PARIS : À Beyrouth, depuis des mois, le chef de l’État était à la recherche d’un nouveau Premier ministre après la démission du tenant du titre, Hassane Diab, un honnête homme qui s’était heurté au mur infranchissable des clans installés dans les institutions publiques depuis des lustres.
Désormais, c’est fait: le Liban a un nouveau gouvernement, présidé par le milliardaire sunnite Najib Mikati. Annoncée le 10 septembre dernier par le palais présidentiel de Baabda, la nouvelle équipe ne brille certes pas par son originalité. À l’exception de quelques têtes nouvelles, elle est composée comme d’habitude de représentants de l’establishment, ce qui provoque le scepticisme de l’opinion publique au Liban.
Pourtant, c’est une étape nécessaire qui est franchie. Mieux vaut donc s’en féliciter. Il semble bien que la France ait joué un rôle important pour y parvenir et que la prise de contact d’Emmanuel Macron avec le nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, y ait contribué de façon décisive.
Avant d’être économique et sociale, la crise libanaise est avant tout politique.
On l’a souvent dit: la France est le seul ami du Liban. Le président Macron en administre la preuve avec une constance et une énergie qui impressionnent jusqu’aux plus critiques à son égard depuis le début de cette crise impitoyable dans laquelle ce malheureux pays est plongé.
Encore faudra-t-il que ce nouveau gouvernement, à défaut d’être neuf, se révèle novateur. Or, rien n’est moins sûr. Les forces politiques et sociales qui ne veulent rien changer au système en place, parce qu’elles en sont les bénéficiaires, sont toujours là.
Toutefois, on peut légitimement penser qu’il existe désormais une fenêtre d’opportunité de courte durée pour le camp réformateur: chacun comprend en effet, y compris les plus résolus à l’immobilisme, qu’il faut sortir de l’impasse où le Liban se trouve et que l’état actuel de misère et de désespérance du peuple est dangereux pour les puissants. Qu’il me soit donc ici permis de faire quatre modestes suggestions pour quatre premiers petits pas que devrait envisager le gouvernement libanais sans tarder.
Il faut d’urgence engager la déconfessionnalisation de la vie politique libanaise et le premier pas en ce sens serait de changer le mode de scrutin des prochaines élections législatives afin que les sièges du Parlement ne soient plus partagés entre des groupes abrités derrière le prétexte religieux
En premier lieu, il faut un nouveau gouverneur pour la Banque centrale. Le fait est que l’actuel gouverneur fait l’objet de procédures judiciaires en Suisse et en France qui mettent en péril sa légitimité à poursuivre ses fonctions. La nomination d’une personnalité nouvelle et sûre sera un signe fort de la détermination du Premier ministre et rétablira d’un coup une partie de la confiance populaire et de l’autorité internationale perdues des pouvoirs publics.
Avant d’être économique et sociale, la crise libanaise est avant tout politique. Celle-ci est marquée par l’épuisement des institutions et des pratiques politiques issues des accords de Taëf, fondées sur le partage officiel du pouvoir entre des groupes confessionnalisés, qui a abouti, en fait, à la confiscation des richesses du pays par une corruption quasi généralisée.
Il faut d’urgence engager la déconfessionnalisation de la vie politique libanaise et le premier pas en ce sens serait de changer le mode de scrutin des prochaines élections législatives afin que les sièges du Parlement ne soient plus partagés entre des groupes abrités derrière le prétexte religieux, mais qu’ils reviennent au libre choix des électeurs, ce que seul permettra un scrutin uninominal. La création d’une seconde chambre sur le modèle sénatorial pourrait permettre une représentation des corps constitués, des forces économiques, sociales et même religieuses en rapport avec les spécificités libanaises.
Il faut encore conclure au plus vite la négociation avec le FMI (Fonds monétaire international, NDLR) sur un premier programme de réformes tant attendues, applicables, idéalement, d’ici à la fin de l’année. Ainsi seraient jetées les bases d’un nouveau modèle de développement libanais qui reposerait non plus principalement sur la rente financière, mais sur l’investissement public et privé et sur l’activité des entreprises. D’ores et déjà, le Liban dispose de sa part des 650 milliards de dollars (1 dollar = 0,85 euro, NDLR) de nouveaux droits de tirage spéciaux (DTS) créés par le FMI, soit 1,6 milliard de dollars. L’affectation de cette manne inattendue à la restauration des services publics essentiels pour les Libanais (électricité, eau, transports publics) serait la bienvenue.
Enfin, il est indispensable de remettre sur pied l’armée libanaise, s’agissant en particulier des unités d’élite à redresser ou à constituer pour assurer la stabilité du pays et le tenir à l’abri des menées intérieures ou extérieures dans cette période difficile ou cruciale.
Le gouvernement Mikati sera-t-il à la hauteur de la situation? Personne ne le sait, mais beaucoup l’attendent. Pour convaincre la foule des sceptiques, le nouveau Premier ministre devra montrer une détermination sans faille afin de surmonter les obstacles devant lesquels, par le passé, ses prédécesseurs ont échoué. C’est tout le bien qu’on lui souhaite et que l’on souhaite au Liban, car, en cas d’échec, on peut s’attendre à une nouvelle crise populaire qui, cette fois, ne s’arrêtera pas en chemin.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.