L’offensive de charme turque a pour but de garantir la sécurité énergétique

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Publié le Vendredi 25 février 2022

L’offensive de charme turque a pour but de garantir la sécurité énergétique

L’offensive de charme turque a pour but de garantir la sécurité énergétique
  • Depuis la fin de l’année 2020, la Turquie a tendu la main à Riyad, au Caire et à Abu Dhabi dans le but d’apaiser les relations tendues
  • Ankara cherche à valoriser son rôle en tant que rempart oriental au sein de l’Otan, mettant plus récemment à la disposition de l’Ukraine ses drones Bayraktar TB2

La Turquie est dotée de sources d’énergie locales, mais il s’agit principalement de charbon sale et peu efficace. Ce combustible, qui représente 35 % de la production d’énergie du pays, est important pour la production d’électricité. Cependant, si la Turquie espère atteindre les objectifs de l’Union européenne (UE) en matière d’émissions pour 2050, elle devra regarder au-delà de ses sources incontournables. Il est également plus urgent pour la Turquie de rechercher la sécurité énergétique après que sa monnaie a perdu plus de 40 % de sa valeur par rapport au dollar américain l’année dernière et que la hausse des prix à la consommation a dépassé 48 % le mois dernier. Le pays lutte pour éviter une crise économique majeure. Face aux graves inquiétudes économiques, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a décidé de renouer avec ses anciens adversaires, tout en cherchant simultanément à placer la Turquie au centre des délibérations énergétiques eurasiatiques.

Au cours de la dernière décennie, ce n’était pas le grand amour entre la Turquie et les Émirats arabes unis (EAU) en raison des tensions géopolitiques. Cependant, Ankara, en proie à une inflation galopante et à une dévaluation de sa monnaie, tente de mettre fin à la guerre froide qui les oppose. Depuis la fin de l’année 2020, la Turquie a tendu la main à Riyad, au Caire et à Abu Dhabi dans le but d’apaiser les relations tendues. En novembre dernier, lors de leur première visite officielle en Turquie après une décennie, les EAU ont annoncé un fonds de dix milliards de dollars (1 dollar = 0,88 euro). Outre l’industrie de la défense, il constituera un soutien considérable au secteur de l’énergie. Ce fonds s’ajoute à un accord entre l’Abu Dhabi Development Holding, connu sous le nom d’«ADQ», et le groupe turc Kalyon, qui se concentre sur les infrastructures énergétiques, ainsi qu’à un autre accord de coopération stratégique entre l’ADQ et le Bureau des investissements de la présidence turque concernant «l’investissement et la coopération dans les domaines de la pétrochimie et des projets existants et nouveaux pour les énergies renouvelables jusqu’à 3 GW.»

Fatih Aydin, associé chez Blue River Capital, souligne l’importance de tels investissements. «Tisser des amitiés permettra à l’économie de bénéficier des investissements directs étrangers et de l’“argent rapide” qui entre dans le pays. Investie en dollars, cette devise étrangère indispensable contribuera dans une certaine mesure à renforcer la monnaie du pays par rapport au dollar et elle aura un effet domino sur la confiance et la prévisibilité des investisseurs internationaux. Les conséquences à moyen terme auront une incidence majeure sur l’inflation, atténuant la pression sur les prix à la consommation», déclare-t-il.

Bien qu’Ankara et Abu Dhabi aient trouvé l’administration Biden peu enthousiaste à leur égard (ce qui explique mieux la conjonction d’intérêts actuelle), la Turquie, elle, a été active ailleurs. Même si le président Erdogan entretient des relations commerciales solides avec Israël, il a sévèrement critiqué ses homologues israéliens sur la question palestinienne et la relation a parfois été tendue. Cependant, le président turc s’apprête à accueillir le président israélien le mois prochain et ce rapprochement imminent soulève des questions. Les préoccupations énergétiques sont à l’origine de cette dynamique – la Turquie étant actuellement dépendante des importations en provenance de la Russie et de l’Iran et ayant besoin de diversifier ses sources.

La découverte, ces dernières années, de réserves de gaz naturel considérables en Méditerranée orientale a exacerbé les tensions géopolitiques entre la Turquie et ses voisins. Préoccupée par la coopération en Méditerranée orientale sur l’exploitation gazière et les exportations futures qui ne l’incluent pas, la Turquie veut conclure un accord avec Israël sur les importations de gaz à la fois pour l’usage domestique et l’exportation ultérieure vers l’Europe. Après le retrait des États-Unis le mois dernier du gazoduc EastMed, coûteux et irréalisable, qui prévoyait de transporter du gaz d’Israël et de Chypre vers l’Europe par l’intermédiaire de la Grèce, la Turquie a désormais l’occasion d’améliorer son statut de centre énergétique en recherchant un gazoduc d’Israël à la Turquie via Chypre. L'actuel rapprochement avec Israël ne dépend pas de défis monétaires ou du fait que la Turquie se sente dominée par les accords d’Abraham, mais Ankara cherche plutôt à écarter le partenariat stratégique croissant entre Israël, la Grèce, Chypre et l’Égypte, qui menace de la contourner.

 

«La Turquie dépend actuellement des importations en provenance de la Russie et de l’Iran et a besoin de diversifier ses sources.» 

 

Zaid M. Belbagi

L’impasse actuelle entre la Russie et l’Ukraine a donné à la Turquie la possibilité de se faire aimer de ses alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). La situation a mis en évidence l’importance de l’alliance, dont la Turquie a parfois ignoré les délibérations de politique étrangère, bien qu’elle en fasse partie. Cet aspect est particulièrement important à l’heure actuelle, car les États-Unis, le Royaume-Uni et l’UE ont imposé des sanctions à la Turquie – un allié des pays occidentaux depuis plus d’un demi-siècle – en réponse à sa violation des lois internationales sur la souveraineté et son forage illégal, qui ont provoqué la colère de la Grèce et de Chypre.

À cette fin, Ankara cherche à valoriser son rôle en tant que rempart oriental au sein de l’Otan, mettant plus récemment à la disposition de l’Ukraine ses drones Bayraktar TB2, tout en prévoyant également de fournir d’autres types d'équipements à des fins offensives. Dans le même temps, l’offre de la Grèce de mettre à disposition les bases de la baie de Souda et d’Alexandroúpoli pour le ravitaillement constitue la limite de sa capacité à soutenir l’Otan au milieu de la crise qui se prépare en mer Noire, donnant à Ankara l’occasion de montrer son importance et de prendre ses distances par rapport à l’achat controversé du système de défense antimissile russe S-400 qui a eu des répercussions sur ses relations avec l’alliance.

Cette vague d’actions diplomatiques met en évidence le changement de position important de la Turquie par rapport à son ancien désir d’hégémonie régionale. Le rapprochement avec les EAU, l’Égypte et Israël vise à rééquilibrer les relations étrangères de la Turquie. Les pourparlers en cours avec le gouvernement régional du Kurdistan ont pour but d’augmenter les importations de gaz. Grâce au gazoduc existant de Kirkouk-Ceyhan, à celui prévu de Bakou-Tbilissi-Erzurum et aux discussions avec Israël, la Turquie espère accroître son influence géopolitique tout en répondant à la demande énergétique intérieure croissante. Les relations énergétiques d’Ankara avec l’Iran et la Russie sont difficiles. Bien qu’elles soient actuellement cordiales, elles ont toujours été litigieuses. Tout n’est pas perdu pour M. Erdogan, qui a exprimé son désir de réparer les dégâts. Cependant, tout comme il espère que les nouveaux amis de la Turquie feront fi des considérations stratégiques consistant à mettre les robinets de gaz les plus importants entre les mains des Turcs, nombreux sont ceux qui se demandent quel profit Ankara cherche à tirer de sa nouvelle amitié.

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

TWITTER: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com