Alors que le monde est occupé par les implications du conflit en Ukraine, peu d'attention est accordée au Liban. Pourtant, le pays est sur le point d’organiser, dans quelques mois, des élections législatives. Si elles ont lieu, elles décideront de l'avenir du pays. S'il est peu probable que le vote vienne à bout de la classe politique actuelle, il pourrait néanmoins mettre un terme à la mainmise du Hezbollah sur le parlement et le gouvernement du Liban.
Il n’en demeure que de nombreux obstacles entravent cette démarche. Le premier problème réside dans le vide sunnite dans la deuxième circonscription de Beyrouth, qui compte 11 sièges, dont six réservés aux sunnites. S’il est vrai que Saad Hariri a beaucoup perdu en popularité – comme en témoigne le petit nombre de partisans ayant manifesté lorsqu'il a annoncé son retrait de la vie politique en janvier – il n’existe pas pour autant d’alternative immédiate. Les gens ne voteront pas pour des candidats qu'ils ne connaissent pas et qu'ils ne reconnaissent pas.
Nawaf Salam aurait pu être la personne ad hoc pour combler ce vide. Juge auprès de la Cour internationale de justice, Salam est issu d'une famille d'hommes d'État et il est très apprécié pour son statut international. En un mot, on sait d’où il vient. Il est également connu pour son intégrité. Cependant, à la suite d'un récent voyage à Beyrouth, M. Salam a décidé de ne pas se présenter aux élections. Cela peut toutefois changer s'il obtient suffisamment de soutien pour assumer le rôle. Bien que le délai pour clôre les annonces des candidatures potentielles se rapproche, il a encore jusqu'au 15 mars pour se présenter. Si Salam se présente, il pourrait disposer d'une liste capable d’attirer le vote sunnite dans la capitale.
L'autre problème concerne les groupes d'opposition, connus sous le nom de « Hirak », et leur position vis-à-vis des partis politiques existants. Alors que certains adoptent le slogan « killun yaani killun » (tous veut dire tous) pour signaler une rupture nette avec l'establishment et tous les partis qui y sont impliqués, d'autres sont plus ouverts à la coopération avec les personnalités politiques existantes, tant qu'elles ne sont pas ternies par des affaires de corruption.
Chaque camp a un raisonnement qui lui est propre. Le premier rejette tous les partis existants, estimant que même ceux qui n'étaient pas corrompus faisaient tout de même partie du système qui a instauré la corruption et conduit à la déliquescence de l'État. Les partisans de ce camp jugent par ailleurs que les citoyens qui veulent le changement ne voteront pas pour une liste hybride. Selon Towards One Nation, qui défend ce point de vue, le vote combiné de l'opposition représente 19 à 20 % du total, un pourcentage plus important que n'importe quel parti pris seul. L’opposition a donc le potentiel d'obtenir 23 à 27 sièges. D'après un sondage réalisé par le groupe auprès d'un échantillon de 27 000 personnes, dont les données ont été recueillies en faisant du porte-à-porte, 70 % des personnes interrogées ont déclaré qu'elles préféreraient voter pour une liste « pure ».
Il est possible de changer la majorité au parlement libanais et de mettre fin à la mainmise du Hezbollah sur la scène politique libanaise.
Dr. Dania Koleilat Khatib
L'autre camp pense que le changement doit être plus progressif et que ceux qui n'ont pas été corrompus méritent une chance et ne doivent pas être mis dans le même sac que ceux qui ont pillé le pays. Cette divergence de point de vue au sein de l'opposition au sujet des personnalités politiques existantes crée des divisions au sein d'un groupe censé être uni dans sa lutte pour le changement et contre la corruption. Le parti Kataëb dirigé par Samy Gemayel constitue le principal point de discorde. Alors que certains groupes d’opposition veulent s'associer à lui, d'autres adhèrent strictement au principe « tous veut dire tous » .
Entre-temps, les Kataëb refusent de coordonner avec le groupe chrétien des Forces libanaises. Le prétexte invoqué est que le président des Forces libanaises, Samir Geagea, a voté pour Michel Aoun aux présidentielles, ce qui a conduit le pays vers sa situation actuelle. Cependant, le meilleur moyen de sauver les groupes du Hirak serait que Gemayel rejoigne la liste de Geagea. Cela règlerait le point de discorde entre les deux camps, leur permettant de se mettre d'accord sur une liste commune pour la « Thawra » (révolution) dans différentes régions.
Quoi qu'il en soit, Geagea et Gemayel ont tous deux des programmes similaires qui consacrent la souveraineté, sont anti-Hezbollah et cherchent à combattre la corruption étatique. Ce réarrangement rendrait également les choses plus claires pour les électeurs. En effet, dans chaque circonscription, il existe actuellement une liste de partis « bénins », qui ne sont pas impliqués dans la corruption mais qui font partie du régime, et une autre liste de nouveaux visages qui ne font pas partie du système existant. Il faudrait beaucoup de courage au leader des Kataëb pour changer de position alors qu’il a été, jusque-là, contre Geagea. Il faudrait également une concession majeure de la part de Gemayel ; s'il rejoint la liste des Forces libanaises, il ne sera pas aux commandes.
Le parti des Forces libanaises, quant à lui, devrait avoir une meilleure coordination avec le Hirak. Il devrait organiser la répartition des voix au lieu d’entrer en compétition avec les groupes d'opposition. Les membres des Forces libanaises ont été offensés par les groupes qui soutiennent le « killun yaani killun » (tous veut dire tous). Lors d’une émission de télévision, le porte-parole du parti a apostrophé une jeune femme de la Thawra et l’a prise de haut, lui expliquant, non sans condescendance, que son parti a offert des martyrs et a une histoire et lui demandant quelles sont ses références pour venir les juger. À cet égard, les Forces libanaises ne devraient pas se considérer comme les leaders du changement, mais comme un partenaire de la société civile ou du groupe Hirak pour faire avancer les réformes. La coordination est donc très importante. La clé n'est pas de maximiser les votes pour les Forces libanaises, mais les votes en faveur du changement.
Ce sont-là des mesures réalisables. Si elles sont prises, elles peuvent garantir un changement de majorité au sein du parlement libanais et la fin de l'emprise du Hezbollah sur la politique libanaise.
Dr. Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, notamment en ce qui concerne le lobbying. Elle est titulaire d'un doctorat en sciences politiques de l'Université d'Exeter et est une chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales à l'Université américaine de Beyrouth.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.