PARIS: Le Forum pour l'islam de France, instance composée d'acteurs de terrain choisis par les pouvoirs publics, se réunit samedi à Paris dans le but affiché par l'exécutif d'assurer une représentation plus légitime et efficace de la deuxième religion du pays.
Inédit, ce format de dialogue est l'occasion de tourner la page du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui était depuis 2003 l'interlocuteur privilégié de l'Etat, mais en proie à une crise profonde.
Une centaine de personnes - aux deux tiers responsables d'associations, imams, personnalités engagées localement dans le culte musulman et pour un tiers des personnalités qualifiées d'envergure nationale - ont rendez-vous au Conseil économique social et environnemental pour une journée de travaux, en partie en présence de Gérald Darmanin, ministre français de l'Intérieur.
Ces acteurs de terrain (hommes et femmes) ont été choisis par les autorités par l'intermédiaire de listes émanant des préfectures, à la suite d'"assises territoriales de l'islam de France", des rencontres tenues à trois reprises (2018, 2019 et 2021) dans les départements.
Figureront aussi l'ancien président du CFCM Abouar Kbibech, le recteur de la Mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz, le recteur de la Mosquée de Lyon Kamel Kabtane, ou encore l'essayiste Hakim El Karoui.
En revanche, les femmes imames Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, qui défendent l'imamat des femmes et les prêches devant des assemblées mixtes femmes-hommes, n'ont pas été conviées. L'imam de Bordeaux Tareq Oubrou, connu pour son indépendance, n'y sera pas non plus.
Ce Forum pour l'islam de France (Forif) aura vocation à se réunir annuellement, parallèlement aux "assises territoriales".
Pour les pouvoirs publics, il s'agit de "ne pas instituer un interlocuteur unique" et d'avancer avec des acteurs qui "s'engagent à être constructifs", souligne une source proche du dossier.
Gérald Darmanin avait affirmé en décembre que le CFCM, en tant que "représentation de l'islam +consulaire+ (à travers les fédérations affiliées aux anciens pays d'origine comme le Maroc, l'Algérie, la Turquie ndlr)" était "mort".
« Début d'un processus »
Ces acteurs ont déjà commencé à travailler depuis plusieurs semaines, autour de quatre thèmes.
Selon un document de synthèse, le premier groupe a proposé de mettre sur pied "une nouvelle autorité cultuelle d'accompagnement des aumôneries" militaire, pénitentiaire, hospitalière, une mission jusque-là assurée par le CFCM.
En particulier va être discutée l'idée d'un "statut" de l'aumônier pénitentiaire, avec "un salaire, une sécurité sociale, une formation", a affirmé à l'AFP Mohamed Loueslati, aumônier national des prisons. "C'est une bonne chose, c'est une façon de lutter contre la radicalisation" en prison, a-t-il dit.
Un autre travaille à un statut de l'imam, avec une "définition" de son métier, son temps de travail, son contrat de travail, sa rémunération, etc.
Un troisième se focalise sur l'application de la loi dite contre le "séparatisme" votée cet été, notamment sur la transparence demandée aux associations gestionnaires de mosquées.
Enfin, un dernier propose de "mettre en place une structure" dédiée à la sécurisation des lieux de culte et des actes antimusulmans".
En revanche, rien n'est explicitement formulé sur le financement du culte, pourtant nerf de la guerre.
Des propositions de "contribution volontaire sur l'abattage rituel" (halal) ou encore de prélèvement sur le marché du grand pèlerinage à La Mecque (le hajj) ont déjà été étudiées par le passé, mais sont restées lettre morte.
Et des interrogations se font jour sur la légitimité et la représentativité de cette nouvelle instance.
"Si on veut peser sur l'avenir, il faut peut-être s'organiser autrement", plaide Kamel Kabtane, pour qui le CFCM n'est pas parvenu à "porter les aspirations des musulmans".
"La méthode est très bonne, on fait confiance aux gens de terrain, indépendants", s'est félicité Hakim El Karoui. "Il s'agit de voir comment faire des choses efficaces. C'est le début d'un processus".
Au contraire, pour Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS, "la création du Forif se présente plutôt comme une opération médiatique destinée à démontrer que le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, entend, lui aussi, laisser son empreinte sur la gouvernance de l'islam, comme tant d'autres avant lui", a-t-il dit dans une tribune au Monde cette semaine.