Les tensions entre la Turquie et la Grèce au sujet des frontières maritimes et des réserves énergétiques offshore dans la mer Égée et la Méditerranée orientale ont atteint un seuil critique. En outre, la crise a de plus en plus polarisé l'OTAN, dont les deux pays sont membres, ainsi que l'UE. Hormis l’échange de menaces entre Ankara et Athènes, le président français Emanuel Macron s'est rangé aux côtés de la Grèce, affirmant qu'il avait fixé des lignes rouges pour la Turquie dans la mesure où « Ankara respecte les actions et non les mots. »
Pour Macron, ce problème constitue une autre raison de s’en prendre au président turc Recep Tayyip Erdogan, avec lequel il est également en désaccord sur le rôle d'Ankara en Libye et en Syrie, sur son approche de la crise des réfugiés, ou encore sur l'OTAN, que le président français a précédemment décrite comme « cérébralement morte ». Un Erdogan provocateur a attaqué les dirigeants français et grec, les qualifiant de « cupides et incompétents » pour avoir contesté l'exploration énergétique turque en Méditerranée orientale. Commémorant l’anniversaire d’une victoire en 1922 contre les troupes grecques au cours de la guerre d’indépendance de la Turquie, Erdogan a défié dimanche la Grèce et la France, affirmant que « quand il s’agit de combat, nous n’hésitons pas à faire des sacrifices. »
Certains experts se rangent du côté de la Turquie, mais le fait qu’Ankara impose une nouvelle réalité en Méditerranée orientale n’est pas la solution.
L’altercation la plus récente a commencé quand Ankara a envoyé ce mois-ci un navire d'exploration gazière dans des zones proches de Chypre, considérées par Athènes comme faisant partie des eaux grecques. Puis, les deux pays ont organisé des manœuvres navales, la France, les États-Unis, l'Italie et les Emirats arabes unis se joignant aux Grecs. Les États-Unis et l'Italie ont également effectué des exercices communs avec des navires turcs, tandis qu’Ankara a annoncé pour sa part que les exercices navals seraient prolongés jusqu'à la mi-septembre. La semaine dernière, des F-16 turcs et grecs se sont livrés à un simulacre de combat aérien au-dessus de la Méditerranée, dans un deuxième affrontement direct en l'espace d'un mois.
Des querelles vieilles de près d’un siècle
Il existe deux problèmes principaux qui se posent. Tout d’abord, Ankara réclame depuis des décennies un accès équitable aux eaux territoriales en Egée, ce qui lui a été refusé par les traités qui ont suivi la Première Guerre Mondiale. Le gouvernement turc estime avoir le droit de redessiner les frontières maritimes au large du plateau continental turc. Des pourparlers organisés de manière irrégulière, entre les deux voisins, qui connaissent des tensions, n'ont pas réussi à résoudre la question. Le principal point de friction est le fait qu’un certain nombre d’îles grecques se trouvent à quelques kilomètres seulement des côtes turques. Le second problème est la revendication par la Turquie du droit d’explorer les ressources en hydrocarbures de la Méditerranée orientale. Un immense champ gazier offshore a déjà été découvert dans une zone commune à la Grèce, à Chypre, à Israël, au Liban et à l’Égypte.
Dans un effort pour régler le différend maritime, la Turquie, qui manque crucialement de ressources énergétiques, a renouvelé sa demande de révision des termes du Traité de Lausanne de 1923 concernant la souveraineté des îles proches de la côte turque. La Turquie affirme que ces îles sont turques. Les tensions entre Athènes et Ankara ont franchi un nouveau cap lorsque la Grèce a annoncé qu'elle envisageait d'étendre ses limites territoriales maritimes de six à douze milles nautiques, ce qu'elle dit pouvoir faire en vertu du droit international. Il s'agit d'une ligne rouge pour la Turquie, et les deux pays sont presque entrés en guerre au sujet des îles contestées de la mer Égée en 1996.
Certains experts se rangent du côté de la Turquie, mais le fait qu’Ankara impose une nouvelle réalité en Méditerranée orientale n’est pas la solution. En outre, Erdogan a peu ou pas d'amis pour soutenir ses affirmations. Les relations de la Turquie avec tous ses voisins sont tendues, à commencer par la Syrie, où elle a imposé une zone tampon à l’intérieur du territoire syrien et où elle soutient des groupes extrémistes. On constate actuellement le même scénario en Irak, où la Turquie a installé une base militaire, et a bombardé ces dernières semaines des zones à l'intérieur du territoire irakien. Erdogan a également envoyé des mercenaires, des conseillers militaires turcs et du matériel en Libye pour soutenir le Gouvernement d'entente nationale (GNA). Il a également signé un accord controversé avec le gouvernement de Tripoli délimitant des frontières maritimes entre la Turquie et la Libye qui empiètent sur les eaux grecques, dans le but d’effectuer des explorations gazières et pétrolières dans ces zones.
Le problème est qu'Erdogan utilise le différend avec la Grèce, vieux de plusieurs décennies, pour des raisons intérieures, principalement pour mobiliser ses partisans. Sa popularité a chuté à mesure que l'économie régressait, la livre turque ayant perdu jusqu’à 20% de sa valeur depuis le début de l'année.
Entre Erdogan et Macron, le différend est devenu personnel, compliquant encore davantage le problème. Les deux hommes usent d’une surenchère dangereuse qui pourrait facilement conduire à une confrontation militaire, ce qu'aucune des parties ne souhaite vraiment. La France pousse l'UE à imposer des sanctions à la Turquie, lors de son prochain sommet des 24 et 25 septembre. Les mesures pourraient toucher des particuliers, des navires et l'utilisation des ports européens, selon le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Mais l'UE est également divisée sur la question, l'Allemagne souhaitant donner une chance au dialogue.
Un signe d’espoir pour la résolution de la crise est venu du Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, qui a exprimé sa volonté de soumettre le différend concernant le plateau continental à la Cour internationale de Justice de La Haye, ajoutant que « nous respecterons la décision de la Cour. » Mais le problème est qu'Erdogan utilise le différend avec la Grèce, vieux de plusieurs décennies, pour des raisons intérieures, principalement pour mobiliser ses partisans. Sa popularité a chuté à mesure que l'économie régressait, la livre turque ayant perdu jusqu’à 20% de sa valeur depuis le début de l'année.
Les États-Unis pourraient jouer un rôle positif dans la résolution de cette controverse - au moins pour préserver l'unité de l'OTAN - mais pour le moment, ils semblent vouloir ménager la chèvre et le chou en observant le déroulement de cette dernière crise entre deux de leurs alliés.
Osama Al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.
Twitter: @ plato010
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Arab News.
Ce texte est une traduction d’un article paru sur www.arabnews.com