Pour n’importe quel observateur de la scène politique palestinienne, qu'il soit Palestinien ou étranger, une perspective s’impose: la formation d’un système politique unifié doté d'une seule autorité et reconnu par la communauté internationale. À ce jour, les tentatives qui ont visé à amener le Fatah et le Hamas à convenir d'un terrain d'entente pour gouverner la Palestine se sont soldées par un échec. Cette situation est imputable en grande partie à la méfiance, profonde et apparemment insurmontable, qui prévaut entre les deux grands partis palestiniens. Cette situation s’explique également par l'émergence, en 2006, d'entités issues de ces deux partis, que ce soit en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza: les intérêts des uns et des autres divergent à tel point qu'il est pratiquement impossible de les concilier.
Toutefois, on assiste depuis quelques semaines à une reprise des efforts diplomatiques en faveur d'un gouvernement de coalition qui réunirait le Fatah et le Hamas. Cette initiative s'inscrit dans le contexte d'un effort plus ambitieux qui a pour objectif d’encourager les négociations avec Israël en vue d’aboutir à un cessez-le-feu prolongé le long de la frontière de Gaza. Ce dernier permettra ensuite de reconstruire la bande de Gaza et de négocier un échange de prisonniers entre Israël et le Hamas.
La question des prisonniers constitue un élément décisif des relations complexes qui existent au sein du trio Israël-Gaza-Cisjordanie. Elle pourrait également influer sur les relations entre Ramallah et Gaza. Après tout, les trois parties ne s'entendent guère sur les questions qu'elles abordent et chacune d'entre elles préfère empêcher les autres de réaliser des gains relatifs plutôt que de se fixer des objectifs spécifiques, et encore moins de les réaliser. Mais les Palestiniens ne peuvent pas se payer le luxe d’ignorer que le paysage politique, à l'échelle nationale et internationale, évolue à vive allure et qu'il ne joue pas en leur faveur, du moins sur le court terme.
La fracture entre le Fatah et le Hamas, qui s'est traduite par la création de deux entités politiques distinctes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, n'a pas été sans conséquences: ni l'une ni l'autre des parties n'a réussi à atteindre ses objectifs et la question palestinienne a été reléguée au second plan des priorités régionales et internationales. En effet, on observe une certaine lassitude vis-à-vis du conflit israélo-palestinien et, plus grave encore, la majorité des pays ont du mal à comprendre comment une petite nation qui se trouve en position de faiblesse dans le conflit qui l’oppose à Israël peut supporter une telle disparité et une telle discorde si elle entend réaliser ses aspirations nationales.
Par conséquent, les regards se tournent sur les efforts diplomatiques menés par l'Égypte, soutenus par les États-Unis et la Jordanie, qui visent à redonner vie au système politique de la Palestine et à ses rapports avec Israël. Au début du mois dernier, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi s'est entretenu au Caire avec le roi Abdallah II de Jordanie et le président de l'Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas. Cette rencontre a porté sur le processus de paix qui s’enlise et sur le cessez-le-feu précaire entre Israël et le Hamas.
Quelques mois à peine se sont écoulés depuis que de violents affrontements ont opposé Israël et les Palestiniens à Jérusalem ainsi que dans les villes juives et palestiniennes à l'intérieur d'Israël, mais aussi à Gaza, où la violence entre le Hamas et Israël a atteint des proportions encore plus meurtrières. Ces affrontements ont mis en évidence les vulnérabilités des deux parties. Plus important encore, ils ont agi dans l'intérêt des composantes extrémistes et fondamentalistes, un sujet qui suscite une inquiétude particulière du côté du Caire, d'Amman et de l'Autorité palestinienne. Le sommet organisé le mois dernier au Caire a été conclu par les habituels discours qui préconisent la paix, même si les participants de ce sommet sont conscients qu'une initiative de paix est loin de se dessiner. Toutefois, il incombe aux parties prenantes du conflit de renouveler leur engagement à rompre l'atmosphère hostile grâce à des mesures susceptibles d'instaurer un climat de confiance.
Les flambées de violence survenues au mois de mai dernier ont eu pour conséquence que soit tirée la sonnette d'alarme sur le danger que représenterait l’abandon de la question palestinienne.
Deux événements survenus cette année semblent toutefois avoir insufflé un certain espoir de progrès à la politique intérieure de la Palestine ainsi qu'aux relations avec Israël. Le premier d’entre eux concerne l'entrée en fonction du président américain, Joe Biden. Peu enclin à lancer une nouvelle initiative de paix sous l'égide de Washington, ce dernier a toutefois pris des mesures destinées à améliorer les relations avec les Palestiniens, des relations que son prédécesseur avait sérieusement perturbées. Citons à titre d’exemples la reprise de l'aide financière et l'engagement pris par Washington de rouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est.
Le second événement est la formation d'un nouveau gouvernement israélien, au lendemain de la guerre à Gaza. En effet, c'est la première fois en plus de douze ans que Benjamin Netanyahou ne se retrouve pas à la tête du gouvernement. Jusque-là, le changement a eu lieu au niveau de la forme plutôt qu’au niveau fond. Mais les choses pourraient changer, bien que la maigre évolution observée se produise à un rythme terriblement lent, sans que l'avenir politique de la paix soit encore établi à ce jour.
En attendant, l'Égypte collabore en coulisses avec les États-Unis pour persuader le Fatah et le Hamas de former un gouvernement d'unité palestinienne qui serait probablement composé de technocrates. De son côté, Mahmoud Abbas garde le silence sur cette question. Il privilégie un gouvernement d'unité nationale qui ne serait formé que si le Hamas accepte les accords précédemment conclus par Israël et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Cette condition suppose que le Hamas renonce à la guerre contre Israël et adhère à l'approche du Fatah, qui préconise un engagement diplomatique avec Tel Aviv et avec la communauté internationale afin de mettre un terme à l'occupation.
Deux événements survenus cette année semblent avoir insufflé un certain espoir de progrès à la politique intérieure de la Palestine ainsi qu'aux relations avec Israël.
Yossi Mekelberg
La possibilité que le Hamas et Israël procèdent à un échange de prisonniers, à laquelle M. Abbas ne peut s'opposer ouvertement, redorerait sans aucun doute le blason du parti islamiste à Gaza auprès des Palestiniens. En effet, si Israël se trouve contraint de libérer les centaines de militants du Hamas et quelques militants du Fatah qui croupissent actuellement dans ses prisons en échange d'un petit nombre d'Israéliens, cette décision sera perçue comme une victoire pour le Hamas, si l'on tient compte du fait que l'AP n'a pas réussi à arracher à Israël la moindre concession susceptible d'améliorer les conditions de vie des Palestiniens.
Un gouvernement d'unité est loin de constituer une formule magique. Par ailleurs, il convient de le considérer comme une mesure provisoire qui mènera à des élections présidentielles et parlementaires en Palestine. Ce scénario redonnerait aux dirigeants palestiniens la légitimité dont ils ont cruellement besoin et pourrait accroître la pression exercée par la communauté internationale sur Israël afin qu'il entame, de bonne foi, les négociations de paix. Pour le moment, le gouvernement israélien ne souhaite pas mener de véritables négociations de paix et refuse tout accord entre le Fatah et le Hamas – même si ce dernier accepte de se plier aux conditions qui lui sont imposées en reconnaissant les accords antérieurs et en renonçant à la lutte armée.
Par le passé, les déceptions ont ponctué les tentatives de reconstitution d’une direction palestinienne unifiée et fonctionnelle en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cependant, les efforts concertés des puissances régionales, des États-Unis et de l'Europe pourraient bien, cette fois, changer la donne.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter : @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com