Comme les choses peuvent évoluer en l'espace de quelques semaines! Depuis que j'ai attiré l'attention, dans une colonne publiée au mois de juillet dernier, sur la manière peu agréable avec laquelle les médias londoniens percevaient le retrait éventuel des troupes américaines d'Afghanistan, nous voilà confrontés aux conséquences réelles de cette décision. Certes, les événements survenus à Kaboul et dans d'autres villes irakiennes constituent, sans conteste, les effets les plus pénibles de ce retrait. Toutefois, les séquelles politiques et diplomatiques sont aujourd'hui comparables, par le sentiment d’amertume qu’elles suscitent, à celles qui accablent le Royaume-Uni et ses partenaires à l'étranger au lendemain du Brexit.
Ainsi, les ministères et les membres du Cabinet se livrent à une guerre des mots brutale qui ne profitera à personne sur le long terme. Cet amalgame de rage, de frustration, de chagrin et d'embarras provoque un chaos comme le Royaume-Uni n'en a pas connu depuis la crise de Suez, en 1956. Les ministères de la Défense et des Affaires étrangères sont en désaccord sur ce qui était pressenti: le secrétaire d’État à la défense, Ben Wallace, affirme avoir anticipé une chute rapide de Kaboul; une vision qui ne correspond pas à celle que le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Dominic Raab, a présentée à une commission parlementaire la semaine dernière.
Certes, l'opinion publique britannique compatit au sort des «laissés-pour-compte», qu'il s'agisse de citoyens britanniques, d'Afghans qui ont collaboré avec le Royaume-Uni et qui courent un réel danger, ou de bien d'autres personnes, notamment les défenseurs des droits de l'homme et les femmes. Néanmoins, il ne convient pas de débattre rétrospectivement des conséquences de cette divergence de points de vue en menant une inévitable enquête sur ce qui s'est réellement passé: ces conséquences se répercutent dès à présent sur les politiques, voire sur les carrières.
La Chambre des communes a suivi en silence – par respect – le discours de Tom Tugendhat, ancien soldat et président de la commission des Affaires étrangères. Il décrivait avec beaucoup d'émotion son regret et le sentiment d'abandon qui était le sien après des décisions qui ont mis en péril la vie de ses partenaires afghans et remis en question le sacrifice consenti par ses camarades tombés au combat.
Le gouvernement britannique n'est pas le seul à se battre contre lui-même. Le débat qui s’est tenu à la Chambre des communes a également fait ressortir des critiques particulièrement acerbes à l'égard des États-Unis, qui correspondent à la rhétorique malencontreuse que Downing Street semble avoir adoptée à l'égard de Joe Biden. Face aux remarques formulées par les militaires britanniques à propos du rôle et des décisions des États-Unis au cours des derniers jours à Kaboul, Washington s'est empressé de riposter.
Cependant, cette dissension poussée mérite d’être rapidement tuée dans l'œuf si l’on souhaite que la situation ne se dégrade pas. Peu importe de quelle façon on en est arrivé là: les ennemis du Royaume-Uni, des États-Unis et de l'Occident dans son ensemble seront les seuls à tirer profit d'une profonde fracture parmi les partenaires les plus étroitement liés sur le plan militaire, de la sécurité et du renseignement et qui luttent contre de multiples menaces aux quatre coins du monde.
À ce jour, le plus surprenant – bien que ce soit compréhensible – est de constater que l'analyse est centrée essentiellement sur l'introspection. Quelle incidence tout cela aura-t-il sur l'Occident? Dans quelle mesure notre politique étrangère et nos intérêts s'en trouveront-ils affectés? Comme d’habitude, tout tourne autour de nous. On a beaucoup moins cherché à déterminer les conséquences de ce retrait sur les régions marquées par l'engagement et les activités de l'Occident sur une si longue période, comme on s'est moins interrogé sur la portée précise de cet événement sur l'Afghanistan.
Toutefois, et tout en sachant que l'une des répercussions du retrait américain sera certainement «moins orientée vers l'Occident», j'ai été étonné de constater le peu d'attention qu’ont prêté les médias britanniques à la Conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat, qui s'est tenue dans les jours qui ont suivi la chute de Kaboul et sa prise de contrôle par les talibans. Cela s'explique probablement par la volonté des médias anglo-saxons d'occulter la présence du président français, Emmanuel Macron; il n'empêche que cette couverture modeste montre bien que les vieilles mentalités mettent du temps à changer.
Le paysage qui se dessine actuellement dans la région, où l'on voit des adversaires se tendre timidement la main, mérite d'être remarqué et encouragé
Alistair Burt
L'engagement de l'Occident au Moyen-Orient et en Afrique du Nord prendra une autre tournure à l'avenir. Ainsi, le paysage qui se dessine actuellement dans la région, où l'on voit des adversaires se tendre timidement la main, mérite d'être remarqué et encouragé. Une percée subite et surprenante n'est pas à espérer: il ne faut pas se laisser bercer par les motivations et les attentes divergentes des pourparlers. Cependant, les tentatives patientes de Bagdad pour réunir les responsables saoudiens et iraniens ont abouti à cette récente conférence, la première réunion des ministres des Affaires étrangères des deux pays depuis cinq ans.
Le sommet n'a pas été parfait, et certains n'y ont pas assisté. Mais, dans cette région où le débat sur l'engagement des pays étrangers divise les acteurs politiques et où les enjeux sont considérables – que ce soit pour les États qui sont favorables et pour ceux qui sont défavorables à cet engagement –, les efforts consentis en faveur d'une entente régionale susceptible de calmer les tensions et d'éviter de nouvelles catastrophes méritent une plus grande attention de la part des capitales des pays occidentaux. Le fait que ce soit Bagdad qui accueille cette conférence, en dépit de ses conflits internes persistants et de ce que cette ville a enduré par le passé – en dit long sur la détermination du président irakien, Barham Salih, à tirer parti de la période obscure des quarante dernières années pour avancer vers un avenir meilleur.
Dans cette région qui porte l'empreinte historique du Royaume-Uni et de l'Europe, il serait judicieux que ces derniers fassent preuve d'une plus grande vigilance, d'une plus grande reconnaissance et d'un plus grand soutien à l'égard de ces efforts.
Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes ministériels aux Affaires étrangères et au Commonwealth, en tant que sous-secrétaire d'État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d'État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019.
Twitter : @AlistairBurtUK
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.