La rencontre qui s’est tenue les dimanche 27 et lundi 28 mars dans le désert du Néguev et qui a réuni, à l’invitation du ministre des Affaires étrangères israélien, Yaïr Lapid, ses homologues du Bahreïn, des Émirats arabes unis et du Maroc, tous quatre signataires en 2020 des accords d’Abraham, rejoints par leur collègue égyptien, ainsi que par Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, est passée relativement inaperçue. En tout cas elle n’a pas donné lieu à beaucoup de commentaires dans les chancelleries.
C’est pourtant un événement chargé de signification.
C’est d’abord une grande première et un vrai succès pour Israël, qui confirme ainsi sa stratégie concernant la normalisation avec les pays arabes, en réunissant pour la première fois en territoire israélien plusieurs pays membres de la Ligue arabe. De ce seul fait, c’est un événement historique. Le choix du lieu – un des derniers kibboutz encore en activité, où David Ben Gourion, le père fondateur de l’État d’Israël, a fini sa vie et où il est enterré – est hautement historique. Ainsi apparaît-il que les signataires des accords d’Abraham ont entendu légitimer une fois pour toutes la création du petit État juif au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas rien.
La présence de M. Blinken est l’autre caractéristique importante de cette rencontre. Il n’en était pas le parrain, mais plutôt un invité avec lequel les participants voulaient parler, en particulier de l’Iran au moment où s’achève la négociation de Vienne concernant le retour des Américains dans l’arrangement de 2015 sur le nucléaire iranien. La perspective de la réactivation de cet accord et de la levée des sanctions imposées par les États-Unis préoccupent Israël et les pays du Golfe. Mais plus encore, ils sont inquiets de constater les progrès faits par l’Iran qui s’est rapproché du seuil nucléaire fatidique depuis le retrait américain de l’accord, à l’initiative de Donald Trump en 2018.
Du coup, les positions des Israéliens et des États du Golfe ont évolué, avec un pragmatisme bienvenu. Ils maintiennent certes leurs pressions sur la diplomatie américaine, mais, désormais en compensation d’une éventuelle levée des sanctions contre l’Iran, ils réclament la garantie que Washington restera impliqué dans la stabilisation et la sécurité de la région, et ils réfléchissent à ce qu’ils appellent «une architecture de sécurité régionale». Derrière ce vocabulaire «à la mode» se cache l’idée d’un maintien de la présence américaine assortie de moyens matériels et technologiques dont les pays du Golfe pourraient bénéficier pour assurer leur sécurité. C’est une demande qui aura sûrement des suites.
En venant en Israël, M. Blinken avait sûrement à l’esprit que ses interlocuteurs émiratis, comme l’ensemble des pays du Golfe à l’exception du Qatar, n’ont pas pris de sanctions contre la Russie et ne manifestent guère d’enthousiasme à augmenter leur production de pétrole et de gaz, malgré les demandes pressantes des Américains qui cherchent à contenir la hausse du prix de l’or noir sur les marchés mondiaux.
De fait, les dirigeants de la région sont de plus en plus attentifs à ménager Vladimir Poutine et le chinois Xi Jinping, tandis que, dans le même temps, ils accumulent les griefs à l’égard des États-Unis. Les relations de Washington avec Riyad et Abu Dhabi sont au plus bas depuis l’élection de Jo Biden et il n’est pas sûr que cette rencontre y change quoi que ce soit. La volonté affichée par les États-Unis de prendre des distances avec le Moyen-Orient est ressentie sur place de façon très négative.
Le bilan de la rencontre du Néguev, c’est qu’un certain nombre de dirigeants arabes veulent solder définitivement la querelle arabo-israélienne et lui substituer des convergences d’intérêts avec Tel-Aviv; que, dans le même temps, ils s’éloignent des États-Unis et se rapprochent de Pékin ou de Moscou avec lesquels ils se reconnaissent davantage de proximité; et qu’enfin la guerre en Ukraine accentue le trait et accélère le processus de ces évolutions diplomatiques fort importantes.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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