Que l’Occident réagisse à un conflit en Europe différemment que pour d’autres conflits ailleurs est un fait aussi honnête que cruel. Appelez ça comme vous voulez, mais un conflit européen a ce je-ne-sais-quoi qui réveille des souvenirs et attise les peurs – des cafés aux tables du Conseil des ministres. Serait-ce parce que nous nous souvenons du rôle de l’Europe dans le déclenchement des Guerres mondiales qui ont fait rage au XXe siècle? Ou est-ce parce que ce que nous pensions être des séquences d'actualités en noir et blanc se retrouve soudain sur nos Smartphones comme si cela n'avait jamais été possible?
Le monde arabe a le droit d’en vouloir à l’Occident. Il a enduré plus que sa juste part de conflits, dans lesquels l’Occident a le plus souvent joué un rôle. Nous devons donc comprendre, dans une certaine mesure, la frustration face à la façon dont l’Occident perçoit l’invasion de l’Ukraine, alors qu’il semble moins préoccupé par l’agonie à long terme du peuple syrien ou son incapacité à faire de la fin de la guerre au Yémen une priorité au moment où la milice houthie renouvelle ses attaques contre le peuple.
Cependant, il n’existe pas de statu quo dans les affaires mondiales. Ce qui se passe ces derniers jours est en train de changer notre monde d’une manière jamais vue depuis des décennies. Quelle que soit l’issue de tout cela, le fait qu’un membre du Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies (ONU) à capacité nucléaire ait envahi une nation souveraine, averti les États voisins de ses ambitions politiques ou de défense et mis sa force de dissuasion nucléaire en état d’alerte maximale ne peut être annulé. Même en ayant tous conscience d’avoir affaire à la Russie du président, Vladimir Poutine, nous devons affronter cette nouvelle réalité.
Les discours de M. Poutine en vue de préparer le terrain pour l’attaque contre l’Ukraine suggèrent qu'il considère le monde moderne non comme un monde de droits et d’autodétermination souveraine, mais plutôt comme un empire et des blocs hégémoniques, où la Russie ne peut se sentir en sécurité qu’en retournant à l’époque où elle dominait ses voisins. Ce n’est pas le monde dans lequel ses voisins – ni les autres d’ailleurs – souhaitent vivre. Ces voix que vous avez entendues depuis que les chars sont entrés en Ukraine sont celles des États libres qui se rassemblent, soudain conscients, au milieu de la pantomime à laquelle la démocratie ressemble parfois, de ce que nous défendons et de ce que nous risquons de perdre. Nous n’allons pas y renoncer.
Cette réalité présente des défis pour tous. Tout en faisant face à la crise immédiate, l’Occident se demande quel rôle il a bien pu jouer dans l’erreur de calcul du Kremlin à notre égard. Nous avons fermé les yeux sur de nombreuses choses, certes, parce que cela nous convenait, mais aussi dans l’espoir qu’une vision rationnelle du monde conduirait inévitablement à penser que la Russie n’était pas menacée et que sa sécurité était tout autant garantie par les nations libres qui l’entourent que quiconque d’autre. Nous pensions que la prospérité croissante pour tous et les menaces communes de terreur et d’extrémisme auxquelles nous étions confrontés auraient dû conduire à plus de coopération, et non à moins.
«Ce qui se passe ces derniers jours est en train de changer notre monde d’une manière jamais vue depuis des décennies.» - Alistair Burt
Échaudé par l’expérience, l’Occident a commencé à hésiter au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, poussant certains dans la région à remettre en question notre fiabilité. Peut-être que l’hostilité de Donald Trump envers l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) était un signe de neutralité future. Peut-être que la politique intérieure du Royaume-Uni a été mal interprétée par Moscou comme ne relevant pas de la détermination du gouvernement ou d’une prise de décision souveraine quant à notre sort avec l’Union européenne (UE), mais plutôt comme une forme de faiblesse.
Vladimir Poutine le sait désormais. Il a défini sa réponse à la liberté d'un voisin souverain comme un asservissement, pour l'Ukraine et pour tout autre État de la région, tel que la Suède ou la Finlande, qui oserait contester son point de vue. En réponse, l’Otan est encore plus déterminée à défendre son adhésion librement décidée et l’UE travaille en étroite collaboration avec un gouvernement britannique qui s’est montré à la hauteur, mettant fin aux conflits qui les opposent et contribuant peut-être à établir le partenariat de coopération qui devrait être leur seul avenir ensemble.
Il convient désormais d'éviter toute nouvelle erreur de calcul. La voix du Moyen-Orient s’est tue cette semaine. Les événements auront provoqué des nuits blanches dans de nombreuses capitales. La perception de l’Occident comme une puissance en déclin, et donc un partenaire contestable, doit être revue. Le leadership russe a été irrévocablement altéré par ce qui s’est passé. Les sanctions qu’il a imposées à sa propre économie lui seront préjudiciables, plus encore qu’à l’Occident, contre lequel il ripostera. Nous en paierons le prix. On ne permettra jamais la soumission de l’Ukraine.
Aucune marginalisation n’est possible. La voix arabe doit être catégorique dans son soutien au peuple ukrainien et dénoncer l’invasion, tout en disant à la Russie que seul le partenariat mène à la fois à la prospérité et à la sécurité.
Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes ministériels aux Affaires étrangères et au Commonwealth en tant que sous-secrétaire d’État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d’État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019.
TWITTER: @AlistairBurtUK
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com