Que raconte Éric Zemmour au reste du monde?

Le candidat surprise de la présidentielle française est un journaliste, essayiste et polémiste classé à l’extrême droite qui, selon plusieurs sondages, pourrait accéder au premier tour et dont la popularité ne cesse de croître semaine après semaine sans même qu’il ne se soit encore déclaré. Du côté des Français, il semble que son discours assez marqué passe mieux désormais que celui de Marine Le Pen.

Alors pourquoi un homme de télévision au discours que l’on classe à l’extrême droite de l’échiquier politique est-il si populaire, au point de pouvoir être un adversaire très crédible d’Emmanuel Macron au second tour?

Il se trouve que ce polémiste est pour l’instant le seul qui parle de la France de façon claire et mentionne à la fois les notions de souveraineté et d’identité française. Dans mon dernier livre qui porte sur l’intégration des femmes de la deuxième génération d’immigration d’Afrique du Nord, la conclusion indique que la France a perdu la recette de l’intégration et que l’on ne sait plus expliquer ce qu’est être Français.

Et cela, pour les Français vivant en Arabie Saoudite ou ailleurs dans le Golfe, c’est une réalité: nos amis ressortissants des pays du Golfe peuvent en quelques mots nous expliquer ce qu’est être un Saoudien, un Émirien, un Koweïtien, un Bahreïnien. Cela passe par des caractéristiques culturelles, des traditions, des traits de caractères, une façon de s’habiller, une langue, une religion… Bref, ceux qui nous accueillent peuvent parler longuement de ce qu’ils sont et de ce qui caractérise un des leurs sans en avoir aucunement honte et en accueillant les étrangers à bras ouvert. À titre d’exemple, le Koweït, le Qatar ou les Émirats arabes unis (EAU) comptent plus de 80 % d’étrangers dans leur population sans que cela ne semble altérer leur identité nationale.

Si Éric Zemmour rencontre un certain succès, c’est justement qu’il parle de la France et de son identité. Ses derniers ouvrages portent des titres éloquents : Destin français, Le Suicide français et tout dernièrement, La France n’a pas dit son dernier mot, et concentre la plupart de ses interventions sur la France, l’immigration, l’identité, l’Histoire de France. Sa stratégie est payante puisqu’il ressuscite des débats qui semblaient avoir été enfouis sous d’autres préoccupations par la classe politique française. Même Marine Le Pen semblait ne plus suffisamment entrer dans le débat des idées concernant la réponse à la question existentielle: «Qu’est-ce qu’être un Français?»

S’il ne gagnera probablement pas l’élection présidentielle, Éric Zemmour aura joué le rôle décisif d’aiguillon sur la classe politique française qui s’est aperçue qu’elle avait complètement enfoui cette thématique. L’émergence de Zemmour peut expliquer les décisions très fermes du président de la république concernant la souveraineté nationale au travers du rappel des ambassadeurs à la suite de l’affaire du contrat de vente des sous-marins dénoncé par l’Australie. On peut aussi voir un semblant de réaction à la montée des idées de Zemmour dans sa décision de limiter le nombre de visas alloués aux ressortissants des pays d’Afrique du Nord tant que les gouvernements de ces derniers continueraient de refuser d’accepter leurs citoyens en situation de clandestinité sur le territoire français.

Le phénomène Zemmour n’est donc pas qu’un avatar supplémentaire d’une extrême droite française qui prendrait de l’ampleur. Au contraire, la France reste un pays très divers et accueillant. Cette montée en puissance marque, pour la première fois depuis plusieurs décennies, le retour en force de la question de la définition du Français. Les fréquentes polémiques lancées par Zemmour sur l’Histoire de France notamment et sur les prénoms donnés aux enfants ont permis à beaucoup de citoyens français de s’interroger sur ce que signifiait «être Français» et de constater que ce débat avait été complètement occulté du champ politique.

Or, on sait que pour qu’une société soit apaisée, ceux qui vivent en son sein doivent partager un discours commun, des valeurs communes. C’est en embrassant ces valeurs que la deuxième génération de l’immigration nord-africaine, pour citer celle que j’ai étudiée, est parvenue à s’élever socialement et à s’intégrer remarquablement bien. La recette a visiblement été perdue et il serait temps que la classe politique française ne soit plus spectatrice des propos de Zemmour sur l’identité, mais qu’elle soit capable elle aussi de proposer une réponse à cette question que tant de Français se posent désormais: «Qui sommes-nous?»

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.

TWITTER: @LacheretArnaud

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.