Une étude des classes sociales du mouvement de mi-novembre 2019
La classe moyenne inférieure a joué un rôle très important dans les récentes protestations de janvier 2018 et de novembre 2019. Novembre 2019, pour être plus précis, s'est trouvé être à l'intersection des protestations des populations urbaines pauvres et de la classe moyenne inférieure.
La classe moyenne, en risque de déclassement, n'hésite pas à protester ni à entrer en conflit, sur le plan de la théorie et de la réalité. Ses membres sont souvent instruits et, pour certains, diplômés; la plupart d'entre eux savent ce qui se passe dans le monde; ils connaissent bien la technologie des réseaux sociaux et savent les utiliser. Par-dessus tout, ils aspirent à se maintenir ou à revenir à leur statut de classe moyenne. Une bonne partie d’entre eux connaissent les conditions de vie des urbains paupérisés.
La plupart de ces personnes sont au chômage ou occupent des emplois instables à faible revenu,sans rapport, le plus souvent, avec leur spécialisation et leur éducation. La plupart d'entre ellessavent que, malgré les nombreuses ressources dont dispose leur pays (richesse nationale, pétrole, mines, réservoirs...), elles sont privées de leurs bienfaits. D'où le sentiment de colère et d'injustice qu’elles ressentent à se voir ainsi délaissées et opprimées, alors que, d’un point de vue sociologique, ces personnes appartiennent au monde de l'université, de l'Internet, des livres et des intellectuels.
«À l'heure actuelle, le fossé entre les classes est tel que nous en voyons aujourd'hui deux: une classe composée des riches et une autre composée de pauvres. C’est la conséquence d'une classe moyenne qui semble être retombée au niveau des classes inférieures», indique le journal gouvernemental Jahan-e Sanat dans son édition du 8 novembre.
Organisation du mouvement de protestation
Dans le journal des Jeunes, les Gardiens de la révolution, on lit au sujet de ce soulèvement, à la date du 20 novembre 2019: «La violence organisée caractérise de façon inédite les récents troubles.» Ainsi, des dizaines de postes de police, le CGRI (le Corps des gardiens de la révolution islamique) et le Basij (la milice affiliée aux Gardiens de la révolution iranienne) ont été attaqués avec des armes à feu, et plusieurs membres du Basij ont été encerclés et tués.
Les caractéristiques les plus importantes du soulèvement de novembre 2019 seraient les suivantes:
- La présence des sections les plus démunies de la société qui se sont muées en armée d’affaméscontre la machine répressive du Velayat-e-faqih;
- La rapidité, la convergence des protestations et le radicalisme du soulèvement, qui s'est spontanément porté vers l'incendie de banques et la destruction de symboles gouvernementaux;
- Le caractère subversif du soulèvement, qui s'est cristallisé sur les revendications syndicales avec comme slogan «Mort à Khamenei» (le chef du régime);
- L'organisation des forces insurgées, avec pour axes principaux la jeunesse et les unités de résistance;
- Les performances et le rôle des femmes dirigeantes, prépondérants sur toutes les scènes;
- L'ampleur et l'essaimage du soulèvement, qui s'est étendu sur mille points dans tout le pays en un temps record;
- La démonstration du retour de la stratégie des unités de résistance dans les villes.
Le pouvoir d'un soulèvement de protestation
Si l’on examine les coûts matériels et immatériels que provoque en matière de pouvoir un mouvement sociopolitique ou de protestation susceptible de porter un coup à la crédibilité dugouvernement, on peut remarquer que ce soulèvement a été assez puissant pour remettre en question la légitimité de l’ensemble du régime iranien, y compris sur la scène internationale.Toutes les stratégies ultérieures du régime iranien se trouvent affectées par ce coup majeur porté contre lui. On peut dire que même ses actions, ses atermoiements dans les négociations nucléaires, la nomination d'un président, entre autres, se déclinent à partir de ce soulèvement.
Conséquences de novembre 2019: l'unification du régime
À la suite de ce coup, le régime iranien, conscient de la faillite sociale de son gouvernement et de sa vulnérabilité, a changé son fusil d'épaule. Jusqu'à présent, il possédait deux grandes factions, l’une fondamentaliste et l’autre prétendument modérée. Le régime iranien était obligé de fonctionner avec la faction «modéré» qui, jusqu'à présent, avait assuré, prétend-il, trente ans d'apaisement des relations entre l'Occident et l'Iran en donnant l'illusion d'une possibilité institutionnelle de changement au sein du régime. Désormais, il lui faut se tourner vers la faction fondamentaliste afin de mieux résister aux prochaines vagues de soulèvement. C'est ainsi que le Guide suprême de l'Iran a décidé d'interdire l'importation d'un vaccin valide en provenance des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France en vue de répandre le désespoir et la désolation face au massacre causé par la Covid-19 dans le but de prévenir un nouveau soulèvement.
Conclusion
Le soulèvement de 2019 place le régime iranien devant une impasse. S’il souhaite poursuivre son influence régionale et obtenir la bombe atomique ou le développement de ses missiles au prix de la pauvreté unique du peuple iranien, il n’y parviendra, tôt ou tard, qu’après la pandémie. Et il doit être tenu responsable des centaines de milliers de décès causés par la Covid-19.
La communauté internationale souhaite que le régime iranien renonce à son influence régionale et abandonne l’idée de se doter de l'arme nucléaire, ce qui semble très improbable. Il est donc possible que ce contexte conduise à un effondrement du Guide suprême de l'Iran, qui s'est appuyé jusqu'à présent sur les piliers de l'influence régionale, du terrorisme à l'étranger et de la répression à l'intérieur.
Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.
TWITTER: @h_enayat
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français