Israël agit comme si le droit international ne s’appliquait pas à lui, parce qu’un monde occidental complaisant et indifférent a permis, pendant des années, que ce soit le cas
Il n’est pas acceptable pour nous, citoyens du monde, d’accepter passivement un monde où des milliers de personnes sont massacrées sans raison sous nos yeux
Au milieu de toutes les horreurs inimaginables auxquelles sont confrontés les Palestiniens à Gaza, une mention spéciale doit être faite aux plus de 50 000 femmes enceintes.
Un grand nombre de nouvelles mamans sont tellement amaigries après des semaines de nourriture insuffisante, qu'elles ne sont plus en mesure de nourrir leur bébé avec leur lait. L'Unicef estime que 180 femmes accouchent chaque jour à Gaza sans soins adéquats, notamment en subissant des césariennes sans analgésiques, et en sortant de l’hôpital, saignant encore, quelques heures après leur accouchement. Des dizaines de bébés risquent la mort dans les unités néonatales de soins intensifs, où les couveuses qui sauvent des vies sont en manque d’électricité.
Au moment où ils sont désespérément nécessaires, près de la moitié des 35 hôpitaux de Gaza sont détruits ou ne sont plus en état de fonctionner, tandis que le reste manque d’équipements et d’électricité. Nous entrons dans les sphères les plus basses de l’enfer lorsque même les hôpitaux sont bombardés et que les médecins et les patients sont pris entre deux feux, Israël étant accusé d’avoir transformé l’hôpital Al-Shifa assiégé en zone de guerre. Imaginez l'horreur d'être mutilé lors de la destruction de votre propre maison, pour subir ensuite d'autres blessures lorsque l'ambulance qui vous transporte à l'hôpital est touchée par une frappe aérienne. L’incapacité des hôpitaux à enterrer des centaines de corps contribue à des conditions horribles, et à la propagation des infections à un rythme foudroyant.
Même si le Hamas établissait son quartier général dans un hôpital, attaquer un tel bâtiment constituerait indubitablement un crime de guerre. Israël agit comme si le droit international ne s’appliquait pas à lui, parce qu’un Occident complaisant et indifférent a permis, pendant des années, que ce soit le cas. Le Hamas ne représente en rien la nation palestinienne, et le groupe est responsable d’avoir amorcé ce conflit, mais les dirigeants mondiaux sont également coupables des conséquences sanglantes en accordant à Israël des décennies d’impunité absolue.
Tirant magistralement contre son camp, la ministre britannique de l’Intérieur, Suella Braverman, limogée lundi, a fustigé la manifestation propalestinienne organisée à Londres lors du Jour de l’armistice, la qualifiant de «marche de la haine», et a exercé des pressions, sans succès, sur la police, pour qu’elle soit interdite. En grande partie grâce à la publicité gratuite de Braverman, des centaines de milliers de personnes ont participé pacifiquement à l’une des plus grandes marches de l’histoire britannique. En effet, vivrons-nous un jour pour assister à une journée commémorative pour les 4 500 enfants et les milliers d’autres civils innocents qui ont déjà été tués à Gaza, aux côtés de ceux assassinés sans motif en Israël? Pour éviter que cela ne se répète, nous devons souligner et commémorer le caractère sacré de toute vie humaine.
D’impressionnantes marches qui ont également lieu en Espagne, en France, en Allemagne, en Amérique et ailleurs, démontrent à quelle vitesse Israël perd la sympathie de ses alliés les plus proches. J’ai été frappée par la fluidité de l’opinion publique occidentale. Immédiatement après le 7 octobre, toute personne exprimant des sentiments en faveur des Palestiniens était dénoncée comme sympathisante du terrorisme. Alors que maintenant, à l’exclusion évidente de politiciens qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts et sont dépourvus de tout sentiment et de toute morale, quiconque possédant un brin d’humanité peut-il ne pas être ému devant les atrocités et les scènes déchirantes de Gaza? De nombreux médias occidentaux sont passés d’explosions de soutien servile à Israël à un langage plus nuancé, de peur de perdre leur audience, bien que certains médias persistent encore, avec des lignes éditoriales qui déshumanisent totalement les Palestiniens.
«Que les victimes soient israéliennes ou palestiniennes, cette implacable absence d’humanité doit éveiller notre empathie humanitaire naturelle, afin de mettre fin à cette barbarie, et d’ouvrir la voie à une paix juste et durable»
Baria Alamuddin
Ces événements ont libéré les germes haineux de l’antisémitisme et de l’islamophobie dans le monde entier, des éléments d’extrême droite spéculant sur des mesures génocidaires contre les communautés juives et musulmanes. Même en Israël, des milliers de manifestants, dont les familles des otages, ont exigé l’arrêt des violences et le lancement de négociations fermes et résolues pour libérer près de 240 otages, avant qu’un trop grand nombre d’entre eux ne soient tués par les propres frappes aériennes israéliennes.
Les observateurs israéliens s’inquiètent que, malgré le but évident d’une vengeance collective de masse contre les civils palestiniens à Gaza, les objectifs de guerre de Benjamin Netanyahou semblent tout à fait irréalistes et voués à l’échec – à part chercher à sauver temporairement sa propre peau politique. Bien que les troupes israéliennes aient encerclé de façon timorée la périphérie de la ville de Gaza, où plus d’un tiers des bâtiments ont été endommagés par les bombardements, elles n’ont toujours pas procédé à des incursions notables dans les rues de la ville jonchées de décombres. Ainsi, si Israël veut vraiment «éliminer» le Hamas, la guerre vient à peine de commencer. En effet, le conflit pourrait s’aggraver infiniment si les provocations à la frontière libanaise et en Cisjordanie déclenchaient des conflagrations à grande échelle.
Malgré toute la rhétorique de Hassan Nasrallah sur la «victoire» dans son dernier discours, la situation à Gaza et en Israël ne ressemble pas une victoire. Le président iranien, Ebrahim Raïssi, a également employé un langage d’escalade en déclarant qu’«il n’existe pas d’autre moyen que la résistance à Israël». Pourtant, à part attiser les tensions et aggraver la situation régionale, on ne voit pas dans quelle mesure les actions de l’Iran et de ses supplétifs aident les Palestiniens.
Par ailleurs, dans un langage inhabituellement fort, le sommet arabo-islamique de Riyad a dénoncé les «crimes de guerre et les massacres barbares, violents et inhumains commis par le gouvernement d’occupation colonial», tout en appelant à la fin du siège de Gaza. Parmi les propositions concrètes du sommet figuraient la création d’unités de surveillance des médias pour documenter et rendre publiques les violations contre les Palestiniens, ainsi qu’un certain nombre d’initiatives internationales visant à demander juridiquement des comptes à Israël.
Comme l’a soutenu le procureur général de la Cour pénale internationale, Karim Khan, nous ne pouvons pas nous permettre d’être insensibles à ce niveau d’angoisse et à cette «pandémie d’absence d’humanité». Nous devons nous rappeler que ceux qui sont sortis des décombres sont comme nous et méritent également justice.
Avoir été journaliste pendant plusieurs décennies m'a rendue extrêmement sceptique à l’égard des politiciens, même lorsqu'ils disent les choses justes. Il n’est pas acceptable pour nous, citoyens du monde, d’accepter passivement un monde où des milliers de personnes sont massacrées sans raison sous nos yeux.
Que les victimes soient israéliennes ou palestiniennes, cette implacable absence d’humanité doit éveiller notre empathie humanitaire naturelle, afin de mettre fin à cette barbarie, et d’ouvrir la voie à une paix juste et durable dont l’un des éléments essentiels est de mettre un terme à l'occupation illégale des terres palestiniennes, une fois pour toutes.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com