Depuis le début de la pandémie de Covid-19, il semble évident que l’humanité s’aventure sur des chemins inconnus et plutôt alarmants. Face à la propagation rapide du virus et à ses conséquences mortelles, nous n’avions d’autre choix que de réagir vite vu la gravité de la menace et de son évolution incertaine.
Aujourd’hui, le virus sévit toujours. On recense plus de 203 millions de cas confirmés et 4,4 millions de décès. Tous les doutes sur la nature destructrice du virus et la nécessité de se mobiliser pour l’éradiquer auraient dû totalement disparaître. Pour retrouver un semblant de normalité, la campagne de vaccination du plus grand nombre de personnes le plus rapidement possible a constitué un véritable tournant.
Il n’y a pas si longtemps, le monde voulait à tout prix qu’un vaccin soit mis au point. Maintenant que plusieurs options sont disponibles, une minorité – certes faible, mais tenace – refuse de se faire vacciner.
Étant donné que les scientifiques sont d’accord sur l’efficacité du vaccin et sur les faibles risques d’effets secondaires, les sociétés se trouvent confrontées à un véritable dilemme: comment convaincre les antivaccins de se faire vacciner sans pour autant bafouer ce que beaucoup considèrent comme le droit sacré du libre choix?
La protection de la santé publique nécessite-t-elle le recours à des mesures incitatives – voire à des sanctions – pour promouvoir la vaccination? Je pense que, en tenant compte de la souffrance considérable en termes de vies perdues et de coups durs portés à nos économies, il est tout à fait logique de faire pression sur les sceptiques, dans les limites du raisonnable et de la loi, pour les inciter à se faire vacciner. Après tout, ce serait pour le plus grand bien de la majorité, notamment pour protéger les personnes les plus vulnérables de l’inaction de celles qui évoquent les théories du complot ou d’autres craintes infondées qui circulent à toute vitesse sur les réseaux sociaux et ailleurs.
Cependant, on aurait tort d’être indifférent aux peurs des gens, même si ces dernières ne sont étayées par aucune preuve ou proviennent de sources non fiables. Les inquiétudes suscitées par un vaccin produit en un temps record ne sont pas irrationnelles. Le but n’est pas de juger les gens pour les raisons qui les poussent à ne pas vouloir se faire vacciner, mais de les encourager à changer d’avis pour le bien de tous. Si leurs craintes sont sans doute irraisonnées, les comportements humains ne sont pas forcément tous rationnels. La réaction face aux vaccins ne fait pas exception à la règle, surtout à une époque où de nombreuses personnes ne font plus confiance aux gouvernements et aux institutions publiques en général. Pour cela, il apparaît nécessaire d’aborder ces peurs avec autant de délicatesse que de fermeté.
Au-delà de l’approche sensible et logique, il faut néanmoins de la fermeté, car l’heure est grave. Tout d’abord, les réseaux sociaux et tous ceux qui publient des demi-vérités ou des informations complètement erronées devraient s’abstenir de le faire, sous peine de lourdes amendes.
Les réseaux sociaux servent, depuis des années déjà, de plates-formes aux théoriciens du complot. Bien sûr, les récits qu’ils inventent ne reposent sur aucune théorie valable. Les propriétaires de ces réseaux devraient mettre fin à la propagande antivaccination et, s’ils ne le font pas, la loi devrait être appliquée. Rien n’est plus immoral que de profiter de la misère des autres, et c’est bien ce que les réseaux sociaux sont en train de faire. Compte tenu de l’urgence de la situation actuelle, les mesures temporaires instaurées pour lutter contre la désinformation ne devraient pas être perçues comme une atteinte à la liberté d’expression, mais plutôt comme un moyen de sauver des vies.
Le truisme couramment utilisé par les antivaccins – le droit dont nous disposons de contrôler notre propre corps – ne devrait pas empêcher les sociétés de se protéger en interdisant aux personnes non vaccinées l’accès à certains espaces publics. Cela me rappelle, à bien des égards, le débat sur la cigarette dans les endroits publics, il y a plus d’une décennie. L’interdiction de fumer sur les lieux de travail et de divertissement, considérée comme une violation du droit de fumer, avait suscité un tollé à l’époque. Cet acte relève de l’égoïsme des personnes qui mettent la santé et le bien-être des autres en péril pour leur propre plaisir. Aujourd’hui, les gens sont autorisés à fumer, sans pour autant causer de tort aux autres.
Avec le vaccin contre la Covid-19, les enjeux sont encore plus importants. Seul un régime totalitaire forcerait les gens à se faire vacciner. Cependant, retirer certains privilèges comme le droit de participer à un grand rassemblement n’apparaît pas exagéré: sur l’échelle des intérêts, la vie et la santé des autres sont plus importantes que le droit des personnes non vaccinées de se rendre au restaurant, à un événement sportif ou à un concert.
«Il n’y a pas si longtemps, le monde voulait à tout prix qu’un vaccin soit mis au point. Maintenant que plusieurs options sont disponibles, une minorité – certes faible, mais tenace – refuse de se faire vacciner.»
Yossi Mekelberg
La loi est toujours le résultat d’un équilibre entre la liberté de choix, qui est notre droit naturel, et le bien-être de la société. La question de la vaccination ne fait pas exception à cette règle. Une grande partie de l’argent que nous gagnons à la sueur de notre front va à l’État, qui décide de la manière de redistribuer les fonds afin d’améliorer nos sociétés. Nous sommes sur le point d’entrer dans une phase de l’histoire où, pour sauver la planète, la législation changera un grand nombre des habitudes que nous avons acquises et qui l’ont parfois endommagée de manière irréversible.
Dans le contexte actuel, le passe sanitaire et le passeport vaccinal ne constituent pas une atteinte à nos droits. Ils servent plutôt d’outils – qu’on espère temporaires – pour atténuer l’incidence de la pandémie, donc pour sauver des vies et préserver des moyens de subsistance.
Les antivaccins doivent garder à l’esprit que des millions d’autres personnes à travers le monde espèrent obtenir des vaccins. Elles sont sans doute étonnées et incrédules, comme la plupart des vaccinés que nous sommes, devant tous ceux qui refusent cet acte médical.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale. Twitter : @YMekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com