Il ne fait aucun doute que le régime Assad est principalement responsable des conflits et des crises en Syrie. Son bilan en matière de droits de l’homme est parmi les pires au monde : ciblage de civils, notamment avec des armes chimiques et des bombes barils, détentions massives, disparitions et actes de torture.
Sans oublier ce qui précède, il est également vital que ses adversaires de tous types rendent des comptes d’actes desquels ils sont responsables. Quel est l'intérêt de lutter pour voir la fin d'un régime barbare si c’est pour qu’un autre prenne sa place ? Les droits de l'homme et les normes de gouvernance sont importants. Les normes adoptées par l'opposition syrienne, les groupes de la société civile et d'autres sont importantes.
C’est pourquoi, depuis le début du conflit en 2011, le régime syrien a cherché à affaiblir les groupes d'opposition. Le régime a libéré des extrémistes d'Al-Qaïda de la prison de Sednaya, pleinement conscient que ses forces combattraient ces mêmes personnes dans les mois à venir.
C’est pourquoi le dernier rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie au Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait donner à réfléchir. Il résulte d’enquêtes menées du 11 janvier au 1er juillet sur le terrain.
Un rapport de l’ONU accablant pour l’ANS soutenue par la Turquie
La plupart des rapports de la Commission depuis sa création en août 2011 se sont focalisés sur les violations des droits de l’homme commises par le régime de Bachar el-Assad. La lecture de son contenu devrait mettre l'opposition syrienne et ses partisans dans une position inconfortable. Dans le monde polarisé de la politique syrienne, parler des abus de l'opposition revient souvent à assimiler l’accusateur à une sorte de pantin du régime. Mais pour ceux qui souhaitent vraiment voir un gouvernement différent, plus humain et plus efficace en Syrie, fermer les yeux sur de tels abus nuit à la cause syrienne. Le fait que le régime soit bien pire n’est pas une excuse.
Une grande partie du rapport détaille les actions de l’Armée nationale syrienne (ANS), force armée que la Turquie a aidé à mettre en place en 2017 et qu’elle a utilisée lors de trois invasions de la Syrie - dans la ville d’Afrin, dans la région qui entoure Jarablus, ainsi que dans les régions dominées par les Kurdes au nord du pays.
L’ANS est accusée d’une multitude d’abus, notamment à Afrin, comme la détention de civils dans des lieux inconnus, le meurtre, le viol, l'enlèvement et le pillage de maisons kurdes. « La Commission demeure préoccupée par l'utilisation répandue et récurrente de la prise d'otages par les forces de l'Armée nationale syrienne », indique le rapport.
Le régime syrien n’a pas non plus de monopole sur la torture. « L’une des victimes a décrit comment, pendant son interrogation, elle a été menacée de viol et frappée à la tête par des membres de l’Armée nationale syrienne, en présence de responsables turcs », poursuit le rapport. Dans un autre cas, un garçon était menotté et pendu au plafond. Deux détenus ont été forcés d'assister au viol collectif d'un mineur. Les Yézidis ont été maltraités, ainsi que les Kurdes. Tout cela constitue des crimes de guerre, comme l'affirme la Commission. De tels abus se produisent également dans les régions du nord-est de la Syrie, dont les forces soutenues par la Turquie se sont emparées en octobre 2019, comme le souligne un rapport récent du gouvernement américain.
La Turquie ne peut ignorer ce qui se passe dans les régions qui sont sous son contrôle effectif. « La Turquie a la responsabilité, dans la mesure du possible, d'assurer l'ordre public et la sécurité, et d'accorder une protection spéciale aux femmes et aux enfants », a précisé la Commission indépendante sur la Syrie. Les rapports mentionnent que les forces turques étaient au courant et étaient même présentes quand bon nombre de ces abus se sont produits. Le transfert de Syriens en Turquie, comme cela s'est produit, est également un crime de guerre. Plus tard, Ankara pourrait même faire face à des conséquences juridiques.
Une trahison pour les Syriens qui ont manifesté pacifiquement
Au début de cette guerre civile, plusieurs des jeunes combattants syriens qui font maintenant partie de l’ANS n'étaient que des enfants. Beaucoup avaient grandi dans la Ghouta, à l'est de Damas, où il n'y avait pas de communautés kurdes syriennes. Transférés de force dans le nord du pays, ils sont désormais entraînés dans les guerres de la Turquie pour atteindre les objectifs d’Ankara. Ils ont ainsi été envoyés en Lybie pour mener une guerre au nom de la Turquie, souvent contre des mercenaires syriens recrutés par la Russie. Plus récemment, la Turquie a envoyé des combattants syriens en Azerbaïdjan pour aider à combattre l'Arménie dans la région du Haut-Karabagh.
D’autres partis en Syrie sont également épinglés sur le front des droits humains. Le concept de droits de l’homme est étranger à Hayat Tahrir Al-Sham à Idlib, qui est en fait une ramification d'Al-Qaïda. Plus embarrassant, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une force largement kurde, membres de la coalition anti-Daech, sont également accusés d’une série de crimes de guerre. Les FDS sont soutenues par les États-Unis et contrôlent une grande partie de l'est de la Syrie.
Mais dans ce dernier rapport, l'accent est mis sur les forces soutenues par la Turquie. La Turquie joue un jeu encore plus sale en Syrie, réorganisant la démographie pour créer une zone tampon dominée par les Arabes le long de sa frontière au détriment des populations kurdes qu'elle accuse d'encourager le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe que la Turquie considère comme terroriste. Encourager les rivalités entre les Arabes et les Kurdes en Syrie sème en réalité les graines d'un conflit générationnel.
Après la publication du rapport, la Turquie a adopté une position de déni pur et simple. Ankara a cependant convoqué des commandants de l’ANS à une réunion à Gaziantep. Ils auraient été sermonnés sur la question des violations des droits de l'homme à la suite du rapport de l'ONU. Le temps nous dira si cela conduira à un changement de comportement à long terme.
La Turquie ne peut ignorer ce qui se passe dans les régions qui sont sous son contrôle effectif.
Chris Doyle
L’avenir de la Syrie dépend du développement d'alternatives à la dictature autoritaire. Ceux qui reproduisent la brutalité du régime syrien n'ont aucune réponse au défi d’une transition. Pire encore, ils trahissent les manifestants courageux qui ont donné leur vie pour une résistance pacifique à ce régime - un mouvement dédié à une Syrie unie avec un seul peuple. Malheureusement, qu’il s’agisse du régime, de l’ANS ou d’autres factions, tous ceux qui disposent d’armes sur le terrain en Syrie sont plus déterminés à fracturer et à fragmenter ce grand pays et son peuple.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique (Caabu), basé à Londres. Twitter : @Doylech
NDLR : Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.