Trente-deux ans se sont écoulés depuis que le massacre de la place Tiananmen à Pékin a secoué le monde. Des milliers d'étudiants manifestaient pacifiquement dans la capitale chinoise. Ils réclamaient démocratie, liberté d'expression et liberté de la presse. Peu de temps après, le monde assistera à la répression la plus sanglante de l'Histoire, lorsque le régime communiste chinois a donné l'ordre à ses forces militaires d'écraser les manifestants et de nettoyer la place.
La communauté internationale a condamné avec force le crime perpétré par le Parti communiste chinois (PCC) contre son peuple et le Congrès américain a même approuvé des sanctions économiques contre Pékin en raison de sa violation des droits de l'homme.
Mais les années n'ont pas effacé de notre mémoire les images de ce massacre infâme. Nous nous souvenons tout particulièrement de cette photo emblématique d’un jeune Chinois défiant la brutalité du PCC en bloquant le passage d’un convoi de chars qui quittait la place. Il se tenait là, seul et sans arme.
En 2019, l'Histoire s'est encore répétée. Ils étaient des milliers à descendre dans les rues de Bagdad et des provinces du sud pour faire entendre leur colère contre un gouvernement corrompu, qui les a privés des services publics de base et a ouvert le pays aux ingérences étrangères.
Ce mois-ci marque le deuxième anniversaire du Tiananmen irakien.
Ce dimanche, les Irakiens ont participé aux élections anticipées organisées en réponse aux manifestations massives. Le souvenir des événements survenus sur la place Tahrir s'est peu à peu effacé de la conscience de la communauté internationale, comme si des milliers d'Irakiens n'avaient pas été massacrés ou ne méritaient pas de vivre.
Les manifestations ont éclaté en réponse à la décision du Premier ministre de l'époque, Adel Abdel Mahdi, de démettre de ses fonctions le fameux général, Abdel Wahab al-Saadi, qui dirigeait l'unité de contre-terrorisme en Irak. Pour nombre de jeunes Irakiens, cette décision est venue souligner l'ampleur de la corruption, tant financière qu'administrative, qui sévissait dans tous les organes de l'État et au sein des factions politiques.
Les Irakiens se sont rendu compte, sans ambiguïté, de la portée de l'influence étrangère, notamment iranienne, et des répercussions de cette ingérence sur les décisions prises par les dirigeants du pays. Ces derniers étaient en effet plus fidèles au régime de Téhéran qu'à leurs concitoyens. Attisées par la colère, le désespoir et la volonté de changer la situation, les manifestations ont pris de l'ampleur et ont rassemblé des centaines de milliers de personnes qui ont envahi la capitale historique de l'Irak et les centres d'autres provinces, comme Bassora, Nadjaf, Dhi Qar, Maysan et Bâbil.
Le souvenir des événements survenus sur la place Tahrir s'est peu à peu effacé de la conscience de la communauté internationale.
Dalia al-Aqidi
Non loin de la zone verte solidement fortifiée, la place Tahrir de Bagdad est devenue le théâtre des manifestations les plus massives et les plus longues du mouvement baptisé «Tishreen» («octobre»). Ces manifestations étaient surveillées attentivement par le gouvernement irakien et par les milices proches de l'Iran. Alors qu'ils s'approchaient du pont qui mène aux bureaux du gouvernement central, les jeunes manifestants pacifiques ont été accueillis par les forces antiémeutes et les services de sécurité, qui les ont attaqués à coups de feu avec une violence meurtrière.
Amnesty International a publié un rapport d'enquête qui atteste que les forces irakiennes ont attaqué les manifestants avec des grenades lacrymogènes mortelles et avec d'autres armes. Le service de vérification numérique d'Amnesty International a analysé des vidéos qui concordent avec le lieu de la manifestation, près de la place Tahrir à Bagdad. Ces vidéos font état de décès et de blessures, notamment des traces de chair calcinée et des blessures «fumantes» au niveau de la tête.
L'expert militaire du service de vérification a identifié deux types de grenades lacrymogènes utilisées: les deux modèles sont fabriqués en Iran et en Serbie sur le modèle des grenades militaires et pèsent jusqu'à dix fois plus lourd que les bombes lacrymogènes ordinaires, provoquant ainsi des blessures atroces et des décès si «elles sont tirées directement sur les manifestants», peut-on lire dans le rapport.
Face aux jeunes Irakiens qui manifestaient pour réclamer un avenir meilleur, les chefs des milices pro-iraniennes ont déployé leurs terroristes et pourchassé, kidnappé, torturé et assassiné les militants. Ils voulaient semer la terreur chez quiconque osait défier leur autorité ou critiquer leurs dirigeants.
Depuis octobre 2019 jusqu'à aujourd'hui, le massacre se poursuit. La communauté internationale refuse pourtant de défendre les victimes innocentes ou de contraindre les responsables à rendre des comptes pour leurs terribles actions qui portent atteinte aux droits de l’homme.
Ce samedi, on a trouvé le corps du militant Haider Mohammad al-Zamili, 15 ans, quatre jours après sa disparition. Il flottait sur la rivière de Diwaniya, la capitale de la province méridionale d'Al-Qadisiyyah. Sur sa page Facebook, ce jeune militant avait publié une caricature représentant les partisans du dirigeant chiite, Moqtada al-Sadr, sous forme de moutons. Sa mort a soulevé une vague de protestations sur les réseaux sociaux et a amené certaines personnes à imputer la responsabilité directe de cet événement à Moqtada al-Sadr.
Les jeunes qui baignent dans leur sang à travers les rues et les ruelles de l'Irak deviendront un jour les acteurs politiques du pays. Ils poseront la même question aux dirigeants du monde, aux organisations internationales et aux militants des droits de l'homme: «Où étiez-vous lorsque six cents de nos camarades ont été tués et trente mille blessés lors des manifestations pacifiques et légitimes?»
Les membres de la révolution de Tishreen sont conscients qu'ils sont laissés pour compte et que la communauté internationale se soucie peu de leur vie. Ainsi, lorsqu'un membre du groupe terroriste Hamas meurt, des rassemblements éclatent dans plusieurs villes du monde. Dans le même temps, des membres du Congrès américain exhortent le monde à prendre des mesures contre Israël, en appelant à une nouvelle législation, tandis que les médias d'extrême gauche lancent des campagnes de soutien.
Le Tiananmen irakien se poursuit. Malheureusement, le monde a décidé de ne rien voir et de ne rien entendre, à tout jamais.
Dalia al-Aqidi est chercheuse principale au Center for Security Policy.
Twitter : @DaliaAlAqidi
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique sont celles de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com