Erdogan pourrait prendre un risque calculé avec les talibans

Les troupes turques, qui étaient en opération à l'aéroport international Hamid Karzaï de Kaboul, en Afghanistan, défilent lors d'une cérémonie à l'aéroport d'Ankara, en Turquie, le samedi 28 août 2021. (AP)
Les troupes turques, qui étaient en opération à l'aéroport international Hamid Karzaï de Kaboul, en Afghanistan, défilent lors d'une cérémonie à l'aéroport d'Ankara, en Turquie, le samedi 28 août 2021. (AP)
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Publié le Mardi 31 août 2021

Erdogan pourrait prendre un risque calculé avec les talibans

Erdogan pourrait prendre un risque calculé avec les talibans
  • Malgré l’attentat de Kaboul, les bonnes dispositions d'Erdogan envers les talibans semblent intactes
  • La Turquie fournira une assistance dans les domaines civils et techniques de l'aéroport de Kaboul, à défaut de pouvoir prendre en charge son contrôle, ce qu’elle avait demandé initialement

La situation en Afghanistan devrait encore rester précaire dans un avenir proche. Les règlements de comptes des divers conflits qui ont eu lieu au cours des deux dernières décennies d'intervention étrangère dans le pays ne vont en effet pas rapidement disparaître.

La branche de Daech en Afghanistan, connue sous le nom d’«État islamique du Khorassan», a perpétré la semaine dernière un attentat meurtrier à l'aéroport de Kaboul, tuant environ 170 civils et 13 soldats américains, et faisant de nombreux blessés. L'attaque visait principalement les États-Unis, mais la plupart des victimes étaient des Afghans. Entre-temps, dans la région du Panshir en Afghanistan, Ahmad Massoud, le fils du légendaire commandant Massoud – qui avait résisté à l'invasion soviétique de 1979-1989 – a annoncé lancer un mouvement de résistance antitaliban. Cependant, il semble voué à l'échec si l'aide étrangère n'arrive pas à lui venir en aide.  

Lors d'un autre récent incident enfin, neuf membres innocents de la communauté hazara ont été torturés et tués par les talibans à Ghazni le mois dernier, parce qu'ils étaient chiites. Ces trois incidents sont des signes précurseurs d'incidents similaires à venir. Qu'ils soient perpétrés par les talibans ou leurs opposants, ils finiront par déstabiliser le pays.

Daech-Khorassan a revendiqué l'attentat de jeudi contre l'aéroport de Kaboul, mais cela ne devrait pas détourner l'attention d’une autre organisation terroriste: Al-Qaïda, avec laquelle les talibans entretiennent des relations complexes. Le mois dernier, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a soumis au Conseil de sécurité un rapport qui soulignait la forte présence d'Al-Qaïda en Afghanistan, et affirmait que le pays pourrait devenir un refuge pour le terrorisme mondial. Les talibans peuvent espérer garder de tels groupes sous contrôle, mais ils font face à trop de contraintes pour mener cette mission à bien.

Al-Qaïda et Daech sont tous deux toujours présents et assez actifs en Afghanistan. Washington peut coopérer avec les talibans, afin d'endiguer leurs activités, mais les nouveaux maîtres du pays, comme mouvement hétérogène, pourraient ne pas être en mesure de faire face à une telle accumulation de problèmes.

Une grande majorité de la communauté internationale est mécontente de la prise de contrôle du pays par les talibans, mais ce n’est pas une raison pour que la nation afghane soit punie dans son ensemble. La population n'est pas composée uniquement de talibans. De nombreux Afghans désapprouvent les pratiques des talibans, mais pensent avant tout à vivre dans un quotidien difficile. La communauté internationale ferait donc bien de se concentrer sur les besoins des Afghans ordinaires, et sur l’amélioration de leur niveau de vie.

La communauté internationale ferait bien de se concentrer sur les besoins des Afghans ordinaires, et sur l’amélioration de leur niveau de vie.

Yasar Yakis

De nombreux pays blâment les talibans, non pas pour leur prise du pouvoir en tant que telle, mais de peur qu’ils renouvellent leurs pratiques passées. L'application stricte de la charia pendant le précédent règne des talibans, entre 1996 et 2001, est encore bien présente dans les esprits.

Avec leur retour au pouvoir, les talibans ont interdit aux Afghans d'écouter de la musique dans les lieux publics, une pratique jugée non conforme à l’islam. Les femmes ne seront autorisées à voyager que sur de courtes distances si elles ne sont pas accompagnées par un homme. Même si les restrictions des talibans se limitent pour l'instant à ces mesures, les partisans plus conservateurs de l'idéologie du groupe pourraient être tentés, de leur propre initiative, d'imposer des règles plus strictes. Par conséquent, l'avenir du régime des talibans demeure plein d'incertitudes.

Le rejet par les talibans de la proposition turque de prendre en charge le contrôle de l'aéroport de Kaboul a pu provoquer des désillusions à Ankara, mais le président Recep Tayyip Erdogan ne s’est pas pour autant braqué. Il a au contraire répondu positivement à une autre proposition des talibans: fournir une assistance dans les domaines civils et techniques de l'aéroport. Une solution qui ouvre de nouvelles opportunités pour que la Turquie, qui pourra rester en contact avec les talibans pendant la période critique de la formation du gouvernement du pays.

L'attentat de la semaine dernière contre l'aéroport de Kaboul a eu lieu un jour après que le détachement turc a commencé à se retirer d'Afghanistan. Ce qui a provoqué un soulagement généralisé en Turquie, les soldats turcs ayant échappé de justesse à cette catastrophe.

Après cette attaque dévastatrice, Erdogan a commencé à utiliser un langage moins enthousiaste sur l’implication de la Turquie dans le pays, conscient que tout type d'engagement en Afghanistan comportait des risques. Malgré tout, les bonnes dispositions d'Erdogan envers les talibans semblent intactes. Par conséquent, il peut prendre un risque calculé en engageant la Turquie dans divers types d'activités en Afghanistan.

La question des réfugiés afghans en Turquie sera mise tôt ou tard à l'ordre du jour, un nombre de plus en plus grand d'Afghans essayant de fuir leur pays. Malgré le retrait militaire de la Turquie d'Afghanistan, l'ambassade de Turquie continuera de fonctionner, et pourrait devenir l'une des rares ambassades à rester ouvertes à Kaboul.

La situation en Afghanistan a appris à la communauté internationale à y réfléchir à deux fois avant de s'engager dans une coopération sérieuse avec les talibans, car l'interprétation de la charia par ces derniers diffère de ce qu’elle est prête à accepter.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie, et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

Twitter : @yakis_yasar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com