Amnesty International est la dernière organisation de défense des droits de l’homme à qualifier d’«apartheid» la politique d’Israël envers les Palestiniens, appelant la communauté internationale à tenir son gouvernement responsable de ses actes.
L’organisme a immédiatement été attaqué par des membres éminents du Sénat américain, dont la plupart reçoivent d’énormes contributions pour les campagnes électorales de la part du réseau pro-israélien de comités d’action politique, sous l’égide de l’American Israel Public Affairs Committee.
L’un de ces sénateurs est Robert Menendez, président de la commission des affaires étrangères du Sénat. Le mois dernier, il est resté silencieux lorsqu’il a appris qu’une unité militaire israélienne spéciale avait causé la mort d’un Américain d’origine palestinienne âgé après l’avoir agressé. Mais il n’est évidemment pas resté silencieux lors de la publication du rapport d’Amnesty International.
«Je suis profondément troublé par le rapport d’Amnesty International qui qualifie d’“apartheid” la politique d’Israël. Cette accusation scandaleuse va à l’encontre de l’Histoire, des faits et du bon sens», déclare-t-il.
Cette question est source de dilemme. Des organisations comme le Sénat américain placent-elles les intérêts américains au-dessus des intérêts des nations étrangères? Ou se contentent-elles de défendre quiconque renfloue leurs caisses pour leur réélection?
Le sénateur Menendez a exprimé son soutien à la solution à deux États et il a défendu les Palestiniens: «Le peuple palestinien mérite le droit à l’autodétermination.» Cependant, il figure parmi les principaux bénéficiaires de l’argent du comité d’action politique pro-israélien lors de chaque réélection qui, pour les sénateurs, a lieu tous les six ans. En 2012, il a reçu 342 170 dollars américains (1 dollar = 0,89 euro) en contributions pro-israéliennes à sa campagne. En 2018, ce montant s’élevait à 576 922 dollars. Lorsqu’il s’est présenté pour la première fois en 2006, il était neuvième sur la liste du comité d’action politique pro-israélien, selon l’organisme de surveillance de la campagne, Open Secrets.
Le sénateur s’est empressé de dénoncer Amnesty International. C’est sans doute pour cette raison qu’il se trouve en tête de liste du comité d’action politique pro-israélien.
Cependant, lorsque les forces israéliennes ont tué le citoyen américain d’origine palestinienne de 78 ans, Omar Assad, aux premières heures du 12 janvier, il est resté silencieux, même s’il avait déjà pris la parole après la mort de citoyens américains dans d’autres pays étrangers dans le passé.
Le gouvernement israélien a d’abord minimisé la mort de M. Assad. L’autopsie a montré qu’il était décédé des suites d’une crise cardiaque provoquée par le stress résultant des blessures qu’il avait subies lorsqu’il a été bâillonné, menotté et brutalisé par les soldats du bataillon Netzah Yehuda, composé d’extrémistes juifs. Selon le New York Times, le commandement militaire israélien a déclaré qu’il «regrettait profondément» cette mort, mais qu’il ne présenterait pas ses excuses. Il a ajouté que le comportement des soldats constitue «un manque évident de jugement moral».
Cependant, s’excuser serait beaucoup trop, tout comme il serait exagéré que le président de la puissante commission des affaires étrangères du Sénat publie une déclaration dénonçant les actions de l’armée israélienne qui ont entraîné la mort d’un citoyen américain.
Dans une lettre adressée au département d’État lundi, la sénatrice Tammy Baldwin et la représentante Gwen Moore ont exprimé leur inquiétude quant au sort d’Omar Assad. Toutes deux sont originaires du Wisconsin, l’État où le citoyen américano-palestinien a passé une grande partie de sa vie. La sénatrice Baldwin a fait preuve de courage en signant la lettre, car elle a reçu 230 764 dollars des comités d’action politique pro-israéliens en 2018, ce qui ne la positionne qu’à trois places derrière M. Menendez.
«L’apartheid est une question sensible pour Israël, ce qui pourrait expliquer pourquoi Robert Menendez a cherché à dissocier le régime israélien de l’exemple sud-africain.»
Ray Hanania
Le lendemain, Ned Price, porte-parole du secrétaire d’État, Antony Blinken, a publié la déclaration suivante: «Les États-Unis s’attendent à une enquête criminelle approfondie et les responsables devront répondre pleinement de leurs actes. Toute information supplémentaire sur ces efforts sera la bienvenue. Nous continuons de discuter de cet incident troublant avec le gouvernement israélien. Nous adressons, une fois de plus, nos plus sincères condoléances à la famille de M. Assad. Le département d’État accorde la priorité absolue à la sûreté et à la sécurité des citoyens américains à l’étranger.»
La mort d’Omar Assad intervient à un moment particulièrement difficile pour Israël, les organisations de défense des droits de l’homme critiquant de plus en plus sa politique au cours des dernières années. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Israël a fermé les bureaux de ces organisations.
Dans les systèmes d’apartheid comme celui qui a sévi en Afrique du Sud pendant une grande partie du siècle dernier, des personnes comme M. Assad étaient régulièrement tuées et brutalisées en raison de leur origine. Personne n’hésitait cependant à condamner de telles actions.
Il existe des similitudes entre le régime d’apartheid en Afrique du Sud et ce qui se passe en Israël aujourd’hui, comme en témoigne la mort d’Omar Assad. C’est une question sensible pour Israël, ce qui pourrait expliquer pourquoi Robert Menendez a cherché à dissocier le régime israélien de l’exemple sud-africain. «Ce rapport minimise l’importance du véritable apartheid qui a brutalisé les Sud-Africains noirs pendant des décennies et il nuit considérablement à la poursuite d’une véritable égalité et du progrès en vertu de la loi», note M. Menendez à la fin de son communiqué de presse.
Nous savons à quel point ces organisations de défense des droits de l’homme peuvent être embarrassantes, en particulier Amnesty International, qui a remporté le prix Nobel de la paix en 1977 pour sa «défense de la dignité humaine contre la torture» et qui est d’ailleurs bien connue pour sa position contre l’apartheid sud-africain.
Les conclusions de son rapport de 278 pages, intitulé L’apartheid d’Israël contre la population palestinienne: un système cruel de domination et un crime contre l’humanité, sont puissantes. «Les autorités israéliennes imposent un système de domination et d’oppression contre le peuple palestinien en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, et contre les réfugiés palestiniens. Les lois, les politiques et les pratiques institutionnelles visent toutes à expulser, fragmenter et déposséder les Palestiniens de leurs terres et de leurs biens, et à priver les Palestiniens de leurs droits fondamentaux. Nous concluons que ce traitement équivaut à un régime institutionnalisé d’oppression et de domination défini comme apartheid en vertu du droit international», peut-on y lire. Le groupe a souligné qu’il s’était concentré sur la politique du gouvernement israélien et non sur les personnes ou la religion.
Il est difficile de se taire lorsqu’une telle injustice est commise ou lorsqu’un Américain meurt aux mains de l’armée d’un pays étranger. Pour certains Américains, du moins.
Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur primé de la mairie de Chicago. Il peut être contacté sur son site Web personnel à l’adresse www.Hanania.com.
Twitter: @RayHanania
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.