Samuel Paty, Emmanuel Macron et les caricatures

Des passants assistent à une cérémonie d'hommage au professeur d'histoire-géographie Samuel Paty, au collège Le Bois d'Aulne de Conflans-Saint-Honorine, dans le nord-ouest de Paris, le 16 octobre 2021, un an après son assassinat. (Photo, AFP)
Des passants assistent à une cérémonie d'hommage au professeur d'histoire-géographie Samuel Paty, au collège Le Bois d'Aulne de Conflans-Saint-Honorine, dans le nord-ouest de Paris, le 16 octobre 2021, un an après son assassinat. (Photo, AFP)
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Publié le Jeudi 21 octobre 2021

Samuel Paty, Emmanuel Macron et les caricatures

Samuel Paty, Emmanuel Macron et les caricatures
  • Ces dessins peuvent paraître insultants à certains mais à aucun moment ils ne justifient de décapiter celui qui les a montrés
  • Le soutien sans faille des autorités saoudiennes montra que tout le monde musulman n’était pas contre la France

L’assassinat barbare d’un professeur le 16 octobre 2021 par un djihadiste tchétchène a marqué la France et les Français pour plusieurs raisons.

D’abord, parce que ce fut un attentat commis en plein jour, contre un professeur désarmé, symbole d’éducation et de transmission des savoirs. Ensuite, parce que le seul reproche qui lui était fait était d’avoir montré des dessins dans une salle de classe. En enfin parce que la France n’a pas été comprise par le reste du monde.

J’étais présent avec trente étudiants saoudiens, bahreïniens et koweïtiens à Paris le 16 octobre et j’ai pu vivre grâce à eux l’évolution de la communication sur le sujet, notamment sur les réseaux sociaux en langue arabe.

Si l’effroi et la terreur occasionnés par cet assassinat non loin de Paris ont marqué les esprits, c’est quelques jours plus tard que la France allait se sentir incomprise et partiellement abandonnée.

Car les caricatures montrées par le professeur d’histoire-géographie pour illustrer la liberté d’expression étaient bien celles représentant le prophète de l’islam et qui avaient déjà valu au journal qui les avait publiées une tuerie qui avait révélé le danger du terrorisme islamiste au monde entier. Ces dessins peuvent paraître insultants à certains, ils peuvent choquer les croyants, ils peuvent faire réagir par des mots, par des poursuites judiciaires, mais à aucun moment ils ne justifient de décapiter celui qui les a montrés.

C’est, au passage, précisément ce que Mohammed al-Issa, secrétaire de la Ligue islamique mondiale, rappelait quelques heures après les faits. Dieu et son prophète sont sacrés pour les musulmans mais ces derniers ne doivent pas leur faire justice eux-mêmes car aucune insulte ne peut les toucher. Plus loin dans son intervention, il ajoutait que de toute façon, les musulmans vivant dans une terre non islamique devaient d’abord respecter le droit du pays qui les accueillait.

Hélas, ces belles et courageuses paroles n’eurent pas partout l’effet escompté.

Le 21 octobre, le président français, Emmanuel Macron, eut, au cours d’un discours en hommage à Samuel Paty, les mots suivants: «Nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons haut la laïcité. Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent. Nous offrirons toutes les chances que la république doit à toute sa jeunesse sans discrimination aucune.»

À aucun moment il n’encourage le blasphème, il insiste simplement sur la liberté d’expression dans ce discours qui se veut un discours de résistance face au terrorisme.

Or, des médias étrangers fort mal intentionnés vont en faire de fausses traductions et inonder les réseaux sociaux de messages de haine envers Emmanuel Macron, la France et les Français. Cinq jours après qu’un professeur sans défense a été décapité en pleine rue par un jeune Tchétchène qu’elle accueillait avec générosité, la France se retrouvait traitée en coupable pour des caricatures publiées quelques années auparavant par un journal indépendant!

Cette inversion accusatoire allait m’être expliquée en temps réel par mes étudiants, désespérés de constater notamment un appel au boycott des produits français dans plusieurs pays musulmans. Ils avaient vécu le traumatisme de cette décapitation, ils avaient vu les rues de Paris se remplir de policiers et de militaires et ils ne comprenaient pas que le mouvement de solidarité mondiale se fissure et, sous la pression notamment de chaînes de propagande turque, se transforme tout simplement en accusation visant la France.

Fort heureusement, certains pays firent preuve d’un courage inouï, misant sur la maturité de leur population et soutinrent la France face au terrorisme quel qu’en soit le motif. Au lycée français de Bahreïn, le message de soutien sans réserve du roi Hamad fut placardé, les mots réconfortants du prince héritier émirien furent plus qu’appréciés. Enfin, le soutien sans faille des autorités saoudiennes montra que non seulement tout le monde musulman n’était pas contre la France, mais surtout que les dirigeants de ces pays savaient parfaitement que leur population allait résister à cette propagande et qu’elle était suffisamment éduquée pour ne pas céder à la haine.

Hélas, ce ne fut pas le cas partout. Au Pakistan, par exemple, des manifestations violentes et meurtrières ont encore lieu presque tous les jours pour réclamer le départ de l’ambassadeur de France. Ailleurs, les mouvements sporadiques de boycott des produits français eurent lieu, preuve que la propagande diffusée depuis l’étranger par le biais des réseaux sociaux fonctionnait hélas redoutablement bien.

Résister à la propagande et à l’influence étrangère qui tronquent des discours, réalisent des traductions mensongères et tentent de manipuler l’opinion est un défi du monde contemporain. Force est de constater qu’en résistant à cette vague de propagande, plusieurs pays du Golfe ont fait preuve d’une maturité et d’une résilience hors du commun.

 

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.

TWITTER: @LacheretArnaud

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.