La chancelière allemande, Angela Merkel, a joué un rôle crucial dans l’établissement de liens entre la Turquie et l’Union européenne (UE). Ce n’est pas elle qui en a façonné tous les aspects, mais l’on retrouve son empreinte dans la plupart des moments charnières. Lorsque le Parti de la justice et du développement (AKP) est arrivé au pouvoir en Turquie, il faisait véritablement de son mieux pour garantir l’adhésion de la Turquie à l’UE. Angela Merkel avait à l’époque initié un nouveau concept, déclarant que la Turquie ne devrait pas être admise à l’UE en tant que membre à part entière, mais bénéficier plutôt du statut de «partenaire privilégié». Personne n’a défini clairement ce concept. De plus, ce statut n’existait pas au sein de l’UE. Il est donc resté en suspens, sans définition appropriée.
Angela Merkel estimait que la Turquie était trop grande pour intégrer l’UE et qu’elle appartenait à une autre culture – celle du monde islamique. La population de la Turquie s’élevait alors à quatre-vingts millions d’habitants tandis que celle de l’Allemagne était de quatre-vingt-un millions. À la lumière de son taux de croissance, la population de la Turquie allait clairement dépasser celle de l’Allemagne en quelques années. La Turquie aurait alors eu le plus grand nombre de sièges au Parlement européen. En outre, la libre circulation de la main-d’œuvre au sein de l’UE augmenterait encore plus le nombre de citoyens turcs en Allemagne, où ils constituaient déjà le pourcentage le plus élevé de main-d’œuvre étrangère.
Après l’adhésion en 2005 des Chypriotes grecs à l’UE et l’opposition du président français, Nicolas Sarkozy, au processus d’adhésion de la Turquie pour des raisons futiles, la formule de partenaire privilégié de Mme Merkel a été reléguée au second plan. Angela Merkel est restée ferme sur sa position sans pour autant occuper le devant de la scène.
D’autre part, elle a fait preuve d’un véritable sens politique lorsque l’Allemagne assurait la présidence du Conseil de l’UE en 2007. Elle a déclaré que l’Allemagne restait ferme sur sa position en soutenant le principe de partenaire privilégié pour la Turquie, mais que le pacta sunt servanda («Les conventions doivent être respectées») exigeait la poursuite des négociations d'adhésion avec la Turquie. En d’autres termes, elle a fait passer son rôle de présidente du Conseil de l’UE avant son titre de chancelière allemande. Peu de dirigeants feraient une distinction claire entre ces deux rôles.
«La seule discussion active entre la Turquie et l’Union européenne concerne les réfugiés syriens et afghans. Cependant, cette question n’a rien à voir avec le processus d’adhésion.» – Yasar Yakis
Alors que l’ère Merkel touche à sa fin, la situation est désormais différente. Le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE est déjà bloqué dans un avenir proche, voire pour toujours. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, évoquent de temps à autre l’engagement de la Turquie dans le processus d’adhésion, mais les mesures prises par le gouvernement au sujet de diverses questions liées à l’UE prouvent le contraire. Le déclin de la démocratie, des droits fondamentaux et de la liberté d’expression en sont la partie visible. L’économie est en ruine. La justice est dans une situation déplorable.
La Turquie refuse ouvertement d’appliquer les verdicts contraignants de la Cour européenne des droits de l’homme. Le pays est classé 117e sur 139, selon l’indice de 2021 du World Justice Project.
La seule discussion active entre la Turquie et l’Union européenne concerne les réfugiés syriens et afghans. Cependant, cette question n’a rien à voir avec le processus d’adhésion.
On ne sait toujours pas quel type de gouvernement de coalition va voir le jour en Allemagne. Le Parti social-démocrate sera probablement le principal partenaire de coalition du futur gouvernement allemand. Avant l’ère Merkel, le SPD était l’un des plus fervents partisans de l’adhésion de la Turquie à l’UE. Même si le SPD devenait chef de la coalition, cela ne signifierait pas grand-chose pour la relance du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE, car les circonstances sont désormais différentes.
Angela Merkel jouait le rôle de modératrice dans le conflit de la Turquie avec la Grèce et les Chypriotes grecs. On ne sait pas si le nouveau gouvernement allemand sera prêt à en faire de même.
Outre les liens entre la Turquie et l’UE, l’Allemagne restera un partenaire important pour Ankara. Ces relations intenses se caractérisent par une coopération étroite dans les domaines d'intérêt commun, mais aussi par des désaccords fréquents.
Dix-huit Allemands d’origine turque ont été élus membres du Parlement fédéral (Bundestag) lors des dernières élections. Il y a beaucoup de politiciens d’origine turque dans les parlements provinciaux et les conseils municipaux. Ils occupent donc des postes importants dans la vie sociale et politique du pays, ce qui crée un lien supplémentaire entre la Turquie et l’Allemagne.
Lors de la visite d’adieu de Mme Merkel en Turquie, la chancelière et le président Erdogan ont mis l’accent sur ces liens. Mais ils ont également évoqué leurs désaccords. Ce modèle de relation se poursuivra probablement dans l’ère post-Merkel.
Les partis d’opposition allemands ont fréquemment critiqué la politique de la CDU-CSU de ne pas avoir insisté plus souvent sur le déficit démocratique et l’absence de droits de l’homme en Turquie.
Compte tenu de la nature diversifiée des relations entre la Turquie et l’Allemagne, nous pouvons nous attendre à ce que ces liens se poursuivent plus ou moins de la même manière, tandis que le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE ne saurait être relancé de si tôt dans l’ère post-Merkel.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.
Twitter : @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com