Afghanistan: un séisme stratégique pour les États-Unis

 Il est clair que le président Biden, sept mois après son accession au pouvoir à la Maison Blanche, a raté son premier grand test en matière de politique internationale.  (AFP PHOTO / US AIR FORCE / MASTER SGT. DONALD R. ALLEN)
Il est clair que le président Biden, sept mois après son accession au pouvoir à la Maison Blanche, a raté son premier grand test en matière de politique internationale. (AFP PHOTO / US AIR FORCE / MASTER SGT. DONALD R. ALLEN)
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Publié le Jeudi 26 août 2021

Afghanistan: un séisme stratégique pour les États-Unis

Afghanistan: un séisme stratégique pour les États-Unis
  • Le séisme provoqué par la décision mal calculée du retrait des dernières forces américaines stationnées en Afghanistan ne fait que s’amplifier à plusieurs niveaux
  • On se demande de quelle manière réagirait Washington si des civils ou des militaires américains ou occidentaux venaient à tomber sous les balles des talibans

Le séisme provoqué par la décision mal calculée – et surtout mal préparée et mal exécutée –du retrait des dernières forces américaines stationnées en Afghanistan ne fait que s’amplifier à plusieurs niveaux.

D’abord, au sein de l’establishment politique et médiatique américain. Ce que ce dernier ne cesse de critiquer n’est pas le bien-fondé de la décision de se retirer de l’Afghanistan, mais la mauvaise gestion de l’opération menée par le président Joe Biden et son administration.

Cette gestion s’est révélée un fiasco total: elle a mis en danger la vie de milliers de ressortissants américains (entre 10 000 et 15 000) qui non seulement se sont retrouvés pris au piège à Kaboul, la capitale, tombée aux mains des forces des talibans le 13 août dernier, mais furent éparpillés dans plusieurs villes et différentes régions du pays. Voilà qui pose un problème de taille sur le plan opérationnel, logistique et sécuritaire.

En outre, n’oublions pas le destin incertain réservé aux auxiliaires afghans qui ont collaboré sur le terrain avec les forces américaines et occidentales et à leurs familles. On estime qu’ils sont ainsi 50 000 à devoir être évacués sous peine de subir des représailles, une fois les Occidentaux partis.

Un autre problème se pose: il concerne la sécurité des Occidentaux. On se demande de quelle manière réagirait Washington si des civils ou des militaires américains ou occidentaux venaient à tomber sous les balles des talibans ou de groupuscules fondamentalistes comme Al-Qaïda ou Daech, qui opèrent sur le territoire afghan.

Ensuite, la situation apparaît particulièrement grave au niveau des relations avec les alliés des États-Unis au sein de l’Otan qui sont engagés en Afghanistan auprès des Américains. Ces alliés, à commencer par les Britanniques – considérés comme les plus proches –, sont furieux contre le président Biden et son administration. Ils les accusent en effet d’avoir agi unilatéralement, sans les consulter. Ils se sentent lâchés, humiliés et trahis. Les critiques, venues de hauts responsables britanniques et de parlementaire furieux, ont fusé. Le quotidien londonien The Times rapporte, selon des sources proches de l’entourage du premier ministre Boris Johnson, que ce dernier aurait surnommé Joe Biden «Sleepy Joe» («Joe l’Endormi»). À l’instar des autres pays européens, les Britanniques ont qualifié l’événement de «débâcle». L’ancien Premier ministre Tony Blair va même plus loin dans une tribune publiée sur son site personnel en baptisant cette opération catastrophique de «retrait imbécile».

En Allemagne, si la chancelière, Angela Merkel, s’est abstenue de toute critique officielle, c’est le candidat au poste de chancelier et président de la CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, NDLR), Armin Laschet, soutenu par Mme Merkel, qui a pris la position la plus dure, considérant que ce retrait était «la plus grande débâcle subie par l’Otan depuis sa création».

La gestion catastrophique de ce dossier par le président Biden cause, on le voit, un grand malaise qui porte atteinte à la crédibilité des États-Unis, surtout auprès d’alliés qui se trouvent confrontés à de sérieux dangers existentiels. C’est le cas de Taïwan, où l’on se demande si les États-Unis seraient prêts à intervenir dans l’hypothèse où la Chine attaquerait l’île.

Partout ailleurs dans le monde, les alliés des Américains considèrent que ce qui vient de se passer est une leçon qu’il faudra retenir au cours des quatre années qui restent à accomplir à Joe Biden en tant que président, et même plus tard.

Enfin, on note que les grands rivaux des États-Unis, tant sur plan stratégique (la Russie ou la Chine) que sur le plan régional (l’Iran), tout en se montrant inquiets des risques qui pèsent sur le maintien de la stabilité de part et d’autre de leurs frontières communes avec l’Afghanistan, se réjouissent de la débâcle américaine. Depuis plusieurs mois, ils tentent d’apaiser les talibans. On a ainsi vu des délégations officielles talibanes se rendre sur invitation à Moscou, à Tianjin, en Chine, et à Téhéran dans le but de s’accommoder d’un éventuel changement en Afghanistan.

Si les rivaux des États-Unis n’ont toujours pas défini de stratégie claire pour faire face au vide stratégique laissé par les Américains et l’Otan, ils optent avec réalisme pour une normalisation des relations avec les nouveaux maîtres à Kaboul.

La Russie se préoccupe de la sécurité et de la stabilité des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. La Chine, elle, voudrait s’assurer que les talibans n’offriront pas de sanctuaire aux séparatistes de la minorité ouïghoure pour lancer des opérations sur le sol chinois.

Quant à l’Iran, il cherche à jeter les bases d’une coopération avec les talibans dans le but de sécuriser des frontières communes longues de 700 kilomètres, d’empêcher un afflux massif de réfugiés et d’empêcher l’infiltration d’éléments «subversifs» qui menaceraient la stabilité du régime. En contrepartie, l’Iran contribuerait à pacifier les régions à forte densité de l’ethnie hazara majoritairement chiite sous le contrôle bienveillant des talibans.

Les puissances rivales des États Unis pourraient donc voir dans cette débâcle historique le début de l’ère postaméricaine, ce qui attiserait la tentation de tester la résilience de Washington avec plus d’audace.

Il est clair que le président Biden, sept mois après son accession au pouvoir à la Maison Blanche, a raté son premier grand test en matière de politique internationale. L’image des États-Unis ressort écornée de ce retrait mal géré et de cette évacuation chaotique qui se déroule en ce moment sous les feux des caméras de télévision. L’image de l’administration Biden, elle aussi, se trouve considérablement ternie. Enfin, le président lui-même perd de sa crédibilité, lui qui est le commandant suprême de la première puissance mondiale. Il s’agit bel et bien d’une grande débâcle.


Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. 

Twitter: @AliNahar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.