Le 14 février 2022, dix-sept ans jour pour jour après l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, victime d’un attentat terroriste, le Liban commémore la disparition brutale de l’une des figures les plus emblématiques de son histoire moderne. Cette année, le jour de la commémoration tombe un lundi – comme en ce triste jour du 14 février 2005. Un drame qui changera le Liban à jamais. En dix-sept ans, le pays du Cèdre a été la victime d’une succession d’événements qui l’ont mené d’une période de prospérité à un effondrement total sur le plan économique, social et financier. De nos jours, le Liban fait face à de multiples défis existentiels; l’avenir même du pays en tant qu’entité étatique apparaît plus incertain que jamais.
En début d’année, nous avions écrit dans ces mêmes colonnes que 2022 serait une année charnière, celle de tous les dangers. Deux élections majeures doivent se dérouler. La première échéance, le 15 mai prochain, permettra d’élire un nouveau Parlement. La seconde, à la fin du mois d’octobre, débouchera sur l’élection d’un nouveau président de la république.
La communauté internationale insiste fermement pour que ces deux échéances électorales aient bien lieu, invitant les autorités libanaises à tenir leurs engagements et à faire en sorte que les dates prévues soient respectées. Ces élections devraient se dérouler dans une atmosphère de liberté et de sécurité optimales. Cependant, malgré les pressions internationales et les engagements pris vis-à-vis de l’opinion publique libanaise et de la communauté internationale, il s’avère que, au plus haut niveau de l’État libanais, le scénario d’un ajournement des deux échéances électorales de 2022 pourrait être examiné de façon sérieuse – en particulier si la conjoncture régionale subissait les répercussions d’un accord nucléaire entre l’Iran et le 5+1 (qui réunit les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des nations unies et l’Allemagne).
Rappelons que, en 2015, la conclusion de l’accord nucléaire initial avait ouvert la voie à l’Iran pour se lancer dans une politique agressive qui avait pour but d’élargir sa sphère d’influence au Moyen-Orient. Les fonds qu’a récupérés Téhéran après la levée des sanctions internationales avaient été alloués au financement des milices pro-iraniennes dans l’ensemble de la région.
De l’Irak au Yémen en passant par la Syrie, le Liban et Gaza, les retombées de l’accord ont été catastrophiques sur le plan de la stabilité des pays de la région. Le régime iranien privera son peuple des dividendes de cet accord tout en arrosant généreusement ses milices de milliards de dollars.
L’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a porté un coup fatal à la popularité du président de la république et de son parti
-Ali Hamade
Le Liban paiera cher les conséquences de cet accord: le Hezbollah portera son plus proche allié, Michel Aoun, au poste de président de la république, resté vacant pendant plus de deux ans et demi en raison du blocage du Parlement exercé par le groupe chiite. Quelques mois plus tard, le Hezbollah réussira à imposer une loi électorale qui lui assurera, avec ses alliés, une majorité parlementaire lors des élections de mai 2018. Cette majorité se traduira par une mainmise sur les gouvernements qui seront ultérieurement formés.
Aujourd’hui, la donne est en train de changer quelque peu. La «révolution du 17 octobre 2019» a changé les esprits. L’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a porté un coup fatal à la popularité du président de la république et de son parti, le Courant patriotique libre, ce qui a de quoi inquiéter sérieusement le Hezbollah.
Autre source de tourment pour le parti pro-iranien: on entend de plus en plus, parmi les élites, s’élever des voix qui condamnent «l’occupation iranienne du Liban» par l’intermédiaire du Hezbollah. Ces voix se font également entendre dans les milieux populaires, qui voient dans ce parti l’une des causes majeures de cette crise sans précédent à laquelle se trouve confronté le Liban.
Le Hezbollah est accusé, à juste titre, d’être à l’origine de la grave détérioration des relations du Liban avec les pays arabes, excédés par ses ingérences qui visent à les déstabiliser pour le compte de Téhéran. Un courant large serait en train de prendre forme au sein de la population; il serait en passe de se radicaliser face au rôle néfaste que joue le parti pro-iranien au Liban et ailleurs dans la région. Ce courant pluriel pourrait changer la donne lors des prochaines élections. Voilà de quoi mettre en péril le contrôle du Hezbollah au Parlement.
Si jamais la milice pro-iranienne et ses alliés perdaient la majorité au Parlement, le président du pays, Michel Aoun, ne pourrait plus prétendre au prolongement de son mandat ni s’assurer de la succession de son gendre, M. Gebran Bassil, à la présidence de la république.
Toutefois, il est évident que la partie n’est pas gagnée d’avance. Fort du soutien d’un Téhéran soulagé des sanctions sur le programme nucléaire et qui aurait réintégré le rang des nations, le Hezbollah pourrait aller très loin pour affronter la radicalisation de ses opposants, tout en étant assuré que l’Occident qui se bouscule vers le marché iranien restera cloué sur le banc des spectateurs tout en laissant faire la milice armée. Cette dernière pourrait bien imposer par la violence un ajournement des deux échéances électorales afin d’éviter un renversement de situation dans un Liban plus que jamais pris en otage.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
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