Le président américain, Joe Biden, a commencé son mandat en exprimant le vœu de remplacer les «guerres éternelles» par «une diplomatie implacable». Cependant, la diplomatie doit être appliquée. Alors que les États-Unis se retirent des affaires mondiales, et en particulier de la région du Golfe, ils ne veulent pas gérer un effondrement en Syrie. En ce sens, l'administration considère que le statu quo, bien qu'insatisfaisant, est la solution provisoire la plus réaliste qui garantit le moins de dégâts possible.
Cependant, après l'attaque au missile du 23 novembre dernier contre leur base d'Al-Hasakah, en Syrie, les États-Unis pourraient se rendre compte qu'une politique de gel de conflit n'est pas durable. Alors que les perspectives d'un éventuel accord avec l'Iran s'assombrissent, ils ont besoin d'un plan d'urgence pour contenir l'activité déstabilisatrice de l'Iran dans la région.
Bien sûr, la diplomatie doit se poursuivre, mais il doit également exister un recours parallèle capable de maîtriser l'Iran dans la région. En effet, les États-Unis ne peuvent plus miser sur un accord qui incitera le régime à demander à ses mandataires de réduire leur comportement agressif; il est nécessaire qu’ils se coordonnent avec leurs alliés, qu’ils adoptent une stratégie claire et qu’ils mettent en place des plans d'action complets.
Le fait est qu'il devrait y avoir à la fois la carotte et le bâton dans l'approche de l'Amérique vis-à-vis de l'Iran. Le problème avec la politique américaine actuelle, c’est son manque d'équilibre: elle consiste soit à offrir une carotte, soit à agiter un bâton. Alors que Barack Obama avait adopté une approche de laisser-faire, Donald Trump a imposé des conditions impossibles.
Les politiques sont généralement réajustées par l’histoire. En effet, lorsque certains événements ont lieu, les États sont poussés à réviser leurs politiques. Des attaques comme celles de la semaine dernière contre Al-Hasakah montrent que l'approche de non-intervention des États-Unis a pour effet d’enhardir l'Iran. La Russie et Israël ont conclu un accord en vertu duquel ce dernier dispose d’un feu vert pour bombarder l'Iran et ses mandataires en Syrie. L'Iran, qui se sent mal à l'aise avec cet arrangement, cherche à pousser les États-Unis hors de Syrie. Cela conforterait sa position pour négocier avec la Russie et d'autres acteurs. Néanmoins, après la débâcle d’Afghanistan, un consensus s'est dégagé aux États-Unis pour que ces derniers gardent un petit contingent en Syrie.
Les forces américaines avaient été épargnées, jusqu'à il y a peu, par les Iraniens, qui ne souhaitent pas faire naître un affrontement plus important, et qui ne veulent pas non plus perturber les négociations pour revenir à l'accord nucléaire, puisque l'objectif principal de l'Iran reste la levée des sanctions. Mais, alors que les Israéliens multiplient les attaques contre l'Iran et que ce dernier perd l'espoir d'une reprise de l'accord nucléaire et de la levée des sanctions, Téhéran va durcir le ton.
L'Iran considère la Syrie comme sienne et il compte sur la loyauté de Bachar al-Assad pour y maintenir sa présence. Il adopte désormais une position plus agressive envers les États-Unis afin de préserver sa présence en Syrie. L'attaque de la semaine dernière est survenue un mois après celle qui a été menée contre la base militaire d'Al-Tanf par un groupe appelé la «Salle des opérations des alliés de la Syrie». Les médias iraniens, quand ils ont rendu compte de cette attaque, ont établi une comparaison avec l'Afghanistan et ils ont déclaré que seules les attaques militaires avaient chassé les États-Unis de ce pays.
Le problème avec la politique américaine actuelle, c’est son manque d'équilibre: elle consiste soit à offrir une carotte, soit à agiter un bâton.
Dr Dania Koleilat Khatib
L'Iran compte dès lors sur le fait que l’attaque ait intimidé les États-Unis et pense qu'ils finiront par quitter la Syrie. Néanmoins, Téhéran ne veut pas d'une confrontation frontale: il veut épuiser les États-Unis en Syrie, d'où ces attaques calculées.
Bien qu'il ne soit pas dans l'intérêt de l'Iran d'entrer en guerre avec l'Amérique, Téhéran suppose qu'une pression soutenue sur ses positions poussera Washington à quitter la Syrie une fois pour toutes. Par conséquent, les États-Unis devraient s'attendre à davantage d'attaques de ce type. Mais la question la suivante: les États-Unis ont-ils un plan ou vont-ils partir et engendrer davantage de chaos, comme ils l'ont fait en Afghanistan?
Cependant, il existe également un consensus à Washington sur le fait que quelque chose devrait être entrepris au sujet des mandataires de l'Iran. Téhéran a l’habitude de continuer à monter les enchères jusqu'à ce qu'il soit remis à sa place. Que vont faire les États-Unis maintenant?
L'administration Biden devrait se rendre compte que, si elle ne saisit pas l'initiative, d'autres le feront pour elle. Le problème est que de nombreuses parties vont profiter de la place vacante et mener des actions qui se heurteront les unes aux autres, ce qui entraînera le chaos. Par conséquent, la politique du gel de conflit pourrait s’apparenter à une politique du chaos.
À moins que les États-Unis adoptent une approche proactive, ils ne peuvent garantir que tous les autres aspects resteront les mêmes. Bien que le statu quo soit l'objectif des États-Unis, il apparaît inacceptable pour de nombreux acteurs. D'où l'initiative des Émirats arabes unis de normaliser les relations avec Al-Assad: c’est une conséquence directe de l'attitude passive des États-Unis.
À un moment donné, les États-Unis devront prendre des mesures car ils ne peuvent pas se permettre le chaos. Comme l'a déclaré le général américain David Petraeus, qui a dirigé l’opération de 2007 en Irak: «Ce qui se passe au Moyen-Orient dépasse toujours le cadre de la région. Ce qui se passe là-bas est appelé à avoir des répercussions ailleurs.» Le chaos qui règne dans cette région constitue un véritable casse-tête pour les États-Unis et pour l'Occident. Tôt ou tard, les États-Unis se rendront compte qu'une approche passive qui vise à geler le conflit et à éviter un effondrement est vouée à l'échec.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la diplomatie parallèle (Track II). Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour la politique publique et les affaires internationales de l'université américaine de Beyrouth.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com