Après les deux soulèvements généralisés de 2017 et 2019, Khamenei a annoncé qu'il préférerait un jeune gouvernement pour surmonter les crises économiques et sociales. Dans ce discours, il a souligné les caractéristiques de Qassem Soleimani comme modèle pour ce gouvernement qu’il souhaite.
Avec l’élimination de Qassem Soleimani par les forces américaines, Khamenei a choisi Ebrahim Raïssi. Selon Amnesty International, ce dernier était membre du Comité de la mort lors du massacre des prisonniers politiques en 1988 en raison de sa loyauté envers les valeurs barbares du régime. Pour ouvrir la voie à Raïssi vers la présidence, Khamenei a eu recours au Conseil des gardiens de la révolution pour disqualifier les candidats présidentiels pouvant représenter une quelconque rivalité pour Raïssi. Même Ali Larijani, l'ancien président du Parlement iranien et le conseiller de Khamenei, a été écarté.
Le 11 août, Raïssi a présenté les noms de son cabinet au Parlement. Un bref aperçu de la composition de ce cabinet suffit pour révéler les objectifs de Khamenei dans le contexte actuel.
Les membres du cabinet de Raïssi
Les femmes et les minorités religieuses n'ont pas leur place dans son cabinet exclusivement masculin. Celui-là est composé de responsables à la tête de l’appareil militaire, de la sécurité, du renseignement et d’autres individus sans scrupules, jamais vus dans aucun des précédents gouvernements iraniens. Huit ministres sont issus des Gardiens de la révolution et deux ministres de l'armée. Raïssi a principalement repris les ministres qui ont servi dans le cabinet d'Ahmadinejad. En effet, son cabinet est souvent désigné comme le troisième cabinet d'Ahmadinejad, qui a exercé deux mandats en tant que président.
Raïssi figure actuellement sur la liste des sanctions américaines et internationales pour violations des droits de l’homme. En outre, selon les mots du secrétaire général d'Amnesty International, Raïssi devrait être jugé pour son implication dans des crimes en Iran au lieu de siéger à la présidence. Khamenei était bien conscient de tous les risques et défis internes et internationaux que la nomination de Raïssi allait provoquer. Cependant, pour faire pérenniser son régime, il avait besoin de l'individu le plus oppressif et le plus brutal qui puisse réprimer d'éventuels soulèvements généralisés avec une détermination et une brutalité impitoyables. Cet individu s'est avéré être Raïssi. Khamenei a interdit l'importation de vaccins en provenance de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis, laissant la Covid-19 se propager dans les villes et les villages d'Iran. La direction du régime espérait que cela amènerait le peuple au bord de l'effondrement, de sorte que personne ne pouvait penser à participer à des rassemblements, des manifestations et des grèves antirégime. Avec pour objectif d'écraser toute vélléité d’opposition, Raïssi a décidé d’adopter une politique étrangère conséquente.
La politique étrangère de Raïssi
«Nous poursuivrons la politique étrangère de Qassem Soleimani, l'ancien commandant de la force Qods», a déclaré Ebrahim Raïssi, tout en examinant ses plans au sein de la Commission de sécurité du Parlement du régime. La politique de Qassem Soleimani, connue sous le nom de la «victoire de la terreur», signifie que les objectifs peuvent être atteints grâce au terrorisme et à l'ingérence dans les affaires d'autres pays, ainsi qu’à l’accumulation des missiles et des armes nucléaires. Abdullahian, ministre des Affaires étrangères, a d’ailleurs toujours mené la même politique dans la région. Par conséquent, le monde devrait désormais s'attendre à plus d'ingérence régionale de la part de l'Iran, à une perturbation des flux de pétrole dans le Golfe, à des activités terroristes et à l'arrestation de personnes ayant la double citoyenneté.
La politique intérieure du régime
Nommer le général de brigade Ahmad Vahidi au ministère de l'Intérieur est vital pour le régime. Chef adjoint du renseignement militaire du CGRI, commandant des opérations terroristes et des prises d'otages depuis 1981, Ahmad Vahidi organise des milices au sein du CGRI. Imad Moghniyé, le commandant terroriste du Hezbollah au Liban qui a fait exploser la base de l'US Marine Corps à Beyrouth, était sous le commandement de Vahidi. La prise d'otages au Liban et les attentats à la bombe à Paris dans les années 1980 ont également eu lieu sous le commandement de Vahidi.
Le 18 juillet 1994, un puissant attentat à la bombe dans la capitale argentine, Buenos Aires, a fait 86 morts et des dizaines de blessés. Vahidi est l'un des principaux accusés dans cette affaire et est poursuivi par le procureur argentin. Ainsi, la nomination de Vahidi vise essentiellement à contrer les soulèvements qui ont débuté en novembre 2017 et culminé en décembre 2019, ainsi que les récents troubles sociaux au Balouchistan et au Khouzestan.
Ahmad Vahidi, qui a remis le commandement de la force Qods à Qassem Soleimani en 2017, a été vice-ministre de la Défense puis ministre de la Défense sous les deux mandats d'Ahmadinejad, et a occupé d'autres postes de haut niveau au sein du régime.
Raïssi poursuit la politique de Qassem Soleimani, connue sous le nom de la «victoire de la terreur»
Hamid Enayat
La politique économique de Raïssi
Mohammed Mokhber, le chef d'état-major pour l'exécution de «l'ordre de l'Imam», a été nommé premier chef adjoint de Raïssi. Les informations obtenues de sources iraniennes indiquent que tous les ministres et vice-Premiers ministres dans divers domaines de l'économie iranienne doivent s'engager dans une «économie de résistance». Parmi eux, Javad Oji, le ministre du Pétrole de la «Fondation pour les opprimés», qui est à l'origine d'assassinats à l'étranger depuis le début du règne de Khomeini. Hojjat Abdul Maliki, l'actuel vice-ministre du Travail, du Bien-être et de la Sécurité sociale au sein du Comité de secours, a financé les familles des victimes du Hezbollah au Liban, les Houthis yéménites et les militants irakiens, ainsi que les Afghans tués en Syrie. Reza Fatemi Amin est ministre du Samat (Industrie, Mines et Commerce) d'Astan Quds Razavi, l'une des plus grandes institutions financières sous la supervision du Guide Suprême. Selon une étude approfondie de Reuters en 1991, la fortune de cette institution qui s’élève à un milliard de dollars appartient au Guide Suprême. En plus de financer les activités du régime iranien à l'étranger, toutes ces institutions financières et fondations serviront la politique étrangère du régime.
Dès lors, le régime iranien va créer des troubles dans la région par crainte d'un autre soulèvement, qui sera sans doute le dernier, pour marquer des points et contrôler la situation explosive à l'intérieur de l'Iran. Créer un ennemi hypothétique comme Israël et les États-Unis a pour but de réduire le problème principal: l'insatisfaction du peuple et son mécontentement envers le gouvernement. Au cours des quarante-deux dernières années de son règne, le régime a adopté la même stratégie et, aujourd’hui, il est arrivé à sa fin.
Au cours des trente dernières années, les soi-disant réformistes en Iran ont travaillé dur pour polir la façade de ce régime, justifier toutes les lacunes sociales et économiques d'une part et masquer ses crimes au niveau international d’autre part. On peut se demander pourquoi Khamenei a choisi d’écarter ces soi-disant modérés et de plaider pour un type de gouvernement non réformiste. Voici quelques facteurs qui méritent d'être considérés:
1. Les conditions économiques et sociales
Sur le plan socio-économique, le régime est dans un état de chaos. La chute rapide de la monnaie nationale et la montée galopante de l'inflation, la fermeture d'entreprises manufacturières et la fuite vertigineuse des capitaux ont fait basculer plus de 60 millions d'Iraniens sous le seuil de pauvreté. La corruption débridée a été institutionnalisée. Le cercle des CGRI et les institutions affiliées au Guide suprême ont détruit l'économie. La classe moyenne a disparu. Mohammed Qalibaf, l'actuel président du Parlement, a déclaré que la société avait été largement polarisée. Environ 4% seulement de la population peut se permettre de vivre confortablement, alors que le reste sombre dans la pauvreté. L'armée des chômeurs et des affamés augmente chaque jour.
2. Les soulèvements
Malgré l'accord nucléaire de 2015 (JCPoA), une multitude d'incitations offertes à l'Iran, la vente de pétrole jusqu'à 2,5 millions de barils par jour et la libération de 150 milliards de dollars d'argent iranien bloqué, le peuple iranien organise des manifestations généralisées à cause de la pauvreté et de l'inflation. De nouveau, à la mi-novembre 2019, une autre vague généralisée de soulèvements a balayé le pays. Cette fois, elle a été déclenchée à la suite d’une forte augmentation des prix de l'essence. Les gardes de Khamenei ont ouvert le feu sur les manifestants, tuant plus de 1500 personnes et blessant d’autres. Ces soulèvements ont pris le régime par surprise. Les manifestations et la réaction sanglante du régime ont mis en évidence l'insatisfaction et le mécontentement du peuple. De nombreux analystes estiment que depuis lors, le régime iranien est entré dans une crise de légitimité incurable. Ces derniers mois, nous avons assisté à d’autres soulèvements en Iran, notamment au Khouzestan et au Baloutchistan. Beaucoup pensent que la situation en Iran est très volatile et ressemble à un feu sous la cendre. L'armée des affamés et des chômeurs est prête.
3. Les unités de résistance
Après le soulèvement de 2019 en Iran, des centaines d'unités de résistance se sont organisées et se sont répandues dans tout le pays. Celles-ci soutiennent le plan en dix points de la chef de l'opposition iranienne, Mme Maryam Radjavi, qui appelle à la séparation de la religion et de l'État et à l'égalité des hommes et des femmes. Ces unités de résistance sont pratiquement à la tête de la récente vague de soulèvements. En raison du manque cruel de vaccins et de la propagation intentionnelle du virus par le régime, les unités de résistance tentent de briser l'atmosphère de désespoir et de frustration que Khamenei essaie d'imposer à la société. La Covid-19 tuerait près de 2000 personnes chaque jour en Iran. Khamenei espère que la peur du virus occupera l'esprit des gens et que les lacunes de son régime seront moins remarquées. La présence des unités de résistance a apporté de l'espoir au peuple et semé la peur au sein du régime et auprès de Khamenei.
Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années. Twitter: @h_enayat
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.