Comment le Premier ministre libanais a tout perdu

Le président français, Emmanuel Macron, accueille le Premier ministre libanais, Najib Mikati, au palais de l’Élysée à Paris, en France, le 24 septembre 2021. (Reuters)
Le président français, Emmanuel Macron, accueille le Premier ministre libanais, Najib Mikati, au palais de l’Élysée à Paris, en France, le 24 septembre 2021. (Reuters)
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Publié le Vendredi 05 novembre 2021

Comment le Premier ministre libanais a tout perdu

Comment le Premier ministre libanais a tout perdu
  • Pour Najib Mikati, la situation est si mauvaise au Liban que la seule solution possible est de recourir à l’aide étrangère
  • Pendant ce temps, le nouveau gouvernement libanais qui compte sur l’apaisement américain se retrouve plutôt contraint de rendre des comptes

Le Premier ministre libanais, Najib Mikati, était plein d’espoir lorsqu’il a formé son gouvernement le 10 septembre dernier. D’abord, il pensait pouvoir se réinventer, redorer son blason et s’imposer de nouveau comme le principal leader sunnite après la démission de Saad Hariri. Il misait aussi sur le soutien de la France et la tendance américaine à l’apaisement en vue d’obtenir des financements qui empêcheraient l’économie du pays de s’effondrer. Il pourrait alors prétendre être le sauveur du Liban. Malheureusement pour lui, il semble avoir perdu son pari.

Najib Mikati n’aurait pas accepté le poste de Premier ministre s’il n’avait pas été sûr de recevoir des garanties de l’étranger. Initialement, la formation d’un nouveau gouvernement a été bloquée comme elle l’avait été au temps de Saad Hariri, le prédécesseur de Najib Mikati. M. Hariri a finalement démissionné après des mois de vaines négociations avec le président, Michel Aoun. Cependant, un appel entre le président iranien, Ebrahim Raïssi, et le président français, Emmanuel Macron, a débloqué la situation et le nouveau gouvernement a pu voir le jour.

Malgré les changements superficiels et le très petit nombre de véritables technocrates, derrière lesquels se cache l’élite politique, le nouveau gouvernement n’est qu’une copie du précédent. Les principaux ministères sont toujours entre les mains des mêmes anciens dirigeants.

Le but qui sous-tend l’alliance Mikati-Aoun est assez simple. Bien que les deux hommes aient peu d’atomes crochus, leur mariage politique de convenance était perçu comme une nécessité: tous deux doivent trouver un moyen d’échapper à la situation déplorable dans laquelle ils se trouvent. Najib Mikati y voit l’occasion de se refaire une réputation, sachant qu’elle a été ternie par des scandales remontant aux années 1990. Il s’agit notamment d’accusations concernant des accords de télécommunications douteux et l’affaire LibanPost. Plus récemment, des transactions prétendument frauduleuses selon lesquelles des prêts au logement auraient été subventionnés par le gouvernement ont fait couler beaucoup d’encre.

Pour M. Mikati, la situation est si mauvaise au Liban que la seule solution possible est de recourir à l’aide étrangère. Il tablait également sur le fait que l’état déplorable du pays pousserait les différents partis à accepter enfin des conditions qu'ils refusaient auparavant, comme le plan de redressement du Fonds monétaire international (FMI), avec des conditions spécifiques pour la mise en place de réformes économiques et politiques. Il pensait pouvoir contrôler l’élite au pouvoir et mettre fin à la perte d’actifs au sein du pays.

Pour commencer, il n’y a plus d’argent public à voler. Le gouvernement a fait défaut sur sa dette et ne peut plus emprunter. En outre, l’une des exigences du FMI est de supprimer l’ancrage de la valeur de la livre libanaise à celle du dollar. Bien que cet ancrage reste officiel, il a été supprimé parce que le taux de change sur le marché noir reflète désormais la vraie valeur de la monnaie en chute libre. La situation est si grave que toute somme d’argent pouvant être injectée dans l’économie ferait une différence. Najib Mikati tient à tirer parti de n’importe quelle amélioration pour renforcer sa popularité. Il mise également sur le fait que Saad Hariri n’est plus le bienvenu dans les principaux pays du Golfe, autrefois ses principaux bailleurs de fonds. Najib Mikati pourrait, avec l’aide d’Emmanuel Macron, obtenir des fonds d’amis du Golfe en s’imposant comme le nouveau chef des sunnites libanais à la place de M. Hariri.

Pour préparer le terrain, il s’est rendu en France lors de son premier voyage officiel à l’étranger en tant que Premier ministre. Il a indiqué à Emmanuel Macron que certaines des réformes requises étaient toujours irréalistes pour le moment. Sa stratégie consistait à apporter des changements superficiels au gouvernement, à apaiser l’élite corrompue et à obtenir un financement simplement pour donner l’illusion d’une certaine amélioration. Dans un excès de confiance, Emmanuel Macron a incité à la formation d’un nouveau gouvernement, même si le changement n’était que d’apparence.

Cela a cependant suffi au président français, lui-même à la recherche de ce qui ressemblerait à un exploit en matière d’affaires étrangères, pour soutenir sa propre campagne de réélection à venir. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a ensuite salué la formation du gouvernement Mikati, considérant cette démarche comme «une étape importante pour le redressement du pays».

Les autorités françaises n’étaient cependant pas disposées à fournir un soutien financier à ce gouvernement parce qu’elles savaient, au fond, qu’il était corrompu et qu’il n’exécuterait jamais de véritables réformes. Emmanuel Macron a plutôt essayé d’utiliser son influence et sa popularité auprès des pays du Golfe pour obtenir une aide financière de leur part, mais ils ont rejeté sa demande. La position des États du Golfe est similaire à celle de l’Union européenne (UE); ils ne sont pas prêts à aider à moins de voir des preuves de réformes réelles, structurelles et durables. Cela ne semble pas être le cas jusqu’à présent.

Puis, la semaine dernière, les commentaires du ministre de l’Information, George Kordahi, ont ressurgi de nulle part. Fervent partisan de Bachar al-Assad en Syrie et de l’axe de résistance Iran-Al-Assad-Hezbollah, le présentateur de télévision, reconverti en homme politique depuis, a décrit la guerre au Yémen comme «absurde et futile», accusant les États du Golfe de massacrer les Yéménites. Ces propos ont suscité la perplexité des États du Golfe, d’autant plus que le ministre égocentrique a fait fortune et s’est fait connaître en travaillant pour une chaîne de télévision saoudienne. Ses commentaires sur le Yémen et les Houthis sont la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhane, les a décrits comme le «symptôme d’une réalité», qui est que le Hezbollah contrôle toujours le Liban.

L’Arabie saoudite a ordonné à l’ambassadeur libanais de quitter le pays, tout comme le royaume de Bahreïn et le Koweït. Les Émirats arabes unis (EAU), eux, ont rappelé leur ambassadeur à Beyrouth. Najib Mikati, qui espérait à la fois rassembler des fonds et gagner en crédibilité dans le Golfe, s’est soudain retrouvé plus isolé que jamais.

 

«Reste à savoir comment le Premier ministre encaissera le coup: tentera-t-il le tout pour le tout ou démissionnera-t-il?»

Dr Dania Koleilat Khatib

 

Pendant ce temps, le nouveau gouvernement libanais qui compte sur l’apaisement américain se retrouve plutôt contraint de rendre des comptes. Washington a récemment imposé des sanctions contre deux entrepreneurs et l’ancien chef de la Sûreté générale – un député ayant des liens étroits avec le Hezbollah. Tous les efforts déployés pour établir une certaine crédibilité ont soudain été anéantis. Le Premier ministre a alors demandé à George Kordahi de démissionner. Cependant, ce dernier, à la fois proche du Hezbollah et de Bachar al-Assad, est plus provocateur que jamais et refuse de présenter ses excuses ou de démissionner.

Cet affrontement entre le Liban et les pays du Golfe pousse un nombre croissant de citoyens libanais à dire que le gouvernement actuel ne les représente pas. Les milieux des affaires de la région ont rapidement dénoncé les propos de M. Kordahi, se dissociant aussi de son gouvernement. La tendance est à une prise de distance, tant au niveau national qu’international, vis-à-vis du gouvernement Mikati.

Le Premier ministre – autrefois plein d’espoir –, qui tenait à renforcer sa crédibilité auprès de la communauté internationale afin de rassembler les fonds nécessaires pour se réinventer, ainsi que l’élite politique, se retrouve dans une impasse. Reste à savoir comment il encaissera le coup: tentera-t-il le tout pour le tout ou démissionnera-t-il?

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com