Les dirigeants israéliens et palestiniens doivent tenir compte des signaux d’alarme

Ben & Jerry's, entreprise située dans le Vermont, aux États-Unis, a mis un terme aux ventes de ses glaces dans les territoires palestiniens occupés par Israël. (AP)
Ben & Jerry's, entreprise située dans le Vermont, aux États-Unis, a mis un terme aux ventes de ses glaces dans les territoires palestiniens occupés par Israël. (AP)
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Publié le Dimanche 08 août 2021

Les dirigeants israéliens et palestiniens doivent tenir compte des signaux d’alarme

Les dirigeants israéliens et palestiniens doivent tenir compte des signaux d’alarme
  • L’épisode Ben & Jerry’s du mois dernier a pu apparaître comme la douche froide qu'Israël méritait
  • Le Moyen-Orient d'aujourd'hui n'est pas celui de 1948, de 1967 ou de 2007: il se trouve confronté à des défis très différents

Dans les affaires étrangères comme dans la politique intérieure et même dans la vie, la réalité est âpre. Elle peut changer un discours avec lequel nous sommes devenus trop familiers, jusqu'à la complaisance, en nous forçant à remettre en question nos hypothèses. 

Il nous est déjà délicat d’avoir conscience que la nouvelle réalité est plus pertinente que l'ancienne; il est encore plus difficile de considérer que, à un moment donné, il nous faut l'admettre – jusqu'au moment où nous nous rendons compte que cette acceptation présente des opportunités qui se trouvaient bloquées par nos convictions antérieures.

Nous pourrions considérer que la signature des accords d'Abraham, l'année dernière, a représenté un point culminant pour la direction palestinienne. Ils ont confronté des convictions profondément ancrées de justice et de droiture à la frustration de ceux qui voulaient pour le Moyen-Orient une nouvelle direction et voyaient dans ces accords une opportunité pour y parvenir, non en sacrifiant la cause palestinienne, mais en cherchant à la résoudre de manière inédite plutôt que de réfuter continuellement le progrès. 

Certes, quelque chose a dysfonctionné à Ramallah et à Gaza, mais d’aucuns pourraient prétendre que ces accords ne représentaient pas la réalité des relations dans une région en mutation qui, malgré l'importance de la question palestinienne, n’aurait pu être mieux définie que par elle-même.

En outre, l’épisode Ben & Jerry’s du mois dernier a pu apparaître comme la douche froide qu'Israël méritait. S’il est logique que, au fil des années, ce pays ait fait état d'antisémitisme dans les attaques dirigées contre lui, prétendre que toute critique d'Israël émane nécessairement d’un sentiment antisémite, voilà ce qui, depuis un certain temps, a faussé la précision des analyses, indispensable aux décisions politiques. 

Des amis disent à Israël depuis des années que sa réputation internationale s'est dégradée, que ses choix politiques, et notamment l'occupation de la Cisjordanie, sont profondément néfastes et qu’ils se détériorent peu à peu. Presque tous ces propos ont été rejetés et une série de raisons ont été avancées pour tenter d’expliquer pourquoi nous «ne comprenons pas» les réalités de la vie dans un quartier difficile.

Les commentaires de Ben Cohen et Jerry Greenfield méritent un meilleur sort que de subir les attaques habituelles de ceux qui ne font pas la distinction entre le soutien à l'existence de l'État d'Israël et la critique de la politique du gouvernement israélien. 

Il est impossible de considérer comme hostiles ceux qui se décrivent comme des «Juifs fiers» et des «partisans de l'État d'Israël» lorsqu'ils approuvent la fin des ventes dans les territoires occupés, «que l'ONU [l’Organisation des nations unies, NDLR] a considérée comme une occupation illégale». C'est particulièrement vrai lorsqu'ils expliquent que cette mesure fait «progresser les concepts de justice et de droits de l'homme, principes fondamentaux du judaïsme». Et ce ne sont pas les seuls Juifs éminents dans le monde qui tiennent ce discours aujourd’hui.

L’analyse de Ben & Jerry's met en cause le fait qu'Israël peut poursuivre ses politiques d'occupation, d'expansion des colonies, et ignorer, en toute impunité, les ordres internationaux. Mais il ne s’agit pas seulement d’un préjudice extérieur. Au fil du temps, les observateurs d'Israël ont constaté les dégâts causés à la société israélienne par l'occupation. 

Les jeunes enrôlés pour défendre l'État d'Israël ne voient leurs jeunes homologues palestiniens que lorsqu'ils sont en uniforme et en patrouille, et pas simplement au détour d’un incident, mais pendant de nombreuses années. Les barrières qui se construisent entre les peuples ne sont pas seulement physiques; elles sont également psychologiques et dénaturent les réactions normales des gens les uns envers les autres.

De Nabi Saleh aux postes de contrôle de Jérusalem, la mort inexpliquée de jeunes gens est devenue une routine consentie d'une manière qui ne serait pas tolérée dans le genre de sociétés auxquelles Israël se compare. Penser qu’une attitude qui consiste à ignorer l'opposition devant l'occupation finira par conduire à une forme de résignation, à l’évidence, n’est plus tenable.

 

Penser qu’une attitude qui consiste à ignorer l'opposition devant l'occupation finira par conduire à une forme de résignation, à l’évidence, n’est plus tenable.

Alistair Burt

Israël ne devrait pas craindre que les commentaires des fondateurs de Ben & Jerry's ouvrent la porte à ce genre de critiques. Au contraire, il serait nécessaire qu’il les utilise comme une opportunité pour agir le plus rapidement possible afin d’échapper à un avenir qui sera, fatalement, à sens unique. Il est essentiel de compléter ce point par l'autre élément de l'équation: ceux pour qui les accords d'Abraham représentent un rappel de la réalité. 

La direction palestinienne s'est également sentie obligée de s'en tenir à un discours périmé – il importe peu d’évaluer dans quelle mesure il trouve racine dans les pertes de territoires et dans les affres de l'histoire –, qui ignorait la réalité de la nature antidémocratique et corrompue de la vie à Ramallah et à Gaza ainsi que la frustration croissante des Palestiniens ordinaires, confrontés à une situation désespérée.

Le Moyen-Orient d'aujourd'hui n'est pas celui de 1948, de 1967 ou de 2007: il se trouve confronté à des défis très différents. Il compte d’ailleurs de nouveaux et jeunes talents qui ont l'ambition de les surmonter et ne peut pas se permettre de continuer à vivre avec cette question irrésolue. De nombreux d'amis d'Israël et de Palestine qui ont pleuré avec les familles des victimes de tous côtés aspirent à les voir au centre de ce nouveau Moyen-Orient.



 

Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes ministériels au Affaires étrangères et au Commonwealth – en tant que sous-secrétaire d'État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d'État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019. Twitter : @AlistairBurtUK

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.