L'attaque d'Israël contre les droits de l'homme, un objectif politique

Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, lors d'une visite de la zone frontalière de Gaza, dans le sud d'Israël, le 2 mars 2021. (Reuters)
Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, lors d'une visite de la zone frontalière de Gaza, dans le sud d'Israël, le 2 mars 2021. (Reuters)
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Publié le Dimanche 07 novembre 2021

L'attaque d'Israël contre les droits de l'homme, un objectif politique

L'attaque d'Israël contre les droits de l'homme, un objectif politique
  • Le 19 octobre, le ministre de la Défense israélien a classé six organisations de la société civile opérant en Cisjordanie parmi «les groupes terroristes», suscitant une réprobation internationale
  • Merci, M. Gantz, d'avoir attiré l'attention du monde sur les privations des droits politiques et humains fondamentaux des Palestiniens, réveillant la conscience publique et, espérons-le, la conscience tout court

Il est clair depuis un certain temps qu'aucune autre preuve n'est nécessaire pour montrer que les décennies d'occupation et de blocus d'Israël, qui affectent des millions de Palestiniens, ont gravement miné sa position morale.

De surcroît, cette politique a fini par embrouiller l’esprit des décideurs israéliens. Ce qui fait partie d'un long processus causé par l'arrogance de ceux qui disposent d’un contrôle total sur la vie des autres.

Dernier exemple en date de ce comportement déraisonnable: le ministre de la Défense, Benny Gantz, qui le 19 octobre, a classé six organisations de la société civile opérant en Cisjordanie parmi «les groupes terroristes», interdisant la présence de certaines des plus importantes organisations palestiniennes de défense des droits humains. Ces ONG s'efforcent non seulement d'atténuer la nature oppressive de l'occupation israélienne, mais dénoncent aussi les penchants de plus en plus autoritaires de l'Autorité palestinienne.

Les autorités de sécurité israéliennes arguent que ces organisations, qui sont très respectées par les Palestiniens et la communauté internationale, utilisent «de grosses sommes d'argent de pays européens et d'ONG internationales pour soutenir le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui est classé comme organisation terroriste par l’État hébreu.

Que cela soit exact ou faux, voire reflète éventuellement un lien plus nuancé entre les organisations de défense des droits humains et le FPLP, les autorités israéliennes ne fournissent pas la moindre preuve et ne peuvent pas s’attendre à ce que ces allégations soient prises pour argent comptant.

Il se peut que Gantz et les agences de sécurité soient persuadés que ces organisations aient à répondre de ces accusations. Mais compte tenu du bilan d'Israël en matière de droits de l'homme en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, personne n’en sera convaincu s'il n'est pas totalement transparent. Comment Israël peut-il vraiment s'attendre à ce que quelqu'un croie ces allégations, faites par un seul ministre, qui a seul le pouvoir d'appliquer une telle décision sans consulter le cabinet, uniquement parce que des lois différentes s'appliquent aux Territoires occupés et à Israël au sein d’un même territoire, dans les frontières de 1967?

Les six organisations nient ces allégations. Pour ceux d'entre nous qui connaissent leur travail, il semble non seulement complètement absurde qu'elles soutiennent idéologiquement le terrorisme, mais aussi qu’elles risquent de compromettre leur travail de défense des personnes les plus vulnérables en s'impliquant dans le financement du terrorisme.

En outre, ces militants aguerris de la société civile savent bien que leur travail est surveillé 24 h/24 par les forces de sécurité israéliennes, qui sont constamment à l'affût de tout signe de délit qui pourrait compromettre leur crédibilité et fournir une excuse pour interrompre leur financement international et mettre fin à leurs activités.

Selon toute probabilité, et si l’on se réfère aux expériences du passé, ce dernier développement fait plus largement partie des attaques concertées contre la société civile, à la fois à l'intérieur d'Israël et dans les Territoires occupés.

Des militants d'ONG israéliennes de défense des droits humains ont été victimes d'abus virulents, leur loyauté envers leur pays a été remise en question et ils ont été menacés de sévices physiques. En Cisjordanie, ces organisations subissent un harcèlement incessant de la part des forces de sécurité israéliennes, qui agissent en toute impunité.

Mais mettons de côté un instant la moralité de Gantz et le mal qu'il fait à la démocratie israélienne, et remettons plutôt en question la sagesse de la décision. Elle survient à un moment où la communauté internationale, malheureusement, accorde peu d'attention à la question palestinienne et au sort de ceux qui vivent sous l’occupation et le blocus. L'assaut contre ces six ONG a conduit à une condamnation immédiate et universelle de la communauté internationale, y compris le département d'État américain, qui s'est plaint de ne pas avoir été informé de la décision à l'avance.

Étant donné les modes de fonctionnement mystérieux de la politique israélienne et sa stratégie vis-à-vis des Palestiniens, nous devrions peut-être remercier Gantz, qui depuis son entrée en politique, ne s'est pas distingué par son adresse. Nous devrions le remercier d'avoir réveillé la conscience publique et, espérons-le, la conscience tout court, au pays et à l'étranger, sur la nature arbitraire et oppressive de l'occupation israélienne.

Dans aucun autre système démocratique fonctionnel, un ministre de la Défense n'aurait le pouvoir, sans un processus juridique transparent, et sans consulter ses collègues du gouvernement, de signer un décret désignant un groupe d'ONG de défense des droits comme une organisation terroriste. Mais la balle est désormais dans le camp de la communauté internationale. C’est à elle d’apporter une réponse adéquate à la décision de Gantz.

Sans surprise, avec d’importants membres d'extrême droite au sein du gouvernement israélien – y compris le Premier ministre, Naftali Bennett, – peu de personnes ont été impressionnés par la décision de Gantz. Certains y ont vu une décision d'un politicien mécontent qui, il n'y a pas si longtemps, se voyait Premier ministre mais, qui, avant les dernières élections générales, s’était retrouvé avec un soutien considérablement réduit pour son parti.

La décision de Gantz a provoqué la colère de certains, car elle a remis la lumière sur l’absence de résolution de la question palestinienne, le rôle d'Israël et a forcé la communauté internationale à réagir. La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a en effet réagi en déclarant que «revendiquer des droits devant l’ONU ou un autre organisme international n'est pas un acte de terrorisme, défendre les droits des femmes dans le territoire palestinien occupé n'est pas du terrorisme, et fournir une aide juridique aux Palestiniens détenus n'est pas du terrorisme». Ses paroles ont été bien accueillies par des organisations de défense des droits de l'homme et des politiciens dans de nombreuses régions du monde.

Cette évolution s'inscrit probablement dans le cadre plus large d’attaques concertées contre la société civile, à la fois à l'intérieur d'Israël et dans les Territoires occupés.

Yossi Mekelberg

Alors, merci, M. Gantz, d'avoir attiré l'attention du monde sur les privations des droits politiques des Palestiniens, y compris celui à l'autodétermination, et aussi de leurs droits humains les plus fondamentaux, qui peuvent leur être niés sans même que la puissance occupante ait recours à la loi.

Personne ne remet en question le droit légitime d'Israël de lutter contre le terrorisme, mais cela n’est pas un prétexte pour interdire les activités légitimes de défense des droits humains et le travail humanitaire, masquer la suppression systématique du droit à la liberté d'association, mettre fin à la dissidence politique et réduire au silence la liberté d'expression.

La communauté internationale doit tenir Israël pour responsable quand il le faut, et la décision folle de qualifier ces organisations de la société civile de «groupes terroristes» le rappel avec force et de manière urgente.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.