Alors que l'administration Biden, peu lucide, accueille les élections iraniennes de la semaine dernière avec un haussement d'épaules –, sachant que le guide suprême Ali Khameneï détient de toute façon la part du lion du pouvoir –, la victoire d'Ebrahim Raïssi aux élections présidentielles entraînera en réalité des conséquences considérables et profondes. Malheureusement, la plupart de ces conséquences laissent présager des jours obscurs pour une région qui a cruellement besoin de lumière.
Au lieu d'examiner à la loupe les particularités de l'élection qui vient de se tenir, l'analyse du risque politique nous pousse à étudier de manière plus exhaustive le vrai sens de ce résultat. Premièrement, comme l'a bien dit le philosophe grec Héraclite : « Le caractère d'un homme fait son destin ». Dans le cas de Raïssi, il suffit de jeter un coup d'œil à sa biographie choquante pour anticiper le parcours qu'il suivra à l'avenir.
Raïssi a acquis une certaine notoriété à un stade précoce, en tant que procureur-cracheur de feu vers la fin des années 1980. À cette époque, il n'avait que 27 ans lorsqu'il est devenu membre d'un groupe connu sous le nom de « commission de la mort » à Téhéran. En 1988, cette commission a supervisé une série de procédures collectives qui ont débouché sur l'exécution de 5 000 à 30 000 opposants au régime dans le sillage de la guerre violente qui a opposé l'Irak et l'Iran. Depuis 2019, Raïssi assume les fonctions de chef de l'autorité judiciaire du pays. Dans son poste actuel, Raïssi a défendu l'impunité des responsables iraniens et des forces de sécurité accusés du meurtre de manifestants lors des mouvements de masse qui ont secoué le pays en 2019.
Au fil de sa carrière, Raïssi a été le partisan le plus acharné de la ligne dure. Sa loyauté personnelle envers Khameneï est bien documentée. En effet, l'ascension de Raïssi à la présidence (il n'a que 60 ans) le conduira vraisemblablement à la succession de Khamenei au poste de chef suprême (ce dernier est âgé de 82 ans). Cette situation n'est pas sans précédent, dans la mesure où Khamenei a lui-même accédé au pouvoir suprême à la suite du décès de l'ayatollah Khomeini en 1989. Autrement dit, du point de vue des risques politiques, ce n'était pas une simple élection de plus, mais plutôt la concrétisation du plan de succession en Iran.
Deuxièmement, la victoire de Raïssi dément une fois pour toutes le vieil argument qui veut que les « modérés » de l’Iran puissent être soutenus par l'Occident depuis l'extérieur du pays. Avec Raïssi à la présidence, les partisans de la ligne dure contrôlent désormais les institutions de l'État iranien dans leur ensemble ainsi que les leviers du pouvoir. Il ne fait plus de doute que le monde est désormais confronté à une politique iranienne révolutionnaire et dure.
Il ne fait plus de doute que le monde est désormais confronté à une politique iranienne révolutionnaire et dure.
Dr. John C. Hulsman
Troisièmement, l'économie de l'Iran est chamboulée et Raïssi ne possède aucune réponse sur la manière de la redresser. Dans la foulée de la campagne de sanctions extrêmement efficace menée par Donald Trump, en l'occurrence la « pression maximale », l'économie iranienne a périclité de 4,8 % en 2018 et de 9,5 % supplémentaires en 2019. Les exportations de pétrole, poumon de l'économie iranienne, ont chuté de 2,3 millions de barils par jour en 2018 à 1 million en 2019. Dans le même temps, selon le Fonds monétaire international, l'inflation galopante est condamnée à grimper du niveau déjà stratosphérique de 36,5 % en 2020, à 39 % pour cette année.
Quatrièmement, tous ces déboires économiques amèneront Téhéran à regarder au-delà de ses frontières pour trouver un moyen de redresser le navire qu'est l'État. Seuls le rétablissement immédiat de l'accord sur le nucléaire avec l'Occident et la conquête du nouvel allié, qui est la Chine, permettront à Raïssi et aux partisans de la ligne dure d'éloigner le loup économique de leur porte. Compte tenu de la nouvelle alliance stratégique anti-américaine que l'Iran a conclue avec Pékin, attendez-vous à ce que Raïssi cherche à renforcer au plus vite ses liens avec une Chine en pleine ascension, désireuse d'assurer, sur le long terme, des sources d'énergie pour son économie croissante.
Cinquièmement, au vu de tous ces facteurs, on peut s'attendre à ce que le Plan d'action global conjoint (PAGC) soit renouvelé dans les plus brefs délais entre Téhéran et l'Occident. Raïssi dit être favorable au renouvellement du PAGC « tant qu'il sert les intérêts de l'Iran ». Il est probable que l'accord sera conclu le plus tôt possible, probablement avant le transfert du pouvoir en Iran en août, dans la mesure où cet accord servirait les intérêts politiques intérieurs du gouvernement sortant de Rouhani ( en quête d'un héritage historique ), ceux du nouveau gouvernement de Raïssi ( qui ne souhaite pas se souiller les mains en négociant avec les Américains ) ainsi que ceux de l'administration impatiente de Biden ( qui a hâte de conclure un accord afin de pouvoir se tourner vers la région de l'Indo-Pacifique ).
Sixièmement, cet accord constituera une catastrophe diplomatique, car il s’agira d’un repli stratégique répondant parfaitement aux exigences de l'Iran. Il fera sortir Téhéran de l'impasse économique ; comme l'a dit Raïssi, « les États-Unis sont obligés de lever toutes les sanctions oppressives contre l'Iran ». Raïssi a précisé par la suite qu'il ne céderait pas aux appels de la communauté internationale en faveur d'une discussion plus étendue (comme l'a fait d'ailleurs la Maison Blanche de Biden) portant sur le développement du programme de missiles balistiques hautement perfectionné de l'Iran ou sur son soutien acharné aux groupes terroristes et aux milices présentes dans la région (au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban). Il a qualifié ces questions de « non négociables ».
Dans ce cas – à savoir que tout laisse à penser que Raïssi est sérieux dans ses propos – les efforts consentis par l'administration Biden en vue de transformer l'Iran en une puissance régionale « plus normale » partiront en fumée. Bien au contraire, l'Iran, qui ne fera aucune nouvelle concession, pourra remplir et fortifier ses coffres, grâce à une Maison-Blanche irréfléchie, et donnera un nouvel élan à sa politique expansionniste dans la région.
Comme les Américains aiment à le répéter, « les élections ont des conséquences ». Ce qui est triste pour le reste du monde, c'est que l'ascension politique de Raïssi risque d'entraîner des conséquences pour le moins funestes.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com