Cher Éric Zemmour,
Grand défenseur devant l’Éternel de la culture française, il ne vous aura pas échappé que le titre de ma lettre est un clin d’œil à la réplique de Bélise, dans Les Femmes savantes, une des pièces majeures du répertoire français. Bélise qui tance Martine par ces mots: «Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire?», auxquels Martine répond: «Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père?» Sic. Et vous, Éric, que répliqueriez-vous à mon titre: «Qui parle d’offenser la République?» ou «Qui parle d’offenser le Res… biblique?»? Pardon pour ce jeu de mots forcé, mais il n’est pas à prendre à la légère, car, comme je l’ai écrit dans un de mes ouvrages (je vous y consacre tout un chapitre: Le Marrane de la République)1: «Éric Zemmour est un paulinien qui s’ignore: pour lui, comme pour l’Apôtre, “Tout ce qui n'est pas le produit d'une conviction est péché” (Rm, 14-23)».
Vous, président…
Donc, vous, président, vous interdiriez les prénoms qui ne sont pas tirés du «calendrier des saints» ou de l’Histoire de France, pour imposer des Jean, des Marie et des Louis (lequel, comme vous le savez, est dérivé de Clovis). Vous, président, vous crieriez haro sur les prénoms à consonance arabe ou islamique, à commencer par celui de Mohamed, pardi!... Vous, président, stopperiez le déclin de la France, lequel se mesurerait à l’aune des prénoms exogènes qui polluent l’état-civil du pays de Marianne! L’argument de poids que vous avancez consiste à dire que plus le prénom est étranger à l’identité française moins celui ou celle qui le porte a de chances de réussir son intégration. Si la vue d’un «Karim» sur la première page d’un CV est susceptible de réduire la chance de décrocher un emploi, je vous l’accorde. Cependant, ce qui est un non-dit dans votre argumentaire se révèle dans une autre de vos envolées. Ainsi, le 6 mars 2010, chez Thierry Ardisson (Salut les terriens), à propos des contrôles au faciès, vous aviez répondu: «Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois? Pourquoi? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait». Le même jour (!), sur France-Info, vous aviez décrété que «Les employeurs ont le droit de refuser des Arabes ou des Noirs». Et c’est précisément là que votre argument révèle le fond de votre pensée, car le corollaire de votre décret est clair: tout jeune Français issu de l’immigration aura beau se prénommer Pierre ou Paul, il ne sera pas à l’abri d’une discrimination. Et l’employeur qui refusera de l’embaucher sera donc dans ses droits! Voilà, cher futur… ex-candidat à l’élection présidentielle, ce que nous dit votre subconscient.
Le Complexe du nouveau converti
Vos fans voient en vous un homme de convictions. Des convictions plutôt spécieuses et dogmatiques, que vous assumez allègrement et que vous vous évertuez à inculquer à qui en manque. Avec le succès que l’on sait. Mais ce que vous ne savez pas, cher Zemmour, Irvin Yalom vous le dit indirectement, dans Le problème Spinoza: «La force d’une conviction est sans rapport avec la véracité».
Mais alors d’où vous viennent cette hargne et ce besoin irrépressible d’asséner des diagnostics catastrophistes ici, révisionnistes là (comme à la synagogue de la Victoire, où vous aviez osé réhabiliter Pétain!), diagnostics que vos détracteurs, faute d’arguments de fond, ne réussissent qu’à cristalliser dans l’esprit de tout un peuple d’auditeurs-téléspectateurs-lecteurs?
Cela dit, on peut tout vous reprocher, sauf de ne pas être fidèle au principe talmudique, que vos parents (de souche algérienne) vous avaient sûrement inculqué, et qui dit: «Dina demalkhouta dina», autrement dit: «La Loi de l’État (du Royaume) est la loi». C’est là un principe honorable que vous appliquez scrupuleusement. Voire! Vous n’hésitez pas à aller plus loin que le Talmud, comme ce jour où vous aviez répondu à un journaliste du Corriere della Sera: «I miei antenati erano berberi di religione ebraica, non erano certo igalli, ma io oggi dico che i miei antenati sono i galli».
Ainsi, plus gaulois que Zemmour, tu meurs! C’est ce qui m’avait fait twitter, la semaine dernière, à votre intention: «Zemmour ou le Complexe du Nouveau Converti». Ce complexe qui fait de tout nouveau converti un zélé sectateur, existe en politique comme en religion.
En politique: «Plus extrémiste que moi, tu meurs!» ; «Plus laïcard que moi, tu meurs!» ; «Plus libéral que moi, tu meurs!».
En religion: «Plus chrétien que moi, tu meurs!» (Pour un musulman converti au christianisme: Cf. mon essai-enquête Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, Denoël 2011) ; «Plus musulman que moi, tu meurs!» (Un chrétien converti à l’islam: le cas du Français de souche et bon teint passé à l’islam radical).
Génération Z? Z, comme…
À dire vrai, votre fidélité à la France est justifiable: d’origine judéo-berbère, vous n’oubliez pas le décret Crémieux dont bénéficièrent vos grands-parents dans l’Algérie française. Et l’on comprend que, toute votre vie, vous n’aurez cessé de clamer: «Plus Français que moi, tu meurs!». C’est, en somme, ce qui vous distinguerait des naturalisés des banlieues, lesquels seraient des Français «de type chéqer» (comme il est dit en hébreu, pour les «convertis de mensonge»), qui n’auraient demandé à être Français que pour profiter des bienfaits de la naturalisation, après que leurs grands-parents eurent profité des bienfaits de la colonisation. Sic. Après tout, pour sauver la France, mieux vaut un converti au pétainisme exhortant ses compatriotes au sursaut citoyen contre le «Grand Remplacement» qu’un Français de souche, converti à l’islam, et clamant: «Plus islamiste que moi, tu meurs!»
Ainsi, contrairement à l’écolier indigène de l’Algérie française qui devait ânonner de force: «Nos ancêtres, les Gaulois», vous, Éric Zemmour, trouvez dans cette généalogie factice votre raison d’être: une identité qui ferait de vous, au mieux, un Gaulois caché qui s’ignorait, au pire un Marrane de la République, oui. Je dirai même de la Troisième République, pour faire écho au titre de «Prêcheur pétainiste» que vous avait délivré Claude Askolovitch2. Une étiquette à l’emporte-pièce, pour certains de vos fans, mais pas pour Génération Z, le mouvement censé préparer votre entrée en campagne que préside le jeune Stanislas de l’Institut catholique de Vendée.
Je me demandais comment j’allais conclure cette «lettre ouverte», cher Éric. Eh bien, pourquoi aller chercher loin: je me contenterai de vous rappeler qu’après 1998 il y eut une première «Génération Z» qui enchanta la jeunesse française. Z, non pas comme «Zemmour», mais comme «Zidane».
1 Dans Chroniques d’une immigration choisie, éd. de L’Aube, 2018.
2 http://www.slate.fr/story/119925/zemmour-kippa-precheur-petainiste
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
TWITTER: @SGuemriche
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.