Le doute plane autour des relations turco-israéliennes

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à droite, et le président israélien, Isaac Herzog, s’adressent aux médias après leurs entretiens, à Ankara, en Turquie, le mercredi 9 mars 2022. (AP)
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à droite, et le président israélien, Isaac Herzog, s’adressent aux médias après leurs entretiens, à Ankara, en Turquie, le mercredi 9 mars 2022. (AP)
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Publié le Lundi 14 mars 2022

Le doute plane autour des relations turco-israéliennes

Le doute plane autour des relations turco-israéliennes
  • Dans son discours devant les journalistes, M. Erdogan a mentionné que les deux dirigeants ont évoqué une éventuelle coopération dans le secteur du pétrole et du gaz au sein de la Méditerranée orientale
  • Les médias israéliens se montrent très peu enthousiastes à l’idée d’une amélioration des liens avec la Turquie

Le président israélien, Isaac Herzog, s’est rendu en Turquie pour une visite officielle de deux jours, dans une tentative de raviver les relations bilatérales qui sont au point mort depuis plus d’une décennie. Aucun obstacle n’empêchait pourtant la Turquie de prendre une telle initiative plus tôt.  

Les liens bilatéraux entre la Turquie et Israël pourront être facilement rétablis si les deux pays font preuve de bonne volonté, mais il sera certes plus difficile pour la Turquie de retrouver le soutien du lobby juif aux États-Unis. Ankara aura inévitablement besoin de ce soutien pour faire progresser les relations turco-américaines.  

Que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ait une véritable inclination pour le Hamas n’est un secret pour personne. Cependant, nous ne savons pas dans quelle mesure il est prêt à remettre en question cette politique. Dans son allocution aux médias après le sommet, il a réitéré – en présence du président israélien – la politique palestinienne de la Turquie en faveur de la solution à deux États pour résoudre le conflit israélo-palestinien. De plus, il a insisté sur l’importance que la Turquie accorde au caractère sacré de la mosquée Al-Aqsa. Ce message était en grande partie adressé aux membres conservateurs du parti AKP au pouvoir. La colère de M. Erdogan face à la politique d’Israël envers la Palestine pourrait ressurgir à tout moment. 

Critiquer Israël est monnaie courante en Turquie. Certains le font ouvertement, d’autres à l’initiative de l’AKP ou de petits groupes au sein du parti qui ne s’en cachent que très peu. 

Temel Karamollaoglu, président du Parti de la félicité, qui fait partie du bloc des six partis de l’opposition, a critiqué la visite du président israélien. Il a déclaré: «Si la Turquie normalise ses relations avec Israël, cela signifie que nos relations avec la Palestine se détérioreront. Aucune normalisation ne devrait être possible à moins qu’Israël se retire des territoires occupés et qu’un État palestinien puisse y voir le jour.» Bien que le Parti de la félicité ne bénéficie que du soutien de 2,8 % de l’électorat turc, M. Karamollaoglu demeure un vétéran respecté sur la scène politique intérieure. 

Les relations turco-israéliennes fluctuent depuis longtemps et elles n’ont jamais été cordiales au cours des vingt ans de règne du parti AKP. D’aucuns pensent que cette période est la plus tendue en raison notamment de la profonde politique anti-Israël du parti au pouvoir. Il ne s’agit pas d’une attitude politique, mais plutôt confessionnelle. Par ailleurs, Recep Tayyip Erdogan et Benjamin Netanyahou n’ont jamais réussi à s’entendre. 

Cependant, la Turquie a besoin de rétablir les liens non seulement avec Israël, mais aussi avec d’autres pays du Moyen-Orient. L’Égypte reste sur ses gardes en attendant que la Turquie adopte une attitude stable. Israël pourrait faire de même puisque le pays est encore plus hésitant que l’Égypte. La Turquie a peut-être mis une éternité à franchir le pas, mais tout est bien qui finit bien. Néanmoins, les relations risquent de s’effondrer de nouveau si le gouvernement turc refait les mêmes erreurs. 

Les relations turco-israéliennes fluctuent depuis longtemps, mais elles n’ont jamais été cordiales au cours des vingt ans de règne du parti AKP.

Yasar Yakis

Dans son discours devant les journalistes, M. Erdogan a mentionné que les deux dirigeants ont évoqué une éventuelle coopération dans le secteur du pétrole et du gaz au sein de la Méditerranée orientale. De plus, il a affirmé que les ministres turcs des Affaires étrangères et de l’Énergie devraient se rendre prochainement en Israël. Une telle coopération pourrait nuire aux engagements d’Israël auprès de la Grèce, de l’Égypte et de Chypre, mais la situation a changé: les États-Unis ont retiré leur soutien à un projet commun, visant à transporter du gaz de la Méditerranée orientale en Europe, au moyen d’un gazoduc posé sur le fond marin, sous prétexte qu’il ne serait pas rentable. À la suite des embargos imposés à la Russie par les États-Unis et l’Europe, un gazoduc qui traverse la Turquie jusqu’en Europe pourrait s’avérer utile et rentable. Plusieurs obstacles pourraient entraver la mise en place d’un tel projet, mais ils pourraient être surmontés si la volonté existe. 

Les médias israéliens se montrent très peu enthousiastes à l’idée d’une amélioration des liens avec la Turquie. Le seul domaine prometteur est celui du volume des échanges qui a nettement augmenté et qui devrait atteindre dix milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) à la fin de l’année. 

S’adressant aux médias israéliens avant de se rendre à Ankara, M. Herzog a modéré autant que possible les attentes. Il a déclaré: «Nous ne serons pas d’accord sur tout, mais nous donnerons un nouvel élan aux relations bilatérales.» Il a ajouté que les désaccords passés ne disparaîtront pas par magie. Il a ainsi lancé un appel aux deux camps pour les inciter à déployer tous les efforts possibles en vue de mettre fin à de tels problèmes. Dans sa déclaration, M. Herzog a subtilement mentionné que son voyage s’effectuerait en totale coordination avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères israéliens. Ce détail pourrait donc revêtir une importance particulière.  

Les relations turco-israéliennes devraient s’améliorer. Il demeure cependant difficile de savoir quand. 

• Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir. 

Twitter: @yakis_yasar 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com