leurs intentions de vote». Pour cause: interrogés par téléphone, les citoyens en âge de voter ne se livrent plus, de peur qu’avec la traçabilité des données ils ne soient fichés jusque dans leur quotidien.

À Sartrouville, banlieue nord-ouest de Paris, ville de jeunesse de l’historien Benjamin Stora et du rappeur Youssoupha, «les habitants se disent indécis et bien décidés à… s’abstenir!», nous apprend Le Parisien. La ville avait, déjà à la précédente élection présidentielle (2017), enregistré le plus haut taux d’abstention du pays (24,7 %) (1).

Ajoutez à cela l’épidémie de Covid-19, avec sa gestion chaotique et les restrictions sanitaires, et surtout la guerre en Ukraine… Avec ses images insoutenables, qui empêchent toute concentration sur les enjeux de l’élection. Une élection sans débats contradictoires: juste des rassemblements de militants qui réagissent aux signaux du maître de cérémonie que l’on ne voit pas à l’écran, vu que les images, comme le signalent les bandeaux, sont fournies par l’équipe du candidat ou de la candidate. Du reste, c’est bien malin: la transmission est faite de telle sorte que la caméra, entre deux passages du discours, voire entre deux phrases, balaie le public, laissant ainsi le temps à l’orateur de jeter un œil sur son texte. N’est pas Jean-Luc Mélenchon qui veut!

Pour avoir vécu et suivi, en France, sept campagnes électorales présidentielles, je peux dire que celle de 2022 ne correspond en rien à ce que devrait être une campagne dans un grand pays démocratique et, qui plus est, donneur de leçons au reste du monde (par «reste», il faut entendre évidemment: les pays du Sud, arabes et africains, entre autres).  

Salah Guemriche

Vous avez dit «campagne»? Quelle campagne?

Mais ce qui est triste à dire, c’est que cette guerre, sale comme toutes les guerres, arrange bien certaines candidatures, «à l’insu de leur plein gré», pour reprendre une formule désormais passée à la postérité. Et en premier, le candidat-président, selon un «spécialiste des droites extrêmes», Abel Mestre: «Le conflit dans l’est de l’Europe conforte la stature d’Emmanuel Macron, qui devance encore plus largement ses principaux concurrents, selon la dernière enquête Ipsos-Sopra Steria.» (2)C’est l’un des deux principaux enseignements que le même journaliste tire d’une campagne qui n’a pas eu lieu. L’autre enseignement: «La guerre en Ukraine et le traumatisme qu’elle suscite parmi les électeurs jouent un rôle considérable dans cette dynamique.» (3)

Pour avoir vécu et suivi, en France, sept campagnes électorales présidentielles, je peux dire que celle de 2022 ne correspond en rien à ce que devrait être une campagne dans un grand pays démocratique et, qui plus est, donneur de leçons au reste du monde (par «reste», il faut entendre évidemment: les pays du Sud, arabes et africains, entre autres).

Si cette élection se distingue par des circonstances spéciales (épidémie et guerre), elle montre une autre particularité, le nombre élevé de candidats: douze! Du jamais vu! Autant dire le nombre des «convives» réunis, autour de Jésus-Christ, lors de la sainte Cène (sic). Sauf que, parmi les douze apôtres de la Bible, il n’y avait pas de femme. Reste à savoir, qui, le soir du second tour (24 avril) se révèlera Judas?

Pour conclure, et revenir à l’Ukraine, signalons qu’une fresque représentant «la Communion des Apôtres» se trouve à Kiev, dans la cathédrale Saint-Sophie, inspirée de celle, du même nom, d’Istanbul, la capitale du dernier meneur des négociations entre la Russie et l’Ukraine, cathédrale transformée une première fois par Mustapha Kemal en musée avant qu’Erdogan, il y a deux ans à peine, ne la transforme en mosquée (4). Ainsi, tout se croise… C’est ce que l’on appelle les ruses de l’Histoire.

(1) Dans Le Parisien du 20 mars 2022: «Présidentielle: "Il n’y a pas de campagne, pas de débat"... à Sartrouville, des électeurs tentés par l’abstention».
(2) «Élection présidentielle 2022: les effets majeurs de la guerre en Ukraine sur le jeu électoral», dans Le Monde du 5 mars 2022.
(3) Abel Mestre, Idem. Op. cit.
(4) Lire notre tribune: Erdogan versus Charles Quint, dans Libération du 27 juillet 2020.

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.