Comme pour tant de romances troublées, le Liban est l'amour de ma vie, avec lequel je ne peux pas vivre et sans lequel je ne peux pas vivre non plus. Ma vie a été intimement liée aux tourments et aux gloires de cette nation.
Au lieu de célébrer le Centenaire du Liban, on nous avertit qu’il pourrait mourir en tant que nation cohérente. À chaque fois que nous pensions que le Liban ne pouvait pas tomber plus bas, nous nous réveillions avec de nouvelles tragédies déchirantes.
Je suis néanmoins réconfortée par l’obstination du président français, Emmanuel Macron, à refuser de laisser tomber le Liban – comme beaucoup d’autres l’ont fait. Nous, Libanais, avons besoin que quelqu’un croie en nous, mais nous devons d’abord croire en le Liban nous-mêmes.
J’ai vécu une enfance extrêmement heureuse. Ma mère, mon modèle, était une figure de proue pour les femmes intelligentes qui désirent le changement. Mon souvenir d’avoir vécu dans ce qui était alors l'un des quartiers les plus pauvres de Beyrouth, Burj al-Barajneh, alors qu'elle construisait une école, restera à jamais gravé dans ma mémoire. C’est son encouragement à exprimer avec confiance mes opinions qui a ouvert la voie à ma carrière en journalisme. Bien que née musulmane, j'ai fréquenté l'église pendant mes années passées à l'école américaine. J'ignorais parfaitement à quelles confessions appartenaient mes amis, mais je savourais la pléthore de festivals et de fêtes nationales au Liban. Le Liban est une nation de minorités.
Des étudiants venant des quatre coins du monde – y compris les enfants des élites dirigeantes arabes – affluaient vers les universités libanaises de renommée mondiale, telles que l’Université américaine de Beyrouth. Nous nous réjouissions des privilèges de notre identité libanaise ; une terre aux richesses naturelles si abondantes que l'on peut skier dans les montagnes et nager dans les mers chaudes – le tout en une journée.
Je croyais fermement en l'inévitabilité du Liban en tant que nation unie, démocratique et florissante et, tout au long des années 1960 et du début des années 1970, le pays a progressé à un rythme vertigineux. Avec des personnages emblématiques comme Fairouz et Khalil Gibran, Beyrouth était la capitale étincelante de la culture régionale, tout en étant également dominante dans les secteurs bancaire, touristique et commercial.
Au lieu de célébrer le Centenaire du Liban, on nous avertit qu’il pourrait mourir en tant que nation cohérente. À chaque fois que nous pensions que le Liban ne pouvait pas tomber plus bas, nous nous réveillions avec de nouvelles tragédies déchirantes.
Baria Alamuddine
Cependant, les lacunes critiques du Liban sont devenues évidentes. J'ai réagi avec surprise lorsqu'on m'a dit que j'avais réussi mon examen de conduite cinq minutes après avoir mis la voiture en marche. L’examinateur m’a expliqué que j’avais déjà réussi avant de monter dans la voiture – grâce aux relations officielles de mon mari. Les jours d'élection, je m'habillais consciencieusement pour aller voter, tout cela pour que mon mari me dise que mon bulletin de vote avait déjà été déposé. Bien sûr, j'étais sur le point de voter pour la candidature de mon oncle, mais comment mon mari osait-il m’ôter ma chance de participer à la démocratie ?
Le plongeon du Liban vers la guerre civile de 1975, dans un contexte de tensions sectaires croissantes, semblait inévitable et, en même temps, tout à fait impensable ; voir tout ce que nous connaissions et aimions être totalement détruit.
La diaspora du pays à l’étranger représente environ cinq fois la taille de sa population nationale. Son palmarès impressionnant de réussites comprend Carlos Slim – l'homme le plus riche au monde depuis des années — et le pionnier de la recherche sur le cancer Philip Salem, ainsi que des banquiers, des avocats, des ingénieurs, des journalistes, des intellectuels, des scientifiques et des PDG de renommée mondiale. Pourquoi les Libanais réussissent-ils en dehors de leur patrie ? Parce que, contrairement au dysfonctionnement corrompu chez eux, ils sont habilités à réaliser leur potentiel. Pourtant, beaucoup souhaitent rentrer chez eux si leur Liban peut être restauré.
Au fil des millénaires, le Liban est mort à plusieurs reprises ; mais, comme un phénix surgissant des flammes, chaque renaissance des réalisations culturelles et intellectuelles a été une gloire à contempler. La littérature de toutes les langues occidentales, y compris le grec, l’anglais, l’arabe, le latin, le russe et l’hébreu, est rédigée dans des versions modifiées de l’ancienne écriture phénicienne du Liban. Les empires romain et perse se sont battus jusqu'à l'épuisement pour le territoire libanais, mais le génie de la civilisation islamique a émergé de ses cendres. Les Croisés ont réduit le Liban en décombres, mais sont repartis avec beaucoup d’ingrédients nécessaires à la renaissance de l’Europe.
Ceux qui parlent de la « mort » du Liban font référence à la disparition d’un ordre discrédité qui a longtemps été un mort-vivant. Notre Liban n’a jamais été destiné à être ségrégué et sectarisé ; un pays où les nominations judiciaires et bureaucratiques sont retardées indéfiniment pour assurer le juste équilibre des confessions, des factions et des bénéficiaires corrompus. Le résultat est que les pires personnes issues des « meilleures » familles acquièrent des postes clés, tandis que les candidats méritants disparaissent à l'étranger. Selon cette logique clientéliste, vous êtes « intelligent » si vous exploitez votre position pour enrichir votre famille, mais vous êtes « stupide » si vous restez honnête et pauvre.
L’échec du Liban à construire des institutions efficaces était évident après l’explosion catastrophique récente à Beyrouth. Les citoyens en deuil ont été abandonnés par l’État pour nettoyer leurs propres rues et rechercher des corps. Pour la reconstruction, il a été question d’initiatives privées, parfois avec des maçons offrant leurs services gratuitement.
Ceux qui parlent de la « mort » du Liban font référence à la disparition d’un ordre discrédité qui a longtemps été un mort-vivant. Notre Liban n’a jamais été destiné à être ségrégué et sectarisé ; un pays où les nominations judiciaires et bureaucratiques sont retardées indéfiniment pour assurer le juste équilibre des confessions, des factions et des bénéficiaires corrompus.
Baria Alamuddine
Ce système est devenu un fardeau pour la nation, réduisant le peuple à la pauvreté et à la famine. Ce système ne peut plus être réformé ou réparé. Le Liban survivra seulement jusqu’à 101 ans si ce système n’est pas fondamentalement reconstruit, en se basant sur le mérite, l’identité civile et la souveraineté nationale – avec les quotas sectaires et factionnels médiévaux éradiqués une fois pour toutes.
Par ailleurs, ces puissances hostiles qui manipulent la politique libanaise et piétinent la diversité du Liban au nom de l’orthodoxie théologique doit être bannie, tout comme ces Perses, Romains et Croisés impérialistes il y a de cela des siècles.
Les brins complexes et uniques de l’ADN du Liban ont une qualité éternelle et indomptable : son patrimoine culturel, son environnement à couper le souffle et son esprit national. Si le Liban ne peut pas connaître la paix et l’unité aujourd’hui, ces ingrédients attendent patiemment d’être tissés demain.
C’est l'héritage que nous pouvons léguer à nos petits-enfants. Même si certains d'entre eux ne feront jamais l'expérience du Liban en chair et en os, ils restent libanais dans leur cœur et dans leur vision.
Le Liban est la fleur invincible qui resurgit après chaque hiver traumatisant pour nous accorder ses bénédictions – des graines dormantes attendant leur moment de renaissance, de résurrection. Quelles que soient les horreurs et les pertes que nous subissons, telle est la vision libanaise qui persiste dans nos cœurs.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice primée au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice au Syndicat des services médiatiques et s’est entretenue avec de nombreux chefs d’État.
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur www.arabnews.com