Le régime syrien aime bien faire savoir que la situation dans le pays est normale, alors même que la Syrie est en ruine, que le peuple syrien vit dans la pauvreté et qu’il affronte une pandémie mortelle. Sur le plan intérieur, ce faux-semblant est une farce qui ne trompe personne, même les fidèles du régime.
Bachar al-Assad a peu de marge de manœuvre interne, car l’économie est à terre, et ses alliés font l’objet de sanctions internationales. Mais peut-il redorer son blason à l’international ? Peut-il renouer des liens avec ses voisins de la région ? Peut-il briser l'isolement dans lequel la Syrie vit depuis plus d'une décennie, et limiter sa dépendance envers l'Iran et la Russie ?
Le timing pourrait jouer en sa faveur. Les combats se sont atténués, du moins pour l'instant, ce qui, potentiellement rend moins embarrassant pour les autres parties un rapprochement avec la Syrie. Depuis début mars, les lignes de front sont gelées. Cela dure depuis six mois, chose assez rare au vu des neuf dernières années.
Le régime contrôle une grande partie de l'ouest et du sud de la Syrie, soit 63,38% du pays. Idlib, dans le nord-ouest du pays - soit environ 3% du territoire - demeure sous le contrôle de l’opposition et d’extrémistes. Les zones occupées par la Turquie dans le nord sont hors de portée du régime. Il y a enfin la zone contrôlée par les Kurdes à l'est. Ici, le régime a hâte de reprendre le contrôle des champs pétrolifères mais, tant que demeure une présence militaire américaine, cela semble peu probable.
Les forces russes ont cependant attisé le ressentiment local contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) et la présence américaine. L’espoir est que Donald Trump considère un retrait de Syrie comme argument électoral pour augmenter ses chances d’être élu le 3 novembre prochain. Le régime syrien continuera de se présenter comme la seule alternative viable pour les groupes kurdes terrorisés par les ambitions turques.
Cette stabilisation s’explique davantage par une entente russo-turque que par toute nouvelle envie du régime Assad d'accepter le statu quo. Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan sont arrivés à un modus vivendi en Syrie, et n'ont apparemment guère envie, à ce stade, de souffler sur les braises. On peut se demander si les deux dirigeants se sont mis d’accord pour un règlement du conflit syrien temporaire de facto, qu’Assad n'aurait en réalité pas d'autre choix que d'accepter à contrecœur.
Si la poursuite du conflit dans les dernières zones restantes hors de son contrôle n'est actuellement pas envisageable, Assad a une autre ambition majeure qui va au-delà de la simple survie : il doit ramener la vie en Syrie à un semblant de normalité. Les médias syriens suggèrent de façon trompeuse que c’est déjà le cas. Pourtant la crise économique, qui a plongé 80% de la population syrienne dans la pauvreté, et le Covid-19 qui a plus durement frappé les Syriens qu’attendu, suggèrent le contraire.
Quelles relations avec les Etats du Golfe et Israël ?
Pour reconstruire une économie syrienne ravagée par la guerre, la corruption du régime, et la crise financière dans son pays ainsi qu’au Liban voisin, Bachar al-Assad a besoin de se faire des amis au-delà de la Russie et de l'Iran. Ces deux pays continueront de garantir la sécurité du régime - et sans eux il pourrait se désintégrer - mais cela a un prix très élevé que la Syrie paiera pendant des années. Le président syrien sait que ni Moscou ni Téhéran ne peuvent à eux seuls tirer la Syrie d’affaire. Il a besoin d'autres soutiens.
Il faut signaler que les médias officiels syriens n'ont pas réagi aux décisions des Emirats arabes unis et de Bahreïn de normaliser leurs relations avec Israël. Souvenons-nous que le régime de Damas s'est toujours présenté comme étant un acteur central de la résistance arabe face à Israël, et a adopté la position la plus intransigeante sur la question de « la terre contre la paix ». On aurait pu s'attendre à qu’il déchaine toutes les flammes de l’enfer contre ces États du Golfe.
Le silence de Damas montre qu'il a d'autres priorités. Il ne fait aucun mystère que le régime syrien espère se rapprocher des EAU et de Bahreïn. Oman n'a jamais rompu ses liens avec Bachar al-Assad, tout en maintenant comme à habitude ses relations avec tous les acteurs régionaux. De hauts responsables omanais se rendent quelquefois dans la capitale syrienne. Assad espère que les EAU, qui fournissent déjà une aide humanitaire au régime, pourront apporter un soutien financier, et devenir un solide partenaire commercial.
Le soutien de pays du Golfe pourrait aider Damas à faire son retour à la Ligue arabe, signe que la Syrie serait de nouveau acceptée dans le giron régional, et perdrait son statut de Sibérie du Moyen-Orient. La Russie présente la Syrie aux États du Golfe comme un moyen de s’opposer à la volonté de domination de la Turquie.
Il semblerait extrêmement improbable qu'Assad envisage une ouverture vers Israël, mais la tentation serait présente, si elle engendrait un assouplissement des sanctions américaines hautement préjudiciables au régime. Vladimir Poutine serait ravi de mettre en valeur ses capacités de puissance intermédiaire au Moyen-Orient, en facilitant l'accord et en s’en faisant le garant.
L'économie iranienne s’effondrant petit à petit, il est clair que la Syrie recevra de moins en moins de soutien financier de son allié. Si Assad devait renoncer à l'Iran, les récompenses pourraient s'avérer alléchantes. L'administration Trump sauterait volontiers sur cette occasion, arguant que son activité diplomatique a favorisé un tel climat de normalisation. Les sanctions pourraient être levées dans le cadre de l'accord, avec l'arrivée d’une aide à la reconstruction.
Pourtant, l'UE souhaiterait voir le système syrien se réformer, ce qui constitue en quelque sorte une ligne rouge pour Assad. Le régime pourrait-il faire des concessions sur la question territoriale des hauteurs du Golan occupées ? Ce serait une autre ligne rouge, bien qu'elle puisse être rose sur les bords. Pourrait-il accepter un arrangement provisoire ?
Manque d’audace
Rien de tout cela ne semble probable. Le régime montre peu d’audace et n'a pas encore trouvé un autre logiciel de pensée. Son approche est tellement rigide qu’elle en est fragile. Tout changement d'une position adoptée historiquement est en quelque sorte perçue comme une faiblesse. Toute prise de position ou toute critique contre ses décisions n'engendrerait que répression et violence.
« Pour reconstruire une Syrie en ruine, Assad a besoin de se faire des amis au-delà de la Russie et de l'Iran »
Chris Doyle
Le régime est dans la réaction plutôt que dans l’action. Les initiatives sont étrangères à son ADN. Il ne cherche pas d'amis mais attend encore souvent qu'ils viennent à lui, s’obstinant dans la croyance - enracinée depuis les premiers jours du régime dans les années 1970 - que tous les chemins mènent à Damas. La cruelle et simple réalité est que le régime est prisonnier du bourbier qu’il a lui-même creusé, et qu’il n’arrive pas à véritable comprendre comment il doit changer, chez lui ou à l'étranger.
La Syrie a besoin d'amis mais ce régime n’a guère d’idées pour savoir comment s’en faire. À moins qu'il ne modifie son vision et accepter des réformes même modestes, il restera marginal et impuissant.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab- British Understanding, basé à Londres. Twitter : @Doylech
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur www.ArabNews.com