On a assisté ce mois-ci à une démonstration de confiance de la part du Hezbollah: il a menacé de riposter à l'interception de l'un des navires iraniens transportant du pétrole à destination du Liban. Faisant fi des sanctions américaines contre l'Iran, le pétrolier a accosté en Syrie, où le carburant a été déchargé et transporté par camions jusqu'au Liban. Reste à voir si l'administration Biden, qui préconise la diplomatie, pourra contenir le Hezbollah en faisant appel au «soft power» («pouvoir en douceur»). La réponse est affirmative.
Washington peut recourir à la diplomatie pour ôter au Hezbollah toute prétention légitime à posséder des armes. Dans cet objectif, Washington peut tabler sur son influence sur Israël et faire pression sur le gouvernement libanais nouvellement formé et avide de soutien.
En délimitant la frontière entre le Liban et Israël, on réduira le risque de conflit entre les deux pays et on videra de son sens le «récit de la résistance» du Hezbollah. Cette mesure accroîtra la pression interne qui appelle au désarmement du groupe et lui offrira la chance de faire des concessions sans pour autant perdre la face si un accord régional est conclu avec l'Iran.
Par ailleurs, le dossier des frontières maritimes se trouvait dans l’impasse depuis un certain temps. Soumis à l'influence du Hezbollah, le Liban hésitait à engager des pourparlers avec Israël concernant la délimitation des frontières. Les choses ont évolué en raison des pressions exercées sur Nabih Berri, président du Parlement et allié du Hezbollah. Son bras droit, l'ancien ministre des Finances, Ali Hassan al-Khalil, a été sanctionné par les États-Unis.
Sentant la menace, Nabih Berri a changé de position et le Liban a entamé des négociations – une démarche nécessaire pour que le pays puisse extraire du gaz en mer, car aucune compagnie n'acceptera d'opérer dans une zone contestée.
Désormais, les négociations piétinent à nouveau en raison d'un désaccord sur le tracé de la ligne qui sépare les parties israélienne et libanaise des éventuels champs gaziers en Méditerranée. Si le Liban insiste sur son droit à la fameuse ligne 23 et propose de considérer la ligne 29 comme une base de départ maximaliste pour mener les négociations, Israël, quant à lui, souhaite entamer les négociations à partir de la ligne 23.
Côté libanais, les négociations sont menées par l'armée libanaise. À cet égard, les États-Unis doivent utiliser leur poids pour amener Israël à accepter la ligne 23. Cette ligne ne doit pas nécessairement être droite, et si Israël accepte la ligne 23, il conservera le champ de Karish, qui peut s'avérer lucratif. En outre, il convient de permettre à l'armée libanaise de décrocher une victoire, dans la mesure où une telle victoire porterait de facto un coup au Hezbollah. La victoire de l'armée libanaise montrerait que le Liban a réussi, par la négociation, à obtenir d’Israël ses droits légitimes.
En délimitant la frontière entre le Liban et Israël, on réduira le risque de conflit entre les deux pays et on videra de son sens le «récit de la résistance» du Hezbollah.
Dr Dania Koleilat Khatib
Quant à la frontière terrestre, treize points sont en jeu. À ce jour, huit seulement ont fait l'objet d'un accord entre Israël et le Liban. Là aussi, les États-Unis devraient se servir de leur influence pour persuader Israël de conclure un accord sur les cinq points qui restent. Une fois ces points réglés, le point de discorde se limitera aux fermes de Chebaa. Les Israéliens avancent que Chebaa appartient à la Syrie et fait donc partie du plateau du Golan qu'ils revendiquent.
L'ancien gouvernement libanais dirigé par Fouad Siniora a demandé au régime de Bachar al-Assad s'il considérait que Chebaa faisait partie de la Syrie. Bien entendu, M. Al-Assad n'a jamais donné de réponse officielle. Là encore, il voulait maintenir ce sujet de discorde et défendre ainsi le récit de la résistance contre Israël.
Sur ce point, les États-Unis sont en mesure de faire usage de leur influence sur le nouveau gouvernement libanais dirigé par Najib Mikati; c'est le bon moment pour le faire, dans la mesure où le gouvernement a cruellement besoin de fonds provenant de la communauté internationale pour maintenir le pays à flot et l'empêcher de sombrer dans la débâcle la plus totale.
Les États-Unis peuvent faire pression sur le gouvernement Mikati pour qu'il demande au gouvernement syrien, par l'intermédiaire des Nations unies, de définir sa position sur les fermes de Chebaa. La Syrie serait contrainte de donner une réponse officielle. Si la Syrie affirme que la zone est syrienne, celle-ci ne fera pas partie des territoires libanais. En revanche, si la Syrie affirme que cette zone est libanaise, les Israéliens devront se retirer.
Sur le plan de la sécurité, les Israéliens redoutent que le Hezbollah ne se serve de Chebaa pour les espionner. Les États-Unis pourraient garantir à Israël que cette ville située sur une colline ne sera pas utilisée par les ennemis d'Israël à des fins d'espionnage. Dans ce cas, les effectifs de la Force intérimaire des nations unies au Liban (Finul) seraient déployés avec un mandat différent du reste de leur mission. La Finul n'a pas le droit d'inspecter, ni de faire voler des drones au-dessus d'une propriété privée. Cependant, pour garantir à Israël que le Hezbollah ne le menacera pas à partir de cet endroit stratégique, les forces de la Finul déployées à Chebaa devront être autorisées à contrôler les propriétés privées, de façon à empêcher le Hezbollah d'espionner Israël.
Si les États-Unis mènent à bien leurs efforts diplomatiques destinés à délimiter définitivement la frontière entre Israël et le Liban, ils saperont le discours du Hezbollah, voire sa raison d'être en tant que résistance armée contre Israël.
Toutefois, la délimitation de la frontière ne signifie pas que le groupe cédera sur-le-champ ni qu’il renoncera à ses armes ou se transformera en parti politique. Il faudra du temps pour désarmer le groupe sans plonger le pays dans une confrontation violente. Toutefois, la délimitation des frontières entre Israël et le Liban représenterait un pas décisif dans cette voie.
- Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com