Quatre semaines se sont écoulées depuis que l’ancien Premier ministre libanais Najib Mikati a été désigné pour former le nouveau gouvernement du pays du Cèdre, et ce dernier n’est pas parvenu à progresser dans sa mission en dépit de quatorze réunions de travail avec le président de la république, Michel Aoun.
Ces réunions, dont la dernière s’est déroulée il y a une semaine, se sont soldées par une série de désaccords entre les deux hommes sur les noms des ministres ainsi que sur la distribution des portefeuilles.
Selon la Constitution, le Premier ministre désigné se doit de consulter le président de la république en vue de mener à bien sa mission. Les deux hommes doivent aussi tomber d’accord sur les nominations ainsi que sur la répartition des portefeuilles ministériels afin que le gouvernement puisse être formé. En effet, au Liban, le président de la république détient le pouvoir de signature du décret de la formation du gouvernement au même titre que le Premier ministre désigné. De ce fait, il possède un droit de veto en cas de désaccord.
Jusqu’à présent, aucun progrès ne laisse penser qu’un nouveau gouvernement pourrait voir le jour.
Depuis treize mois, le Liban se trouve sans gouvernement et, selon la Banque mondiale, il subit l’une des crises économiques et sociales les plus graves qu’ait connue un pays depuis le milieu du XIXe siècle. Cette situation catastrophique n’a pas l’air de perturber le cours des luttes politiciennes auxquelles se livrent les différents partis politiques représentés au Parlement. Ainsi, la mission de M. Mikati se trouve dans une impasse, alors même que le président de la république continue d’entraver ses efforts en prétendant qu’il s’attache à appliquer la Constitution à la lettre et que cette dernière lui confère une responsabilité et des prérogatives égales à celles du Premier ministre dans la formation du gouvernement.
Le président de la république se base sur ces prérogatives au sujet du droit de signature du décret même de la formation du gouvernement. M. Aoun se présente durant les tractations comme le seul «garant» de la représentation «équitable» des chrétiens dans l’appareil de l’État, étant donné que les deux grands blocs parlementaires à majorité chrétienne – le Courant patriotique libre, présidé par le gendre du président Aoun, le député Gebran Bassil, et le parti des Forces libanaises, dirigé par l’ancien chef de guerre Samir Geagea – ont refusé de participer au gouvernement.
Le président Aoun a pris l’initiative d’ordonner qu’il participe, au nom des chrétiens, à la formation du gouvernement dans ses moindres détails.
Il exige, en tant que défenseur des droits et des acquis des chrétiens dans le système politique libanais, de choisir exclusivement les portefeuilles qui seront occupés par ces derniers. Enfin, il compte demander au Premier ministre désigné de lui céder la tâche qui consiste à nommer tous les ministres chrétiens, sans oublier de s’octroyer le droit de veto en ce qui concerne la nomination des ministres qui représenteront les autres confessions. Tout cela aurait abouti à un blocage, après que M. Mikati a refusé de se plier aux exigences de M. Aoun qui, si elles venaient à être acceptées, feraient du Premier ministre un simple subalterne du président de la république.
Mais ce n’est pas là que réside véritablement le blocage du processus de la formation du gouvernement. En effet, d’autres enjeux entrent en considération. Tout d’abord, le gouvernement de M. Mikati, s’il venait à voir le jour, ne serait pas forcément celui qu’attendent avec tant d’impatience les Libanais, c’est-à-dire un gouvernement qui aurait pour mission principale de sauver le pays du marasme dans lequel il est plongé. Celui qui risque d’être formé, et pour lequel sont livrées des batailles acharnées entres les chefs politiques libanais, serait incapable d’entreprendre des réformes structurelles dans les domaines de l’économie et des finances publiques afin de contribuer au redressement du pays.
Ensuite, ce gouvernement, si M. Mikati réussissait à mener à bien sa formation, serait dès aujourd’hui, par la force des choses, un gouvernement détourné de sa mission originelle – et pour cause: les prochaines élections municipales et législatives sont prévues au printemps 2022.
Voilà qui incitent les principales forces politiques à se mettre dès aujourd’hui en «ordre de bataille» en vue de ces deux échéances. Aussi ce gouvernement aurait-il, en raison de la Constitution, la tâche délicate de remplir les fonctions de la présidence de la république en cas de vacance du poste du premier magistrat. Au Liban, les précédents font redouter le pire. Dans le cas où les élections législatives seraient ajournées, il serait très probable que le scrutin présidentiel ne puisse se tenir avant le 31 octobre, date de la fin du mandat de l’actuel président. Un scénario catastrophe est avancé: le président Michel Aoun, au nom de la préservation des droits et des acquis des chrétiens, pourrait refuser de quitter ses fonctions comme le stipule la Constitution au prétexte qu’un gouvernement présidé par un musulman sunnite – et qui se verrait transférer les prérogatives du président de la république chrétien maronite – causerait un déséquilibre politique et national en défaveur des chrétiens. Un tel scénario aurait de graves conséquences politiques et mettrait en danger l’équilibre fragile qui régit le pouvoir politique au Liban. Il plongerait en outre la nation dans une crise qui mettrait sans doute en danger l’union même d’un pays multiconfessionnel et dans lequel le risque de guerre civile est latent.
Il est évident que la tâche du Premier ministre désigné, Najib Mikati, est très difficile. Une bataille politique se déroule en coulisses. Elle oppose un président de la république cherchant à s’assurer une minorité de blocage dans le gouvernement qui lui servirait de bouclier au moment des prochaines batailles politiques et un Premier ministre qui tenterait de former un gouvernement plus ou moins crédible à la fois pour l’opinion publique libanaise excédée par sa classe politique et pour la communauté internationale, envers laquelle le Liban naufragé devrait se tourner afin d’obtenir l’aide vitale à son salut.
En attendant, tout indique que M. Mikati, que l’on dit optimiste, ne se trouve pas très loin de la porte de sortie, ce qui signifie que le Liban pourrait s’enfoncer encore davantage dans cette crise que les Libanais surnomment «l’enfer».
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
Twitter: @AliNahar
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