Face à la victoire des talibans, le monde est frappé de stupeur. Les militants eux-mêmes ne s’attendaient pas à se retrouver au cœur de la capitale Kaboul à la mi-août. Pendant que les analystes s’évertuent à comprendre pourquoi ce retrait s’est si mal passé en donnant des explications contradictoires, la question que tout le monde se pose est la suivante: comment un ennemi aussi primitif que les talibans a réussi à vaincre une superpuissance? On ne peut s’empêcher de penser au Vietnam. Mais contrairement au Viêt-Cong, qui disposait du soutien de l’Union soviétique – une superpuissance dont la force est comparable à celle des États-Unis –, les talibans ne sont soutenus par aucune puissance mondiale. Leur caractère primitif les a rendus encore plus difficiles à vaincre alors que les moyens si puissants et sophistiqués des forces américaines ont accru leur vulnérabilité. Les talibans ont mené une guerre d’usure contre les États-Unis. Ils savaient qu’ils ne pouvaient remporter un combat ouvert et ont donc voulu survivre à l’ennemi. Contraint de faire face à un échec cuisant, le président américain, Joe Biden, s’est d’une part félicité du retrait réussi des troupes et a de l’autre reproché à son prédécesseur d’avoir forcé les États-Unis à conclure une mauvaise entente avec les talibans. Son administration a donc été obligée d’honorer ses engagements.
Pour pouvoir expliquer cette défaite américaine, il convient d’abord de définir ce à quoi la victoire aurait pu ressembler. La victoire, c’est causer tellement de dommages à l’ennemi qu’il est contraint de capituler. Mais comment porter un coup dur à un adversaire qui a besoin de si peu pour survivre? Le boycotter quand il s’agit de commerce international? Les talibans ne font pas partie du réseau de commerce mondial. Lui interdire tout approvisionnement en énergie? Les talibans ne dirigent pas d’usines ni ne dépendent de flottes de véhicules. Détruire ses forces aériennes ou ses chars? Les talibans n’en ont aucune.
J’ai eu cette discussion avec un ami américain. Il m’a dit: «Il faut tous les tuer.» Cependant, il n’est pas possible de capturer les ennemis et de les tuer. «Comment peut-on les identifier?», lui ai-je demandé. Faut-il se rendre dans un village et demander aux talibans de lever la main par exemple? Ils sont intégrés dans la population locale. Ils connaissent bien le terrain escarpé qui les guide vers de nombreuses cachettes. Même avec les images satellite les plus précises et des géologues spécialisés, les États-Unis ne pourront jamais connaître le territoire afghan aussi bien que ses habitants. Face aux opérations coûteuses que menaient les États-Unis, les talibans ont simplement choisi de se cacher dans des grottes et, le moment venu, d’organiser un attentat-suicide sur un marché ou autre endroit surpeuplé en utilisant des moyens rudimentaires. C’est ainsi qu’ils ont réussi à semer la terreur.
Les talibans sont flexibles. Ils savent comment courir et se cacher. Mao Zedong, qui a dirigé les guérillas communistes contre les forces Tchang Kaï-chek équipées par les Américains pendant la guerre civile chinoise, s'est beaucoup appuyé sur la fuite. Ironiquement, prendre la fuite peut être une tactique offensive efficace. Les talibans ont fui l’ennemi, l’ont distrait puis l’ont épuisé. Il était alors trop abattu pour pouvoir se battre. Ils ont saisi leur chance en ayant recours à des attaques subites, vives et douloureuses. Pour eux, la clé est de faire en sorte que la situation soit le plus fluide possible et d’induire l’ennemi – statique – en erreur. De plus, compte tenu de leur nature des plus primitives, les talibans n’ont besoin que du strict minimum pour survivre. Ils mangent ce qui leur tombe sous la main, vivent dans grottes et attendent le bon moment pour sortir et attaquer.
«Nous sommes à l’ère des guerres asymétriques où des armées se livrent un combat sur un terrain incertain contre un ennemi incertain.»
Dr Dania Koleilat Khatib
Après vingt ans passés en Afghanistan, les États-Unis auraient dû comprendre qu’ils utilisent les mauvais moyens pour lutter contre le terrorisme. Ils ne pourront jamais tuer les «terroristes» ou les «extrémistes». Le secret est de proposer une meilleure solution de rechange. En Afghanistan, les États-Unis n’ont pas sollicité les services d’une personne comme le général Douglas MacArthur. Ce dernier avait dirigé les travaux de reconstruction du Japon après la Seconde Guerre mondiale et avait le pouvoir de mettre en place un plan de développement à part entière.
De plus, la répression militaire brutale ne porte plus ses fruits. La nature de la guerre change. Nous n’avons plus d’armées conventionnelles qui s’affrontent sur un champ de bataille. Nous sommes à l’ère des guerres asymétriques où des armées se livrent un combat sur un terrain incertain contre un ennemi incertain. Les chances de réussite sont donc faibles. Plus une opération militaire est complexe, plus son mouvement devient lent et plus il est facile pour l’ennemi de la contrer.
Les États-Unis devraient absolument revoir leurs moyens de lutter contre le terrorisme. Ils ne peuvent plus se permettre d’anéantir leurs chances de réussite. Ils doivent mieux comprendre la culture et la nécessité de travailler en étroite collaboration avec la communauté internationale sur les zones propices à la montée en puissance de l’extrémisme. Les États-Unis devraient tirer des leçons de leur présence en Afghanistan. La puissance, à elle seule, ne garantit pas la suprématie.
L'Amérique devrait compter plus sur l’interaction. Elle a connu un succès éphémère en Irak lorsqu'elle s'est engagée auprès de la population locale. Cet échange n’était cependant pas soutenu par une quelconque stratégie et n’a donc pas abouti. Si les États-Unis avaient eu une stratégie d’interaction et de développement, le problème des talibans ne se serait pas posé. Les talibans sont le fruit du vide laissé par les États-Unis après que les moudjahidines, clandestinement soutenus par Washington, ont vaincu l’Union soviétique. Le film Charlie Wilson’s War («La Guerre selon Charlie Wilson») raconte l’histoire du membre du Congrès texan, Charlie Wilson, connu pour avoir incité à fournir un soutien aux moudjahidines. Le film montre comment les États-Unis se sont immédiatement désintéressés de l’Afghanistan lorsque les Russes ont été vaincus. Si les comités du Congrès ont généreusement financé l’armement des moudjahidines, la demande de Charlie Wilson d’orienter les fonds vers les écoles et les hôpitaux après le retrait soviétique, elle, est tombée dans l’oreille d’un sourd.
A l'heure de la vingtième commémoration du 11-Septembre, et à mesure que les talibans – qui ont abrité celui qui a orchestré les attentats – ont réussi à repousser les États-Unis, les dirigeants américains devraient se dire: «Si seulement nous avions répondu à l’appel de Charlie Wilson.»
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheuse affiliée à l’Institut Issam-Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com