Le Liban a longtemps été décrit comme la Suisse du Moyen-Orient ; en réalité, il a quelque chose de la France. Comme la France, le Liban, par sa géographie et par sa population, ne laisse pas indifférent. Le Liban, comme la France, est plus qu’un pays : c’est une idée et une histoire, une idée d’exceptionnalisme et une histoire d’amour, mais aussi une histoire de guerre qui, malheureusement aujourd’hui, finit mal.
Mais avant tout, ce ne sera jamais un pays neutre. Ce Grand Liban, dont on commémore aujourd’hui le centenaire et qui fut tant critiqué, donna pourtant beaucoup et éclaira le Moyen-Orient et le monde arabe avec sa diversité et son ouverture. Toute une génération de personnalités du monde arabe vous diront que, la première fois qu’ils sont allés au Liban, ils ont appris pour la première fois les idéologies politiques et bien plus.
C’était ça le Liban, une première pour le monde arabe après des centaines d’années sous l’emprise ottomane. Une première leçon mouvementée de vivre ensemble et d’accepter la diversité et l’échange d’opinions et d’idées. Malheureusement, il devient aujourd’hui une « dernière » et plonge dans l’obscurité. Il n’est pas nécessaire de raconter cette histoire, beaucoup la connaissent et le feront beaucoup mieux que moi ; ni de revenir sur la guerre civile de 1976 dont on entend l’écho résonner fortement aujourd’hui.
Les coups de couteau contre ce petit pays plus grand que ses frontières n’ont jamais cessé. L’occupation syrienne et sa politique « extractive » de la liberté et des richesses fut suivie par l’occupation actuelle du Hezbollah. Une milice armée qui tient en otage un pays d’innovateurs, de créateurs, d’entrepreneurs, moqueurs, cyniques, chauvins, mais bâtisseurs avec de grands cœurs.
Aujourd’hui, la visite du président français, Emmanuel Macron, revêt une grande symbolique par sa date mais aussi compte tenu de l’état du pays. Il semble avoir une volonté profonde d’aider le Liban. Mais qu’espère-t-il accomplir vraiment au pays du Cèdre ? Pense-t-il vraiment pouvoir le sauver ? La réalité est que le Liban ne peut être sauvé par une politique pragmatique, qui semble être la description de la politique étrangère de Macron. Le Liban ne peut être sauvé que par une politique idéaliste qui frôle la douce illusion.
Pour aider le Liban avant de le sauver, il faut commencer par rétablir sa souveraineté. Cela ne passe pas par un gouvernement éventuel pour assurer une stabilité temporaire. Même si tous les ministres n’appartiennent pas aux anciens partis, une fois le gouvernement formé, comment ce dernier va-t-il diriger le pays et mener des réformes lorsqu’un État parallèle existe, lorsque toutes les décisions sensibles à prendre vont à l’encontre des intérêts de cet État parallèle qu’est le Hezbollah ?
Le Liban dont rêvent les Libanais, ce Liban d’échange où se côtoient les religions et les idées et où le commerce prospère ne peut exister tant que le Hezbollah et ses alliés maintiennent leur emprise. Afin d’ouvrir une nouvelle page de prospérité pour ce pays, il faut que cette milice soit désarmée. En effet, le Liban a besoin d’être sauvé, mais sauvé d’abord de ce groupe armé qui le tient en otage et qui mène une politique d’assassinat et de violence. Nous ne pourrons pas construire un Liban tant que la violence n’est pas le monopole de l’État. Aujourd’hui cette violence, cette barbarie sont le monopole d’un groupe armé à la solde des Iraniens. J’ai peur que le président Macron ne finisse par choisir le pragmatique avant l’idéal.
Alors que la date des élections présidentielles américaines approche et que les Européens cherchent à renouer des relations avec le régime iranien dans le but de relancer les échanges commerciaux des années de l’accord nucléaire, les risques sont grands que la France accompagne un changement profond de la nature du Liban et que l’exceptionnalisme libanais disparaisse à jamais.
Malgré les déclarations de certains, le Hezbollah n’est pas un parti libanais: il s’agit d’un groupe armé composé de Libanais obéissant aux ordres de Khamenei. Il est temps qu’il rende les armes, qu’il rende la liberté à sa communauté afin que la souveraineté de l’État renaisse. La France est libre d’entretenir des relations avec l’Iran tout autant qu’avec les pays arabes. Mais accepter et légitimer politiquement les milices armées iraniennes au Liban à des fins de négociations, c’est condamner ce pays à mort au son d’une chanson de Fairouz. C’est peut-être mon cynisme parisien ou ma méfiance libanaise, mais j’ai le pressentiment que l’histoire retiendra que le Liban est né le 1er septembre 1920 avec le haut-commissaire Gouraud et qu’il est mort le 1er septembre 2020 avec le président Macron.
Nous vivons une époque où toute justification de nos politiques passe par le pragmatisme. Mais en réalité, ce pragmatisme est une autre façon de décrire l’abandon de nos valeurs et de nos principes et surtout de ne pas faire face aux menaces à la liberté. Les Libanais se sacrifient pour cette liberté tous les jours, mais le pragmatisme régional et les intérêts le font basculer dans la violence à chaque nouveau cycle. Aujourd’hui l’Iran, via son outil qu’est le Hezbollah et, qui sait, peut-être demain la Turquie.
La visite du président français ne peut avoir pour objectif la simple formation d’un gouvernement. Cela n’est pas digne du rôle de la France ni n’atteint le niveau de l’aspiration des Libanais. L’intervention du président se doit d’être décisive car le Liban n’a pas besoin de proposition française pour un gouvernement d’unité nationale ou autre. Ce sont ces solutions palliatives qui nous ont menés à cette situation. Le Liban a besoin d’un électrochoc, les Libanais attendent la vérité et une action ; celle d’un groupe militaire ne peut contrôler un pays. Le président français est-il capable d’enclencher ce changement, la France en a-t-elle les moyens alors qu’elle peine face à la Turquie ?
Le chemin vers un renouveau pour le Liban de la diversité commence donc par le désarmement du Hezbollah. Il ne s’agit pas d’une résistance mais d’un outil militaire dans les mains des Iraniens. Arrêtons d’être accommodants avec les forces néfastes de cette région. Arrêtons d’accepter les dictats de l’intimidation d’États voyous, qu’ils soient iranien ou turc. Cette soumission à cette intimidation est incompréhensible. Alors que tout le monde s’effraie au Moyen-Orient d’un nouveau Sykes-Picot, il faudrait plus s’inquiéter d’un ersatz des accords de Munich ou de Molotov-Ribbentrop.
Le Liban dont tous les Libanais rêvent ne pourra être reconstruit tant que le pays est tenu en otage. Les réformes ne peuvent commencer lorsqu’un groupe est au-dessus de l’État et de ses citoyens. Ses principes de liberté sont alors bafoués, tout comme sa souveraineté, et c’est cette liberté qui est la force du Libanais. L’action d’un président français qui a décidé de s’engager pour le Liban doit soutenir la véritable indépendance du pays et rien d’autre. Les Libanais sont prêts et attendent.
Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan Al-Arabi.
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com