Le Conseil des gardiens de la Constitution de l’Iran a disqualifié tous les candidats à l'élection présidentielle du mois dernier, et n'a retenu que 7 candidatures. Parmi les 592 candidats figuraient le plus ancien président du Parlement iranien, un vice-président et un ancien président. Cette démarche constitue l'ingérence la plus marquée jamais entreprise par un dirigeant suprême dans le processus électoral.
Dans le sillage d'une bataille catastrophique contre la pandémie, d'un taux de chômage élevé et d'une inflation galopante sur fond de sanctions américaines, cette élection apparaissait comme un tournant décisif pour le pays mais aussi pour ses chefs religieux.
Ainsi, l'élection d'Ebrahim Raïssi, à la fois chef du pouvoir judiciaire de l'Iran, ayatollah autoproclamé et sayyid (titre honorifique) Housseini, a soulevé de nombreuses questions quant à la capacité de cette personnalité à relever les défis auxquels sont confrontés les jeunes iraniens et à faire les concessions indispensables à la conclusion d'un nouvel accord sur le nucléaire.
Si l'ancien président américain, Donald Trump, avait pour ambition de tempérer la position de l'Iran lorsqu'il s'est retiré de l'accord sur le nucléaire, l'élection d'un partisan de la ligne dure, lui-même sanctionné par les États-Unis – en raison de son implication dans l'exécution massive de prisonniers politiques en 1988 – ne correspondait sûrement pas au but poursuivi.
L'élection en elle-même n'a pas été des plus simples. Le taux de participation le plus faible depuis la révolution de 1979, associé à la disqualification délibérée ou involontaire de quelque 3,7 millions de voix, a traduit un manque de confiance flagrant de la part de la population. Le Guide suprême, Ali Khamenei, ainsi que la télévision d'État se sont empressés de minimiser la situation, imputant les ingérences aux rivaux régionaux et occidentaux de l'Iran.
La République islamique puise depuis longtemps sa légitimité dans la forte participation aux élections. Ainsi, la défiance généralisée des électeurs iraniens a certes fait sourciller. Si de nombreuses personnes considéraient la victoire électorale d’Ebrahim Raïssi comme inéluctable, elle est désormais une réalité et les rivaux de l'Iran dans la région, ainsi que la communauté internationale, devront éventuellement composer avec l'homme qu’Ali Khamenei lui-même a choisi.
La semaine qui a suivi l'élection du religieux chevronné a été essentiellement marquée par sa décision de ne pas rencontrer le président américain, Joe Biden. Entrant en fonction à une période cruciale, au milieu des efforts diplomatiques en cours pour relancer l'accord nucléaire de 2015, cette annonce aura sans doute inquiété de nombreuses personnes à Washington qui espèrent un rapprochement. Malgré les progrès accomplis jusqu’à présent dans les négociations, le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, a prévenu qu'il serait «particulièrement difficile» de parvenir à un accord si les discussions devaient s’éterniser.
En outre, la victoire de M. Raïssi marque la reconquête du pouvoir par les conservateurs dans les trois branches du gouvernement. Son administration, qui entrera en fonction le 3 août, risque ainsi d'adopter une approche bien plus ferme tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Cette réalité entraînera des répercussions évidentes sur la manière dont l'Iran appréhendera l'avenir de l'accord sur le nucléaire issu du Plan d'action global conjoint (PAGC).
En effet, les espoirs de parvenir à un accord risquent d'être compromis par l'élection d'un révolutionnaire de premier plan. Toutefois, si les négociations échouent, la colère de la population sera immense, compte tenu notamment de l'inflation qui a atteint près de 40 % l'année dernière. Il incombera alors au régime de négocier une sorte de modus operandi avec l'Occident.
«C'est non négociable», a déclaré le président élu à propos du soutien continu que l'Iran apporte aux activités des milices régionales.
Zaid M. Belbagi
Le régime qui a déclaré que «notre politique étrangère ne se limitera pas à l'accord nucléaire», cherche en réalité une porte de sortie. Au cours des négociations, un partisan de la ligne dure comme M. Raïssi est capable de faire des concessions, quand une personnalité plus modérée ne parviendrait pas à le faire pour ne pas contrarier les conservateurs. Au terme de cette élection qui a fait apparaître le mécontentement profond des jeunes à l'égard de la structure du pouvoir qui s'est imposé en Iran après la révolution, le régime se doit d'alléger les sanctions s'il espère relancer l'économie du pays.
C'est dans les relations de l'Iran avec ses voisins arabes qu’Ebrahim Raïssi risque de maintenir sa position ferme. «C'est non négociable», a déclaré le président élu à propos du soutien continu que l'Iran apporte aux activités des milices régionales. Les États-Unis se trouveront donc confrontés à une mission complexe consistant à persuader leurs alliés du Moyen-Orient que le renouvellement du PAGC ne renforcera pas le pouvoir de l'Iran dans la région.
Les récentes réunions entre l'Iran et ses pays voisins à Bagdad et à Doha ont laissé entrevoir une sorte de dégel des relations. Toutefois, l'élection de M. Raïssi posera une question fondamentale: l'Iran va-t-il réellement revenir sur son programme destiné à exporter sa révolution dans la région?
Sanam Vakil, directrice adjointe du programme pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Chatham House, suggère que l'élection d'un religieux de premier plan peut s'avérer bénéfique. Selon elle: «Contrairement au président sortant, Hassan Rohani, ces pays considèrent que M. Raïssi, qui est proche du Guide suprême et des services de sécurité et de renseignement, est à même de faire des compromis au niveau régional. Ce nouveau regard permettra aux deux parties de consolider le dialogue engagé à Bagdad.»
Le régime de Téhéran est réputé pour son imprévisibilité. Prévoir la politique du nouveau président est donc une science inexacte. Plus important encore est le fait que la décision appartient au Guide suprême, détenteur de l'autorité suprême en Iran, même si le président est censé représenter la plus haute autorité exécutive du pays. Certes, le président dirige le Conseil suprême de sécurité nationale, en l’occurrence le principal organe décisionnel. Toutefois, les décisions relatives aux enjeux stratégiques sont souvent consensuelles et requièrent l'approbation d’Ali Khamenei. Ainsi, la position de l'Iran vis-à-vis du PAGC dépendra d’Ali Khamenei lui-même, plutôt que de la philosophie du nouveau président.
Il reste à déterminer dans quelle mesure l'administration Biden sera capable d'intégrer les préoccupations des rivaux régionaux de l'Iran dans le nouveau PAGC. Voilà qui constituera à l'avenir un indicateur essentiel qui permettra d’évaluer l'importance de ces pays dans les préoccupations des États-Unis en matière de sécurité.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.