En 1995, l’élection présidentielle semblait être une formalité pour le Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, qui était membre du RPR, l’ancêtre du parti «les Républicains» (LR). Les sondages lui étaient très favorables et son stratège de campagne, le jeune et prometteur Nicolas Sarkozy, parvenait à éclipser complètement le candidat désigné par le parti de droite, l’ancien Premier ministre, Jacques Chirac. Semaine après semaine, les partisans de M. Chirac faisaient défection et se ralliaient à Édouard Balladur, jusqu’au plus chiraquien de tous, Charles Pasqua.
Dès lors, Jacques Chirac, en retard dans les sondages, allait jouer un rôle qui le rendra célèbre, celui de l’homme trahi, mais toujours debout, celui de l’homme qui comprend les Français et n’a que faire des ralliements de ses ténors vers son adversaire. Lui qui était déjà un vieux routier de la politique allait finir par dépasser Édouard Balladur dans la dernière ligne droite et triomphera en avril, devenant le cinquième président de la République tout en faisant découvrir au grand public le sens du mot «résilience».
Les similitudes avec ce qui arrive à Marine Le Pen en 2022 sont assez troublantes. En ce début d’année, il ne se passe pas une semaine sans que des cadres du parti d’extrême droite ne quittent le navire. Ces derniers jours, après l’ancien avocat Gilbert Collard et le député européen Jérôme Rivière, c’est sa propre nièce, Marion Maréchal, qui se rapproche d’Éric Zemmour dans cette primaire d’extrême droite qui ne dit pas son nom. On parle également d’une prochaine défection de Nicolas Bay, autre cadre de premier plan du Rassemblement national (RN), qui laisserait Marine Le Pen seule et isolée.
Marine Le Pen, forte d’intentions de vote importantes dans les catégories populaires et le monde rural pourrait, si sa stratégie très chiraquienne de la résilience lui permettait de se qualifier au deuxième tour face à Emmanuel Macron, bénéficier de reports intéressants auxquels elle n’aurait pas pu prétendre il y a cinq ans.
Arnaud Lacheret
Mais les défections ne semblent pas pour le moment entamer les intentions de vote en faveur de Marine Le Pen qui a l’air assez solidement installée dans la perspective d’un duel pour la deuxième place face à la candidate LR Valérie Pécresse, Éric Zemmour restant en embuscade quelques points en retrait.
Marine Le Pen tente ainsi de faire ce qui avait réussi à Jacques Chirac, en jouant la carte de la résilience, de la femme trahie qui reste debout face à tous ceux qui la fuient. Elle gagne également en modération, car ceux qui la quittent sont les plus marqués à droite de ses soutiens. Ces départs la rendent ainsi plus fréquentable en apparence, comme si avoir un épouvantail à sa droite faisait de Marine Le Pen quelqu’un de moins extrême.
En face, Éric Zemmour s’affiche, meeting après meeting, avec de plus en plus de personnalités qui le rejoignent, venant du RN, de LR et d’autres partis de la droite conservatrice ou d’extrême droite. Cette démonstration de force se traduit-elle dans les sondages d’opinion? Rien n’est moins sûr au point que l’ancien patron de l’institut CSA, Stéphane Rozès, estime que le score dont est crédité Éric Zemmour pourrait bien être sous-évalué. En effet, les instituts de sondage n’ayant pas vraiment de recul, ils ne savent pas comment «ajuster» les estimations qu’ils obtiennent concernant M. Zemmour.
Pour autant, Marine Le Pen tente d’apparaître sereine et prête à affronter seule l’échéance malgré la vague de défections qui ne font peut-être que commencer. En contraste avec ceux d’Éric Zemmour, ses propos semblent plus apaisés, plus équilibrés, moins agressifs alors qu’ils n’émanent pas moins d’une dirigeante politique qualifiée de «populiste», dont les parlementaires européens siègent aux côtés de l’ensemble de l’extrême droite continentale.
Marine Le Pen, forte d’intentions de vote importantes dans les catégories populaires et le monde rural pourrait, si sa stratégie très chiraquienne de la résilience lui permettait de se qualifier au deuxième tour face à Emmanuel Macron, bénéficier de reports intéressants auxquels elle n’aurait pas pu prétendre il y a cinq ans. En effet, son apparente modération et sa victimisation pourraient transformer celle qui était une candidate de premier tour qui assurait quasiment automatiquement la victoire au second tour à son opposant, en une prétendante à la victoire finale. Encore faut-il que les électeurs ne soient pas dupes et qu’ils adhèrent à ce qui est avant tout une stratégie de communication dont nous ne tarderons pas à voir si elle est payante.
Arnaud Lacheret est docteur en science politique, Associate Professor à l’université du golfe Arabique de Bahreïn, où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres, Femmes, musulmanes, cadres – Une intégration à la française et La Femme est l’avenir du Golfe, sont parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.