Les manifestations de 2009 connues sous le nom de «Mouvement vert» et de nature essentiellement politique ont commencé par des protestations contre la fraude et l'ingénierie électorales pour se transformer en un mouvement insurrectionnel. Cependant, les manifestants de 2009 venaient principalement des zones urbaines, notamment des grandes villes, et plutôt de la classe moyenne.
Les événements de novembre 2019 se révèlent d'une nature totalement différente et ils diffèrentégalement des protestations de 2018. Certes, ces dernières comprenaient plusieurs groupes sociaux qui ont organisé des soulèvements à grande échelle dans différentes villes du pays pendant dix jours consécutifs. La particularité des protestations de ces groupes sociaux réside dans le fait qu'elles se sont mêlées à celles de la population du Yémen sur les médias sociaux. Chaque groupe a en outre pu exprimer ses propres revendications: les agriculteurs pour le manque d'eau, les travailleurs pour les arriérés de salaire, les pauvres pour leurs faibles ressources et, bien sûr, pour exiger des emplois décents, tandis que d'autres réclamaient davantage de sécurité face à la police morale, lançant parfois des slogans politiques tels que «Mort à Khamenei». Mais, les slogans politiques ne dominaient pas comme en 2019.
À la mi-novembre 2019, un changement qualitatif dans les protestations est apparu pour se transformer en un véritable soulèvement. C’est à partir de ce mois que les divers groupes sociaux (les classes inférieures, les femmes, les étudiants, les jeunes, la classe moyenne pauvre, etc.) ont formulé leurs revendications au-delà de leurs propres préoccupations et qu’ils ont exprimé des demandes politiques plus générales. Ils ont réclamé des changements plus structurels, avec le renversement du régime iranien dans son ensemble. Cet important changement qualitatif est le fruit de la maturation politique engendrée par quarante ans d'interventions gouvernementales dans les régions, les tueries en Syrie et en Irak,auxquels s'ajoute le processus d'acquisition de la bombe atomique, qui s'opère au détriment du bien-être du peuple.
Yadollah Javani, adjoint politique des Gardiens de la révolution, ne dit pas autre chose lorsqu'il déclare: «Ces événements, par leur ampleur et leurs dimensions, ont été uniques en leur genre au cours des quarante années de Révolution islamique.»
Deux caractéristiques marquantes du soulèvement de novembre 2019 le distinguent des protestationsprécédentes. La première d’entre elles est qu’il fut d'ordre général et qu'il a pu, en particulier, bénéficier de l'entrée des unités de résistance, qui, grâce à leurs qualités d'organisation, ont permis que, en quarante-huit heures, le soulèvement parvienne à coordonner les revendications de quatre décennies, et dans cent soixante-deux villes. Cela montre un changement structurel.
Le rôle des femmes
Une autre caractéristique marquante de cet événement réside dans l'émergence des femmes. Dans de nombreuses villes, le soulèvement a été mené par des femmes, grâce à leur courage et à leur bravoure. Leur rôle a été tellement indiscutable et évident que les responsables du renseignement du régime iranien l'ont eux-mêmes reconnu. «Le rôle spécial des femmes dans le soulèvement et dans la mobilisation des jeunes, comme l'attaque des centres de mobilisation de femmes, était similaire aux méthodes [des femmes moudjahidines]», peut-on ainsi lire dans le média des jeunes Gardiens de la révolution. «Et si l’on se demande pourquoi les femmes sont devenues les leaders de la récente protestation, la réponse la plus importante que l'on puisse donner à cette question est que la présence colorée des femmes a constitué un facteur décisif pour stimuler les sentiments, les émotions et le zèle de la société», ajoute le journal.
Le site Internet Khabar-Fori écrit quant à lui: «Le leadership particulier des femmes dans les récents troubles semble significatif. Dans de nombreux endroits, notamment dans la banlieue de Téhéran, des femmes âgées de 30 à 35 ans ont joué un rôle important dans la conduite des émeutes. Ces femmes en uniforme ont chacune une tâche distincte: l'une filme les émeutiers, une autre bloque les voitures, une autre encore incite les gens à se joindre à la protestation. On peut se demander pourquoi, lors de ces récents troubles, les femmes sont devenues des leaders sur le terrain.»
Le journal d'État Javan, affilié aux Gardiens de la révolution, a publié le 20 novembre 2019 un article intitulé Caractéristiques d'une émeute: «Des tâches spéciales ont été définies pour les femmes. Elles ont joué un rôle clé, à la fois en attaquant les centres de mobilisation des femmes et en motivant les jeunes. Bien qu’elles n’aient pas causé de victimes, ces femmes, par la manière dont elles agissent, rappellent les figures de l'opposition jurée du régime iranien Moudjahidin.»
Ces dernières années, Maryam Radjavi, leader de l'opposition iranienne, a pu bénéficier d'un large soutien parmi les jeunes et les femmes de la société iranienne grâce à son plan en dix points qui vise à séparer la religion de l'État, à promouvoir la liberté vestimentaire et à s'opposer à toute discrimination à l'égard des femmes. Selon des responsables des services de renseignement, Maryam Radjavi est «descendue dans la rue».
La colère accumulée au fil des ans ne peut s'accompagner de violence aveugle. La violence qui accompagne ces mouvements de protestation de 2019 s'exerce sur certains lieux symboliques, comme les banques, qui incarnent l'exploitation du peuple et le non-retour de ses économies sous le prétexte de la faillite des commissariats de police, ainsi que d'autres lieux gouvernementaux.
Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.
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